
De Abdellatif Kechiche France 2025 2H 14
Avec : Shaïn Boumedine, Ophélie Bau, Jessica Pennington…
Drame
« Des années ont passé depuis Canto Uno. Des années de silence, de travail, et de bouleversements. Revenir aujourd’hui avec Canto Due, c’est retrouver des visages aimés, des corps, des voix. Les mêmes, et pourtant, quelque chose a changé. Je ne les avais jamais vraiment quittés, mais ce retour est pour moi aussi une forme de retrouvailles, où je réalise que le regard, lui, s’est laissé traverser. Il s’agit du même été, pourtant. Mektoub My Love n’est pas une trilogie au sens classique. Les deux chants et l’intermède qui les sépare viennent d’un seul tournage, d’un même geste, d’un même élan. Trois mouvements pour tenter de saisir quelque chose du vivant, du désir, de la jeunesse. Comme des variations, non figées. Avec le recul, j’ai l’impression que si Canto Uno célébrait la beauté, l’élan, le désir, dans une forme jaillissante, Canto Due lui fait écho, autrement. Tourné dans la même urgence, il explore une autre tonalité. Les corps dansent encore, les rires résonnent, mais le récit se tord, le réel s’y infiltre et l’innocence du premier se heurte à des malentendus. On glisse vers un désenchantement. « Depuis 20 ans, je n’ai plus cessé de rire. C’en est troublant presque inquiétant, une anomalie, car il y aurait plutôt de quoi pleurer » écrivait Bégaudeau dans La Blessure, la vraie. Il y a quelque chose de ce rire-là dans Canto Due. Rire malgré tout. Les couples se séparent, l’actrice ne veut plus jouer, la mère ne veut pas de l’enfant. Tout cela vient creuser une forme de mélancolie qui ne se prend pas vraiment au sérieux, et qui se rit plutôt d’elle-même, comme pour s’excuser d’être là On a souvent lu dans le titre « Mektoub, my love » l’évocation du destin. C’est vrai, oui, mais dans le sens de l’écrit. Cette écriture qui cherche à organiser le chaos en récit, mais qui bride parfois l’élan, en s’efforçant de contenir tout débordement, et qui nous retient dans une limite, celle de l’acceptable, du format. « My love », est ce qui déborde, ce qui échappe à la forme, ce qui se donne sans se plier. Pourquoi cet instant qui m’émerveille devrait-il toujours céder à l’intrigue ? « C’est écrit, mon amour ». Parmi les trois volets, Intermezzo a sans doute été le plus radical. Trop diront certains. Peut-être. Pourtant, la question de ce qu’il est encore possible de montrer, de partager, traverse en réalité chacun de mes films, même si Intermezzo en a porté l’éclat brut, jusqu’à l’excès. Résister à la durée accordée aux instants de vie, souvent conditionnée au récit. Laisser la vie faire irruption, parfois même sans justification. Le corps nu, désirant, qui m’a toujours semblé le plus évident des manifestes de liberté, de beauté, d’innocence, même si aujourd’hui, il inquiète.. Or tout ce qui s’écrit est déjà menacé par ce qui lui résiste. Canto Due, sous ses airs de retour à une forme plus classique, joue quelque part de cette tension. Il annonce des trajectoires puis s’en écarte. Il glisse d’un genre à l’autre, propose un cadre, pour mieux s’en échapper. Il reprend des codes pour entrouvrir des brèches de liberté. Il interroge inlassablement l’écrit qui le bride. Je n’ai plus envie d’expliquer, ni même de me justifier. Ce film, je l’ai porté longtemps, parfois à contre-courant. Il m’a épuisé, il m’a fait tenir aussi. Il m’a traversé. Il appartient maintenant à ceux qui vont le voir »..
