Né le 24 décembre 1964 à Firminy
France
Réalisateur, scénariste
Mon Amie Victoria, Ni d’Eve ni d’Adam, Des Filles en Noir, Toutes ces Belles Promesses, Mes Provinciales
Entretien avec Jean Paul Civeyrac
Qu’est-ce qui vous a conduit à réaliser ce film-là, maintenant ?
Ce film est très lié à ma rencontre avec Frédéric Niedermayer, mon producteur. On avait envie d’un film peu onéreux, qui pourrait se faire rapidement. J’ai écrit le scénario en deux mois, et quatre mois plus tard, on tournait ! Tout s’est fait dans un rapport de confiance, dans une énergie qui n’a jamais faibli, un peu comme dans un rêve
tant tout s’est enchaîné de façon quasi miraculeuse, en rencontrant à tous les stades de la fabrication du film des personnes que le projet enthousiasmait (distributeurs, acteurs, équipe technique, etc).
Quant au scénario lui-même, qui raconte des histoires d’étudiants en cinéma, il a plusieurs sources qui se sont cristallisées d’un seul coup. D’abord mon expérience personnelle : ayant été étudiant à la Fémis, y ayant ensuite dirigé le département de réalisation, et enseignant maintenant à Paris VIII, j’ai été depuis 30 ans en contact permanent avec des étudiants en cinéma. C’est donc un sujet que je connais bien. Il y a eu aussi les petites fictions réalisées pour le site d’Arte, « Blow Up », dans lesquelles j’ai mis en scène des personnages parlant de cinéma – par exemple, « Une heure avec Alice », avec Adèle Haenel et Grégoire Leprince-Ringuet, à partir des « Amours d’une blonde » de Milos Forman. Et puis, la découverte de « La porte d’Ilitch » de Marlen Khoutsiev a été aussi déterminante. Ce film, qui m’a ébloui, est l’histoire d’une amitié entre trois jeunes garçons au départ de leur vie. Je l’ai vu en juin 2016 ; en juillet, je commençais à écrire.
En imaginant un récit en forme d’éducation sentimentale, je voulais parler de cinéma, d’amitié, d’amour et de politique aussi, et réaliser un film un peu comme un premier film, dans une urgence – même si, bien entendu, il n’aurait pu être ce qu’il est devenu sans l’expérience de tous mes films précédents.
La ferveur des étudiants pour le cinéma est-elle une flamme immuable ?
Oui, bien sûr, mais parmi l’ensemble des étudiants, seule une minorité la possède réellement. À cet âge-là, beaucoup se cherchent encore ou sont simplement attirés par le milieu du cinéma, et souvent, s’ils y trouvent ensuite une place, ils ne réalisent pas de films. La ferveur cinématographique dont parle « Mes provinciales » est celle qui anime tous ceux pour qui faire des films est une quête existentielle. Ils doivent être à la hauteur de l’idée qu’ils se font de leur art et d’eux-mêmes ; et c’est bien sûr la vie qui va se charger de leur apprendre où ils se trouvent exactement.
Vous aussi avez été un provincial qui monte à Paris étudier le cinéma.
Oui, j’habitais près de Saint-Étienne, et l’arrivée à Paris a été un bouleversement considérable. Vu de Firminy, venir à Paris où je ne connaissais personne, c’était comme aller à Tokyo : c’était la grande aventure ! Mais à la Fémis, une bonne moitié de ma promotion venait de province. Dans la petite bande de quatre ou cinq que nous formions, cela aussi nous rapprochait. On se retrouvait à la Cinémathèque, on dialoguait avec des critiques parisiens qu’on avait lus, avec des cinéastes qu’on aimait. Le monde du cinéma, vécu jusqu’alors depuis la solitude de nos chambres d’adolescents, soudain se concrétisait. Durant toutes ces années, quelqu’un comme Jean-Claude Biette, par exemple, a énormément compté pour moi. Et puis, plus concrètement, venir à Paris, c’était aussi régler les difficultés de logement et d’argent. Heureusement, comme beaucoup à la Fémis, j’étais boursier. D’une certaine fa çon, filmer Paris en noir et blanc, c’était tenter de lui conférer quelque chose de romanesque, de restituer un peu de cette aventure que vit tout provincial en la découvrant, c’est-à-dire, au fond, de lui donner une beauté toute particulière.
Un autre thème du film, c’est le passage du rêve au réel.
Seul en province, on se sent doué, invincible, mais arrivé à Paris, on se confronte aux autres. Cela crée une émulation mais aussi une sorte de concurrence. On est soudain confronté à ce qu’on fait, à ce que l’on peut faire, on quitte le rêve flou de ce que l’on croyait être capable de faire. C’est brutal, douloureux, on tombe parfois dans des trous abominables. La scène où il faut sortir Etienne de son lit parce qu’il ne veut pas aller tourner, et bien je l’ai réellement vécue. J’étais tellement convaincu que ce que je faisais était mauvais que je ne voulais plus me montrer ! Ainsi, dans le film, Etienne va peu à peu se mesurer aux autres, à lui-même, et découvrir ses propres limites.
Le titre « Mes provinciales » semble jouer sur plusieurs tableaux…
D’un côté, il évoque les jeunes filles avec lesquelles Etienne a des relations sentimentales – j’ai pensé à « Mes petites amoureuses » de Rimbaud –, et de l’autre, il fait bien sûr référence à Pascal, et notamment à ce qu’il dit de l’imposture, de la pureté des intentions en conformité avec les actes. Peu à peu, Etienne apprend à ne pas se mentir à lui-même, à ne pas s’illusionner sur ses propres capacités, artistiques et sentimentales. Par exemple, à ne pas s’imaginer fidèle quand il ne l’est pas.
Le film est très autobiographique ?
Le film mêle de façon très libre des expériences vécues et de la fiction pure. C’est donc plus de l’auto-fiction que de l’autobiographie. Mais il est vrai que c’est sans doute la première fois que j’ai si peu de distance avec mes personnages, que je les connais aussi intimement. J’ai pu parler à chaque acteur très précisément et très longuement de son personnage, du texte, du sous-texte, des références en jeu. Pendant la préparation, on a fait beaucoup de séances de travail dramaturgique, comme au théâtre. J’ai tenté de leur transmettre un peu de cette ferveur cinématographique, et ils ont plongé dans leur rôle avec une générosité et une avidité qui, aujourd’hui encore, m’impressionnent beaucoup. Comme nous avions décidé de tourner sans attendre, l’élan qui s’est créé pendant ces répétitions ne s’est heureusement pas perdu.
Les acteurs de votre film sont quasiment inconnus.
Travailler avec de jeunes acteurs est toujours un grand plaisir. À chaque film, ils me donnent la sensation que moi aussi, je suis au début, que je recommence quelque chose. Vierges de leur image, ils sont d’une grande disponibilité, et d’une émouvante humilité.
Dans « Mes provinciales », il y a comme un écho entre ces acteurs et ces personnages d’étudiants en cinéma. En effet, ces étudiants, que je côtoie toute l’année à Paris 8, et qui ont beaucoup inspiré le scénario en se mêlant à l’auto-fiction liée à mon propre passé d’étudiant, partagent quelque chose avec ces acteurs en devenir : ils commencent tout juste à faire des films, ils sont incertains de leur talent, inquiets de l’avenir que le monde leur réserve (socialement mais aussi écologiquement, politiquement, etc), ils manifestent à la fois une innocence et une lucidité qui, souvent, les amènent à un fort engagement. Qu’ils soient incarnés dans le film par la façon d’être et de parler d’une nouvelle génération
d’acteurs du cinéma français a permis, me semble t-il, de trouver une justesse de représentation, et par là, de toucher à des problématiques et à des émotions très contemporaines.
Comment avez-vous procédé, pour faire le casting ?
Pour le casting, je ne prends jamais une scène extraite du scénario : la voir jouer tant de fois finit par l’user, et le jour où on doit la tourner, elle n’inspire plus grand chose de vivant. Je préfère donc écrire une nouvelle scène mettant en scène les personnages du film. Pour « Mes provinciales », j’ai écrit un dialogue où il était question d’art et de son importance dans la vie, car, dans le film, les discussions au sujet du cinéma devaient être parfaitement crédibles. Certains acteurs passant le casting ne parvenaient pas à donner l’illusion de savoir de quoi ils parlaient. Cela a permis de faire un premier choix. Ensuite, j’ai ajouté une deuxième partie à la scène où l’un des personnages avouait son amour à l’autre, et ceci afin de me permettre de voir comment les acteurs, à qui on demandait de jouer les deux rôles, pouvaient atteindre une émotion forte. Et c’est après avoir choisi tous les acteurs qui nous paraissaient les plus authentiquement intenses qu’on a distribué les rôles. C’est donc en même temps que moi qu’ils ont découvert les personnages qu’ils allaient interpréter. Une lecture du scénario par tous a permis de vérifier que nous ne nous étions pas trompés dans la répartition des rôles – ce qui était possible car chacun apportait à son personnage
quelque chose que je n’avais pas prévu et qui me semblait l’enrichir. Si j’ai procédé ainsi, c’est que je crois à la combinaison d’une personne vivante et d’un personnage de papier afin de créer le caractère unique d’un personnage cinématographique.
« Mes provinciales » est un film réaliste, ce qui n’est pas toujours le cas dans votre cinéma.
J’ai fait des films de réalisme intérieur, et d’autres de réalisme extérieur, comme disait Jean Renoir. Certains d’eux parlent d’un monde totalement fantasmé, voire onirique, d’autres, comme « Mes provinciales », parlent d’un monde bien réel, même si, bien sûr, je suis toujours très loin du naturalisme. Dans ce film, il y a un vrai contexte, une vraie ville, avec des rapports entre les gens que l’on peut reconnaître. Bergman excellait dans ces deux manières d’être réaliste. « Persona » d’un côté, « Scènes de la vie conjugale » de l’autre. Avec « Fanny et Alexandre », il a réussi à associer les deux, et c’est un de mes films de chevet.
Quels ont été vos partis pris de mise en scène ?
J’ai pensé qu’il fallait une mise en scène simple, économe, transparente, qu’on oublie la caméra, qu’elle s’efface, qu’elle ne soit pas entre le spectateur et les personnages. C’est le contraire d’« À travers la forêt » où il y a dix plans séquences, et où la caméra est comme un personnage créant l’espace et la durée. Si, dans « Mes provinciales », il n’y a
que des plans fixes et des panoramiques (sauf dans les tout derniers plans), avec une caméra qui filme des dialogues de gens qui marchent ou sont assis, c’est parce que j’ai pensé que l’intérêt du film résidait précisément dans ces personnages-là – et donc, ces acteurs-là. Orson Welles racontait qu’on avait demandé à Chaplin : « Pourquoi vos cadres ne sont jamais intéressants ? Et Chaplin avait répondu : « Parce que c’est moi qui suis intéressant ». C’est une réponse qui me semble parfaite.
Le montage a beaucoup fait évoluer le film ?
L’intérieur de chacune des séquences n’a pas posé de grandes difficultés. En revanche la structure d’ensemble du film a demandé pas mal d’ajustements par rapport au scénario. En fait, j’avais imaginé le film comme une chronique de la vie estudiantine, juxtaposant librement les scènes, sans grands liens de cause à effet, mais cette mosaïque ne marchait pas complètement. J’ai découvert ainsi que le film avait une ampleur romanesque plus importante que prévue. Le montage a donc rétabli les causes et les effets, renforcé la structure romanesque, et un peu ôté de cet aspect « chronique » que possédait le scénario.
L’omniprésence de Bach est une constante chez vous…
C’est le seul compositeur que je puisse écouter tous les jours sans jamais me lasser ! Mais si j’ai prêté à Etienne ce même goût, c’est aussi que,
lorsque j’étais étudiant, je me suis construit à l’aide d’artistes radicaux : Godard, Straub/Huillet, Bresson, Pasolini, Genet, Emily Dickinson, etc, et donc, oui, Jean-Sébastien Bach. Avoir de solides repères me paraît un besoin légitime quand on est étudiant mais ils finissent par écraser tout le reste. C’est avec le temps qu’on apprend à aimer aussi beaucoup d’autres choses, et sans les contradictions qu’on présupposait un peu dogmatiquement. Comme, par exemple, dans le film, cette musique assez sentimentale, associée à l’amour, et qui est de Giya Kancheli.
Vous avez filmé vos personnages avec beaucoup de bienveillance…
C’est encore l’héritage de Renoir, le fameux « chacun a ses raisons ». Je n’aime pas les films qui se livrent au jeu de massacre, où l’on ne montre que des personnages méchants, bêtes, aliénés, le réalisateur laissant entendre au spectateur, flatté et rendu complice, qu’ils ne sont pas, eux, comme ces gens-là sur l’écran. J’essaie de mettre en valeur tous les personnages que je filme, en laissant le spectateur libre d’en penser ce qu’il veut.
Le GNCR