Oliver Laxe ( Viendra le Feu )

Né en 1982 à Paris

Franco-Espagnol

Réalisateur

Vous êtes tous des Capitaines, Mimosas:La Voie de l’Atlas, Viendra le Feu (Prix du Jury Un Certain Regard Cannes 2019).

ENTRETIEN AVEC OLIVER LAXE

LE FEU

La Galice est l’une des régions d’Europe les plus affectées par les incendies. Beaucoup sont causés par la foudre ou dus à des négligences diverses, mais dans la plupart des cas les incendies sont provoqués : c’est le feu qui échappe aux campagnards quand ils l’utilisent pour régénérer leur terre, le feu qui est utilisé comme arme de protestation politique, le feu qui requalifie la nature des terrains, qui fait chuter les prix du bois, celui qui procure chaque année à des politiciens de nouveaux contrats aux chiffres astronomiques…

Les raisons sont diverses et tout le monde à sa part de responsabilité.
La question du feu est devenue centrale. L’opinion publique cherche des coupables, elle veut du sang. Et bien évidemment la figure de l’incendiaire est l’une des plus diabolisées aujourd’hui. Je suis toujours interpellé lorsque la société ostracise un individu.
J’ai fait un film sur un homme dont on sait, dès la deuxième séquence, qu’il a été condamné pour avoir provoqué un incendie. Était-il coupable ? S’est-il réconcilié avec le monde ou la nature ? Est-il profondément récidiviste ? Et s’il était en réalité innocent ? On peut se poser toutes ces questions tout au long du film. Mais en partageant le quotidien d’Amador, de Benedicta, sa mère, et de leurs animaux, en affrontant les rigueurs du climat lorsqu’ils mènent les vaches paître par monts et par vaux, en entendant ronronner le poêle alors que la pluie crépite sans discontinuer au-dessus de leurs têtes, on partage leur intimité. On parvient alors même à aimer Amador.
L’empathie s’installant, les questions se dissolvent. On sent son inadaptation, sa souffrance contenue, sa cicatrice spirituelle. « S’ils font souffrir, c’est parce qu’ils souffrent » dira Benedicta.

LA GALICE

Je suis né en France, mais mes parents sont galiciens. Le premier souvenir que j’ai des Ancares date de mes 4 ans. Comme la plupart des émigrés espagnols, nous retournions chaque été en Espagne. Mon grand-père nous attendait à côté de son âne pour nous amener avec nos bagages jusqu’a  sa maison située au bout d’un long sentier de chèvres. Nousaccédions alors a  un autre monde, au coeur des montagnes, où les gens vivaient dans une digne et souveraine soumission aux éléments. Dans une humble et douce acceptation de la nature dont ils dépendaient, celle qui leur rappelait que leurs existences étaient éphémères. Ce sont des attitudes face a  la vie qui m’ont marqué à jamais. J’ai vécu en Galice de mes six ans à mes dix-huit ans, puis entre Barcelone et Londres, et ensuite au Maroc pendant dix ans. Mais la Galice est toujours restée mon lieu, mon socle. On a tourné dans le village de mes grands-parents, avec les villageois que je connais depuis l’enfance.
Cette contrée aux confins de l’Europe est une terre ambivalente, pleine de contrastes : douce et âpre, pluvieuse et lumineuse. Et surtout mystérieuse. J’ai voulu capturer son extrême beauté, une beauté intense et imprévisible, qui ne connait pas de modération.

AMADOR

Dans chacun de mes films, c’est la rencontre avec de vraies personnes qui me donne l’envie de les filmer et de les faire incarner mes personnages. Shakib dans Vous êtes tous des capitaines et dans Mimosas. Et maintenant, Amador dans Viendra le feu.
Il y a une vérité poignante dans le regard mélancolique et les épaules tombantes d’Amador. ll est beau, en même temps onsent qu’il souffre : il est à fleur de peau. Et le monde actuel est inapte à accueillir sa fragilité.
Amador, qui joue Amador, a été garde forestier. Aujourd’hui, il s’occupe des animaux malades de la forêt. En espagnol, Amador signifie « celui qui aime ». J’ai conservé son véritable prénom pour mon personnage, un célibataire farouche des montagnes. Amador est celui qui aime et pourtant il est regardé par beaucoup comme celui qui détruit, mis à part ceux qui ne le jugent pas : sa mère et leurs animaux. Amador est une figure d’expiation, un innocent (comme Shakib dans Mimosas), un inadapté. La déraison du monde, la souffrance d’une nature malmenée trouvent en cet homme un exutoire.

BENEDICTA

Comme avec Amador, j’ai voulu garder son vrai prénom, qui signifie en espagnol « celle qui est bénie ». Benedicta a été aussi à sa manière une bénédiction pour notre film. Cette femme a 83 ans…
Quand Amador sort de prison et se rend directement chez sa mère, elle lève la tête et lui demande « Tu as faim ? » comme s’il ne sortait pas de prison, comme si la veille encore il avait été là, assis silencieux à côté du poêle. Benedicta aime Amador d’un amour insondable. Qu’il soit coupable ou pas, il est son fils et cela seul compte. Elle est un peu comme la Galice, une « matrie » plutôt qu’une patrie.
Pour Benedicta et Amador, il s’agissait de leur première expérience comme acteurs de cinéma. C’est toujours un dosage difficile entre la personne et le personnage. Si l’Amador du film est quasiment l’Amador de la vie réelle, la Benedicta du film est très différente de la Benedicta de la vie réelle. Elle était bien trop énergique pour ce rôle. Je craignais que son Tempérament n’amène à une conclusion hâtive et réductrice : Benedicta ne serait alors qu’une mère castratrice et Amador un enfant écrasé. Mais curieusement, après avoir bridé les débordements d’énergie de Benedicta, on s’est approché au plus près de son essence profonde. C’est la première fois qu’il m’arrive au cinéma d’atteindre l’essence d’une personne… par un détour.

MÉLODRAME SEC

Avec Viendra le feu, j’ai voulu faire un mélodrame sec, de larmes contenues. En termes d’écriture, j’ai voulu déployer une psychologie ténue, réduite à l’os : cette âpreté émotionnelle des personnages est raccord avec l’austérité des décors. Ce sont des émotions endiguées, qui finissent par éclater avec le feu.

LES ARBRES

L’eucalyptus est un arbre envahissant, considéré par certains Galiciens comme pernicieux et nuisible. Il assèche les terrains et croît au détriment des plantes indigènes.
Le film s’ouvre sur une scène où d’énormes engins détruisent impitoyablement les eucalyptus les uns après les autres, comme s’il s’agissait de tondre un gazon. Mais ils tombent soudain en arrêt devant un eucalyptus centenaire, immense, sans doute figés par sa noblesse, entre respect et effroi. C’est la nature qui retourne leur regard aux hommes. Elle les renvoie à leur propre petitesse, les questionne.
Viendra le feu montre les derniers vestiges d’un monde rural en voie de disparition. Cette séquence d’ouverture de l’eucalyptus et celle finale de l’incendie sont deux mêmes mouvements symphoniques incarnant une nature à l’agonie.

LES ANIMAUX

Leur regard profond et tendre nous scrute, ils interrogent notre humanité. Ils sont le médium entre le profane et le sacré, entre La réalité et la fiction. Les regards du chien, des vaches, des chèvres, du cheval brûlé nous invitent en retour à altérer le nôtre.

LA FATALITÉ

J’aime beaucoup l’image du violon et de l’étui qui le contient pour ce qu’il dit de la marge de manoeuvre de l’être humain. Cette latitude est infime : pas plus grande que l’espace entre l’instrument et son étui. Ainsi Amador n’a guère le choix que de se soumettre à un déterminisme, ou à un dessein qui le dépasse.
L’être humain est petit, trop assujetti à une nature immense, imprévisible et ingouvernable. Mais dans ce film l’humain ne se confronte pas à la nature, ne la défie pas. Il se fond avec elle. Il accepte son rôle, comme Amador, Benedicta et leurs animaux acceptent leurs rôles. Ils sont souverains et libres dans leur soumission à elle.
Le titre galicien du film, O que Arde, pourrait se traduire par Ce qui brûle. Viendra le feu, le titre français, a quelque chose de plus prophétique, qui renvoie à la fatalité, à une intuition crépusculaire.

UN TOURNAGE AU RYTHME DES SAISONS

Pour filmer le feu, il faut filmer avec du feu. On suit un entraînement physique et théorique de pompier. On tourne un premier été avec une équipe technique restreinte, sans acteurs, pour faire des essais et comprendre ce que le film exige de nous. On ne sait pas si la pellicule (on tourne en Super 16) va se voiler à la chaleur, les objectifs fondre…. Si les pompiers vont nous laisser les accompagner. Quinze jours durant, on est à l’affût. On écoute sans cesse la radio : à la moindre alerte au feu, on suit les brigades, on filme. Petit à petit on gagne leur confiance et leur respect. Puis l’hiver arrive… on filme les âpres conditions de vie qui ouvrent la première partie du film. Les gestes sont lents, engourdis par le froid. Les regards plongeants et rares. Amador est de retour et promène ses tourments sur les sentiers détrempés et sous les ciels mouillés de la Galice. L’hiver de la Galice est l’hiver d’Amador, son refuge. Survient le printemps qui voit les corps se délier, les animaux sortir au grand air. On passe de la contraction de la nature à sa dilatation. Amador dévale les flancs des montagnes au secours de ses bêtes. Le temps a passé, les saisons se sont succédé, et on pourrait croire avec Amador en une rédemption possible, un soulagement prochain.  L’été suivant, on était prêt à répéter l’expérience mais avec nos acteurs, deux jeunes pompiers qui font leur baptême de feu, les voisins qui essaient de protéger leurs maisons face aux flammes attendues… Mais 2018 a été l’un des étés les plus pluvieux de l’histoire de la Galice : très peu d’incendies donc. Encore la nature qui impose ses règles, qui éprouve notre capacité d’acceptation, notre soumission, notre respect. Quand les deux semaines de tournage arrivent à leur terme, soudain le feu apparaît.
Ce fut une chose troublante que d’appeler le feu redoutable. Nous voulions ce qu’on ne peut empêcher en Galice. Mais ce n’était pas tout de vouloir le feu, il aura aussi fallu qu’il veuille de nous.

D’après le Groupement National des Cinémas de Recherche (GNCR).

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