Nana Ekvtimishvili

Née le 9 juillet 1978 à Tbilissi

Géorgie

Réalisatrice

Eka et Natia, chronique d’une jeunesse géorgienne.

 

 

Entretien avec Nana Ekvtimishvili et Simon Gross, réalisateurs.

Comment est né UNE FAMILLE HEUREUSE ?

Nana : J’ai grandi en Géorgie, du coup le film se nourrit de mon expérience. J’ai toujours été étonnée de voir ma mère consacrer son existence entière à sa famille. Elle a toujours fait passer ses enfants, son mari et ses proches avant tout le reste, y compris sa vie personnelle et son travail. Elle nous a tout sacrifié et elle continue de le faire. Ma sœur et moi, une fois adultes, lui avons demandé d’en faire moins, de prendre plus de temps pour elle. D’une certaine manière, ma mère a grandi avec nous, et nous avons eu un jour l’heureuse surprise de découvrir qu’elle avait commencé à prendre des cours de piano et qu’il lui arrivait même de jouer à la maison des morceaux parmi les plus faciles de Mozart. J’ai vraiment l’impression de parallèles entre mon vécu et ce film.

Simon : Moi j’ai grandi en Allemagne, et pourtant j’ai aussi l’impression qu’il y a des choses en commun entre mon enfance et le film. Mes parents ont divorcé quand j’avais 9 ans. C’était au milieu des années 80 à Berlin-Ouest, une époque et une ville où le mouvement de libération de la femme hérité de 1968 était encore très présent. Mon père a continué à s’occuper de ma sœur et moi, et pourtant c’était ma mère qui était en charge de la marche quotidienne de nos vies. Elle vivait principalement pour nous, ses enfants, et d’ailleurs elle ne s’est jamais remariée. Le film parle aussi de la société contemporaine géorgienne… Simon : En tant que cinéastes, nous cherchons avant tout à trouver la meilleure histoire à raconter. Ce n’est qu’une fois le film terminé que nous avons suffisamment de recul pour pouvoir l’appréhender complètement et comprendre ce qu’il peut éventuellement signifier en plus. En l’occurrence, nous n’avons jamais eu l’ambition de faire le portrait d’un pays, mais c’est possible de percevoir en Manana une certaine idée de la femme géorgienne d’aujourd’hui.

Vous ne jugez pas vos personnages. L’objectivité et la bienveillance sontelles constitutives de votre manière de raconter une histoire ?

Simon : Il existe toujours une part de subjectivité dans nos jugements, même quand nous les pensons les plus objectifs possibles. C’est pourquoi, au lieu de juger chacun de nos personnages, nous essayons de tous les aimer du mieux que nous pouvons.

Nana : Il est communément admis en littérature et en cinéma que l’auteur est supérieur au commun des mortels, ce qui l’autorise à regarder les autres de haut, pourtant les temps changent, et cela paraît de plus en plus ridicule. Ce n’est pas parce que vous faites un film ou que vous écrivez un roman que vous êtes meilleurs que les autres, que vous valez plus qu’eux, que vous pouvez les juger.

Tout au long du film, la ville de Tbilissi se rappelle aux spectateurs au point de devenir un personnage à elle seule…

Simon : Cela était primordial pour nous. Il n’y a jamais de hasard dans le choix d’une ville où se déroule un film. Nous avons passé beaucoup de temps en amont du tournage à chercher les lieux qui conviendraient le mieux à nos personnages. Il est important que le public ait l’impression que ceux-ci vivent réellement là où ils évoluent, qu’ils y aient un quotidien bien établi. La ville donne une impression de réalité à la fiction. En l’occurrence, Tbilissi est le lieu de vie de nos personnages et c’est vrai qu’elle est aussi un personnage en elle-même. La nature a aussi sa place dans la ville et dans le film : les oiseaux qui volent dans la rue, le vent qui souffle à travers les arbres, le soleil qui entre par la fenêtre… Est-ce aussi une manière de représenter à l’écran l’humeur de Manana, d’une femme qui veut juste vivre seule et en paix ?

Nana : Oui. Tous les sons ont leur importance. Ce sont autant de moyens de transcrire l’humeur des personnages. Manana est comme un nouveau-né dans sa nouvelle vie, du coup elle redécouvre le monde qui l’entoure et dans lequel elle évolue. L’utilisation de la lumière participe aussi à l’immersion dans le film.

Comment travaillez-vous avec Tudor Vladimir Panduru que l’on connaît pour son travail de chef opérateur avec Cristian Mungiu ?

Simon : D’abord nous prenons le temps d’analyser avec Tudor le scénario et le sens de chaque scène. Ensuite nous choisissons ensemble les différents décors où nous allons tourner. Ce choix s’effectue généralement en fonction de l’atmosphère et la lumière des lieux visités. Quand nous sommes entrés pour la première fois dans l’appartement qui allait devenir celui de la famille de Manana, nous avons ainsi été frappés par la lumière naturelle qui filtrait à travers les grandes fenêtres tout le long du balcon. Je crois aussi que Tudor est très inspiré par ce qu’il voit et qu’il l’intègre au film.

La musique et les chansons populaires géorgiennes sont complètement intégrées au récit. Comment les avezvous choisies ?

Nana : Elles étaient déjà là au stade de l’écriture. Quand nous construisons nos personnages, nous essayons de nous mettre à leur place, de savoir ce qu’ils ressentent, ce qu’ils aiment. La musique peut ainsi aider à forger l’identité d’un personnage. Cela dépend du style de musique qu’il écoutera ou peut-être n’en écoutera-t-il pas du tout.

Simon : En l’occurrence, nous n’avons pas de musique spécialement écrite pour le film. Nous n’aimons pas en ajouter au montage, cela nous paraît superflu. Ce que vous entendez, ce sont seulement les musiques et les chansons que nos personnages écoutent ou chantent euxmêmes. Tout vient directement du film luimême. Avez-vous des cinéastes de référence, des films qui influencent votre travail ? Nana : Nous sommes évidemment influencés par un certain nombre d’œuvres et d’artistes : nous aimons Ozu, Fellini, Visconti, Truffaut, Tati… Il n’est d’ailleurs pas possible de citer tous les cinéastes qui comptent pour nous, pour autant nous n’y pensons jamais quand nous faisons nousmêmes un film.

Quand vous êtes derrière la caméra, qu’une équipe entière attend que vous preniez les bonnes décisions, aucune influence ou référence ne peut vous aider. Vous êtes seul maître à bord.

Simon : Quand nous faisons un film, nous discutons plus volontiers de choses concrètes, de la vraie vie, que des films que nous aimons. Nous envisageons nos personnages d’après notre propre point de vue. Je pense qu’il est nécessaire de mettre de côté tout ce qui peut vous influencer quand vous-même vous cherchez à créer, sinon il y a toujours le risque de copier et faire moins bien que vos modèles.

Vous réalisez vos films à quatre mains. Comment répartissez-vous le travail entre vous ?

Nana : Nous faisons tout ensemble au point que j’ai parfois l’impression que nous sommes une seule personne qui aurait deux cerveaux, quatre yeux et quatre oreilles. Nous partageons la même vision et la même approche que ce soit pendant l’écriture ou le tournage. Sur le plateau, nous sommes toujours côte-à-côte, nous sommes complètement synchronisés.

Comment avez-vous choisi Ia Shugliashvili qui interprète le rôle de Manana avec autant de force que de douceur ?

Simon : Nous avons commencé le casting plus d’un an avant le tournage. Ia a été une des premières comédiennes que nous avons rencontrées et elle nous a immédiatement frappés par sa force et son naturel que ce soit pendant les lectures ou devant la caméra. Et même si nous ne souhaitions pas prendre notre décision aussi tôt, elle s’est imposée à nous comme une évidence. Au fil de nos rencontres, nous avions vraiment le sentiment qu’elle était chaque fois un peu plus liée à Manana.

Comment travaillez-vous avec vos comédiens ? Les laissez-vous improviser ? Sont-ils impliqués dans votre processus créatif ?

Nana : Ils sont complètement impliqués. Nous faisons ensemble de nombreuses improvisations qui servent à nourrir les personnages et l’histoire. Nous n’avons pas l’habitude de leur donner trop de directives au cours des premiers jours, nous les laissons prendre la direction qu’ils estiment la meilleure, et ensuite nous élaborons ensemble notre « mise en scène ».

Finalement, UNE FAMILLE HEUREUSE n’est-il pas un titre un peu ironique ? Nana : En fait non. Nous pouvons comprendre qu’il puisse paraître ironique au regard de ce que le film raconte, mais pour nous c’est avant tout un titre qui se veut honnête et sincère voire un peu mélancolique.

Nana et Simon, dossier de presse, mementofilm.com

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