Né le 10 août 1971 à Palerme, Sicile
Italie
Réalisateur, scénariste, producteur
Melissa P, A Bigger Splash, Call me by your Name
Le réalisateur italien Luca Guadagnino a de quoi être heureux : son film Call me by your name, adapté du roman d’André Aciman, fait la quasi-unanimité de la critique et des salles de cinéma. Il est notamment en lice pour l’Oscar du Meilleur film, mais aussi celui du Meilleur acteur (Timothée Chalamet), du Meilleur scénario adapté et de la Meilleure chanson originale. Pourtant, c’est un Luca harassé par la promotion du film que l’on interviewe à Paris. Il connait bien TÊTU. Son homosexualité, il n’en parle presque jamais. On a voulu en apprendre un peu plus sur lui.
TÊTU. Avez-vous été surpris par le succès du film, pensez-vous que c’est parce qu’il s’agit d’une romance entre deux garçons et que ces histoires semblent avoir le vent en poupe ?
Luca Guadagnino. Oui, j’ai été surpris, c’est toujours très intéressant de voir comment le fruit de votre travail et de vos efforts se répand dans le monde, et de voir comment le monde le reçoit. J’essaye de rester humble dans la mesure où le film crée des émotions très fortes chez les gens. Mais je ne sais pas s’ils aiment le film parce qu’il contient, au milieu de tous les autres personnages, deux hommes qui tombent amoureux… Je chercherais plutôt les indices du succès du film dans le fait que les gens savent qu’il parle de compassion. C’est un film qui vous fait littéralement plonger dans les yeux de l’autre. Et accueillir l’altérité de l’autre. Ne pas essayer de posséder l’autre mais se tenir prêt à être changé par l’autre, endosser totalement la radicalité de la rencontre de l’autre. Je pense que les gens adorent ça dans les films. Pas dans un sens intellectuel mais dans un sens émotionnel.
Dans A Bigger splash, c’était déjà un film qui parlait de quatre personnages dans des relations amoureuses complexes les uns avec les autres…
A Bigger splash ne parle pas de ça en fait. Il parlait de ce que la nostalgie crée dans les gens, et de comment elle peut être une arme, voire un instrument qui conduit au suicide. Vous assistez aux effets de la nostalgie dans la vie de quatre personnes, des effets si puissants que le seul moyen de survivre est de tuer.
Mais il y a aussi Marzia (Esther Garrel) et Chiara (Victoire du Bois) dans Call me by your name… Pensez-vous que l’amour doit être partagé ?
Je pense que le désir ne peut pas être contraint par des barrières, qu’elles soient des barrières normatives ou faites à des minorités. Je pense que le désir s’en fout.
Donc la réponse, c’est oui ?
(Sourire) Peut-être.
Combien de langues parlez-vous ?
Je parle anglais et italien et j’aime parler français même si je suis assez nul.
Pour quelles raisons avez-vous voulu rendre le film multilingue ?
J’ai casté Timothée Chalamet, qui est à moitié Américain et à moitié Français. J’ai pris conscience qu’au lieu de faire un film italo-américain j’allais faire un film italo-franco-américain. J’ai aussi pu mettre Amira Casar au casting, une actrice que j’aime très profondément. A partir de là, j’ai imaginé qu’ils pouvaient avoir des amis venant de Paris les voir pendant l’été. On voulait augmenter cette contamination des langues.
Il y aussi de l’allemand !
Oui, car Amira joue une traductrice.
Il y a tout de même des similitudes assez flagrantes entre vos deux derniers films : du soleil, des piscines, des gens beaux. Vous décririez-vous comme un épicurien ?
C’est une chose que les gens me disent souvent. Je ne sais pas. Je voudrais juste qu’on me laisse tranquille ! Je ne parle pas de votre question mais de la vie. Peut-être suis-je un épicurien, mais la vérité c’est que je suis en paix quand on me laisse tranquille, entouré des gens avec qui j’aime être.
Vous n’aimez pas être entouré de trop de monde, c’est ce que vous dites ?
Je ne pense pas que je sois un vrai épicurien car alors j’aurais besoin de toujours aspirer à quelque chose que je n’ai pas, à aller vers des expériences différentes… Et je ne pense pas avoir ce genre de désir. Mon but est d’être silencieux.
Mais il y a toujours de la bonne nourriture, des lieux superbes, de très belles actrices et de très beaux acteurs…
Vous savez que le lieu où nous avons tourné le film, dans le nord de l’Italie, est réputé pour n’être pas un endroit beau ! C’est le point de vue qui rend le lieu beau.
Pourquoi avez-vous choisi de montrer une histoire d’amour gay ?
Je ne pense pas avoir montré une histoire d’amour gay. Dites à vos lecteurs que ceci n’est pas un film gay.
Je pose la question car vous n’aviez pas encore filmé d’homos. C’est nouveau dans votre carrière !
Non, j’ai toujours exploré le désir. C’est quelque chose que je connais, quelque chose dans lequel je me suis même noyé. Et je ne pense pas que le fait qu’il y ait dans ce film deux hommes partageant leur intimité le rende si différent de ce que j’ai pu faire auparavant.
Vos deux personnages évoluent dans un environnement privilégié et les parents d’Elio sont très aimants. Etait-ce le cas pour vous aussi ?
Ils ont surtout le privilège d’accorder de l’importance à la culture. Mais d’un point de vue sociologique, je ne pense pas qu’ils soient privilégiés : ses parents sont professeurs d’université. Ils ont hérité d’une maison qu’ils devront vendre un jour. Ils sont privilégiés car ils ont eu l’opportunité en 1955 d’aller à l’université. Vous le voyez avec les yeux de 2017, où aller à l’université ne va plus de soi. Aujourd’hui, l’idée anglo-saxonne qu’il faudrait acheter la culture pervertit notre société. Pour aller à Harvard, vous payez des milliers. Moi je suis allé à la fac à Rome, et je n’ai rien payé. Et je pense que mon éducation a été la même.
Je voulais aussi dire qu’Elio était privilégié dans la mesure où son « coming out » n’en est pas vraiment un, et que ses parents l’acceptent totalement.
Je pense que coming out est un problème intériorisé. Il s’agit de la position de la victime. Vous pouvez choisir si vous voulez devenir une victime ou pas. Vous pouvez décider si l’identité qui est la vôtre sera un problème ou sera naturelle. Et bien sûr cela dépend de l’environnement dans lequel vous vous trouvez. Mais vous pouvez faire en sorte de rejeter fièrement et avec grâce l’idée selon laquelle votre identité devrait devenir un problème. Donc souvent, c’est un problème dans la tête. Si nous pouvions nous forcer de ne pas nous sentir oppressé, d’externaliser le problème, tout serait plus simple.
Et vous connaissez beaucoup de gays qui ont pu s’en sortir aussi facilement avec cette question ?
Moi-même. Moi-même ! Je suis une preuve vivante de cela. Mes parents ne sont pas aussi éclairés que les parents d’Elio dans le film mais je ne les ai pas autorisés à me mettre dans un cadre. J’ai décidé. J’espère que ce film aidera les gens à faire en sorte que personne ne puisse les mettre dans une position de victime.
Comment voyez-vous Elio ?
Elio est comme l’eau qui coule de la montagne. Il est une cascade. Il est libre. Je n’ai pas eu les mêmes parents que lui et pourtant je me sens tout aussi libre.
Donc le coming out pour vous, ça a été simple ?
Je n’ai pas fait de coming out. C’est une manière très anglo-saxonne de voir les choses, tout doit entrer dans une boite. La notion de coming out, c’est un storytelling totalement édité et séquencé, comme dans un film. Mais la vie, ce n’est pas du storytelling. Pensez-vous que la vie soit éditée comme un roman ?
Non, mais…
Pouvez-vous le faire partager avec nos charmants lecteurs de TÊTU ? S’il-vous-plait. Si j’ai bien fait un coming out, c’est en tant que réalisateur. J’ai pris conscience de ça à l’âge de 8 ans. Et je n’ai cessé de le répéter jusqu’à que ce soit possible. Ça fait de moi qui je suis. Plein de gens ne m’ont pas compris pendant des années. Quand j’ai fait ma première carte d’identité à l’âge de 22 ans, j’ai écrit « metteur en scène » et mon père m’a dit : « Tu es si stupide… » Un réalisateur est celui qui construit un monde et doit convaincre beaucoup de monde de le suivre dans une aventure coûteuse. Ça demande beaucoup d’aplomb.
Le père fait-il un vrai « coming out » à la fin ?
Les gens me le demandent beaucoup, mais je ne sais pas… Qu’en pensez-vous ?
Je pense que oui.
Je respecte ce point de vue. Pour ma part je ne veux pas y répondre, car j’adore savoir ce qu’en pensent les gens.
Vous semblez aimer les personnages d’intellectuels, comme le père d’Elio…
J’ai toujours été attiré par les intellectuels et les artistes, j’aime être entouré par eux.
Oliver est agaçant au début du film. Il affecte une très grande confiance en lui… Vous vouliez qu’on le déteste un peu ?
J’ai respecté ce que dit le livre [d’André Aciman, ndlr]. Il arrive, et tout s’arrête. Mais il y a peut-être un peu de timidité derrière cette assurance. Elio n’a pas peur de le séduire, il est courageux, il veut des défis.
Agit-il de la sorte parce qu’il est dans le placard ?
Oui, des deux personnages, c’est Oliver qui est le plus dans le placard. Je pense qu’il y a une forme de puritanisme en Oliver qui vient de son éducation américaine.
Avez-vous pensé à embaucher des acteurs gays pour jouer ces rôles, comme Robin Campillo dans 120 Battements par minute ?
Non, cette idée m’effraie. Il faudrait demander aux gens leur sexualité ? Ca ressemble aux années 1940 en Europe. Moi, je ne sais pas. En lisant Freud, j’ai appris que ce que nous disons n’est pas forcément ce que nous voulons dire. Je sais des choses sur moi, ou un peu sur mon partenaire peut-être, mais je ne me fie pas à ce qu’on dit des figures publiques.
Je vous parle par exemple d’une actrice comme Ellen Page qui a clairement dit : « Je suis lesbienne ».
Eh bien, si j’ai un super rôle pour Ellen Page qui tomberait amoureuse d’un garçon, je lui proposerais, et j’espère bien qu’elle dira oui ! Ou alors ça veut dire que Jonathan Demme (Le Silence des agneaux) aurait dû caster un cannibale pour jouer Hannibal Lecter.
Par Adrien Naselli le 27/02/2018 pour « TÊTU ».