L’auteure-compositrice-interprète italienne Margherita Vicario fait ses débuts à la réalisation avec Gloria!, une histoire mélodique située dans les années 1800, dans un orphelinat/conservatoire dont il est difficile de s’échapper, mais qui est aussi le lieu où la servante Teresa (Galatéa Bellugi), isolée des autres et apparemment muette, découvre les joies de la musique en s’associant avec un groupe de filles talentueuses. Vicario détaille pour nous ce film qu’elle a présenté en compétition à Berlin.
Cineuropa : Qu’est-ce qui vous a donné envie de vous diriger vers la réalisation ?
Margherita Vicario : J’ai tout simplement toujours voulu le faire. C’était un grand rêve. J’ai commencé comme comédienne, et puis je me suis dirigée vers l’écriture de chansons, mais j’ai toujours travaillé sur de possibles idées de films.
Celle-ci m’est venue avant même que je ne décide de la mettre en scène moi-même. J’étais occupée par ma musique, il n’y avait jamais assez de temps, et puis j’ai rencontré un producteur et je me suis entendu dire : « Est-ce que vous avez une histoire ? ». J’avais déjà commencé mes recherches, donc j’ai dit : « Eh bien oui ». Je ne conçois pas le fait de m’être lancée dans la réalisation comme un si gros changement que ça, parce qu’au bout du compte, j’ai envie de tout faire.
Vous avez même été sur le tournage d’un Woody Allen [To Rome with Love [+]], donc vous n’êtes pas exactement une débutante. Dans Gloria !, vous montrez la joie que la musique peut apporter. C’est toujours ça que vous ressentez ?
Bien sûr. Ce n’est pas juste de la joie, c’est l’extase de la musique. Pour moi, c’est un sentiment vraiment puissant. La musique est une joie quand on est seul, mais aussi quand on est entouré d’autres personnes. J’aime jouer pour des gens, c’est vraiment bon, de pouvoir exprimer tous ces sentiments de cette manière.
Dans le film, quelqu’un dit : « Je chante mes pensées ». C’est tout simple, mais ça a beaucoup de sens.
Pour une auteure-compositrice, là est tout le secret. Bien sûr, dans la pop, on a souvent toute une équipe de gens qui travaillent ensemble sur la chanson parfaite, mais n’empêche, j’aime bien ça, quand on entend quelque chose et qu’on a l’impression de comprendre la personne qui l’a écrit.
Pendant la projection, deux personnes assises à côté de moi dansaient en rythme pendant le film.
Peut-être que c’était mes amis. Il y en a beaucoup qui sont venus à Berlin [rires] ! Ça va paraître banal, mais je pensais beaucoup au rythme, à Charlie Chaplin dans Les Temps modernes ou aux vieux films Disney. Mais il y a ici aussi un sens plus profond : Teresa mène une vie très difficile. La musique est son seul refuge.
Les films historiques vous surprennent parfois, quand ils utilisent de la musique contemporaine, comme Marie Antoinette, par exemple. Ça peut produire un contraste très puissant, mais pourquoi avez-vous fait ce choix ?
Je voulais que ce film soit réaliste, même si c’est une fable, et j’ai vu la créativité de ces filles comme quelque chose de très personnel, mais aussi d’interne. Personne ne sait rien d’elles ! Nous n’avons pas beaucoup de compositions issues de ces orphelinats qui restent. Maddalena Laura Sirmen [compositrice italienne née en 1745] est une des rares dont on se souvient. Son travail existe parce que son maestro lui a dit, en gros : « Vous avez du talent, mais il va falloir épouser un musicien. C’est la seule manière pour vous de continuer ». Dans mon idée, Teresa pouvait jouer tout ce qu’elle voulait : après tout, elle n’a pas eu une formation classique. Je suis musicienne autodidacte aussi. C’est ce qu’elle imagine qui compte. Ce n’est pas précis, évidemment, mais ça fait partie de ce rêve.
Une de ses camarades de sessions nocturnes, Lucia, veut partager ses compositions avec leur enseignant, mais sa demande est immédiatement rejetée. Ce moment précis, quand on ne vous accorde même pas une chance, c’est une situation que vous reconnaissez ?
Bien sûr. Ça s’est produit au tout début de ma carrière. Quelqu’un m’a dit : « OK, je suppose que j’entends ce que vous faites ». C’est la chose la plus douloureuse, quand les autres pensent qu’ils savent déjà ce dont vous êtes capable et qu’on ne vous donne jamais de chance, sans raison apparente. L’histoire de la musique déborde de cas de ce type. Pour créer, il fallait être la fille de quelqu’un ou sa femme. Les compositrices ont fini par pouvoir connaître le succès, mais beaucoup les méprisaient tout de même.
Gloria ! parle aussi du fait que ces filles apprennent à travailler ensemble. Le film repose sur un socle de solidarité féminine, mais vous n’êtes pas non plus trop idéaliste par rapport à cette dynamique. Elles se disputent aussi.
J’ai des soeurs, et parfois on se déteste vraiment. Je pense qu’on est enfin en train de se débarrasser de l’idée que les femmes se jalousent entre elles. Ça peut arriver, bien sûr, mais les hommes contribuent à perpétuer cette croyance. Ça me paraît vieillot, ça ne m’intéresse pas. Quand j’étais jeune, je n’avais pas énormément d’amies femmes, mais plus je prends de l’âge, plus ça change. On se met à apprécier la sororité, c’est un lien vraiment fort.
D’après Marta Balaga pour Cineuropa du 24/02/2024.