Porter sur grand écran l’histoire vraie de Maixabel Lasa, dont le mari a été assassiné dans les années 2000 par l’ETA, n’était pas chose aisée… La réalisatrice madrilène évoque la genèse ainsi que le tournage de « Les Repentis », ce bouleversant long-métrage qui a récemment remporté trois Goya et s’est vu plébiscité tant par le public que par la critique.
Comment est née l’idée de réaliser Les Repentis ?
Ce sont les producteurs du film qui m’ont proposé de raconter l’histoire de Maixabel Lasa. Dix ans plus tôt, j’avais lu dans le journal El País des interviews de victimes qui avaient participé aux rencontres avec les terroristes. Maixabel en faisait partie. À l’époque, ça m’a beaucoup touchée. J’ai trouvé sa démarche ainsi que celle des autres victimes bouleversantes.
J’ai également été touchée par le parcours des terroristes. Les repentis ont fait un long chemin : faire partie d’un commando de l’ETA jusqu’à faire face là leurs victimes. Je n’ai pas pensé à faire un film sur le sujet à ce moment-là, mais dix ans plus tard, lorsque les producteurs m’ont contactée. Je n’ai pas hésité un seul instant.
J’ai coécrit le scenario avec Isa Campo, qui a fait un travail extraordinaire. La première chose que l’on a fait a été de rencontrer Maixabel.
Comment aborder l’écriture d’un scénario qui s’intéresse à une femme qui a tant souffert du terrorisme de l’ETA ?
Ce sont des faits réels, alors nous avons essayé de connaître au mieux l’histoire et de prendre en considération de multiples points de vue. Nous avons parlé de nombreuses fois avec Maixabel ainsi qu’avec sa fille, María. Nous avons également vu des victimes qui ont participé aux rencontres ainsi que d’autres qui n’ont pas souhaité y participer.
Nous nous sommes entretenus avec les amis de Maixabel, qui étaient présents lors de l’hommage pour son mari et qui ont été profondément surpris par la présence d’un ex-membre de l’ETA qui avait participé à l’attentat dans lequel son mari avait perdu la vie. Nous avons également parlé avec la médiatrice de la prison qui a organisé ces rencontres ainsi qu’avec des prisonniers qui y ont participé.
Pour nous, c’était important de comprendre au mieux tous les tenants et aboutissants de l’histoire dans un contexte précis, celui du terrorisme de l’ETA, ce qui n’est pas évident. Nous voulions raconter les faits au plus près de la réalité, même si le cinéma reste toujours de la fiction. Nous l’avons fait avec beaucoup de respect pour les personnes qui ont vécu tout ça.
Qu’est-ce qui vous a le plus marqué chez Maixabel Lasa ?
C’est une femme très forte, qui défend un certain type de valeurs. Plus que pardonner, Maixabel parle d’offrir une seconde chance. Elle est peut-être moins à l’aise avec le terme pardonner, mais tout de même, sa démarche, le fait d’offrir une nouvelle opportunité à la personne qui a détruit votre vie, est remarquable. J’ai beaucoup d’admiration pour elle.
Elle est aussi très courageuse au sens où elle a toujours parlé clairement du sujet alors que ce n’était pas toujours évident de le faire. Pendant des années, elle a été la directrice du Bureau d’attention aux victimes du terrorisme et a accueilli également des victimes de violences d’État ou de violences policières. C’est quelqu’un qui a peut-être eu peur, mais qui ne l’a jamais montré. C’est quelqu’un de très inspirant.
À quel moment, avez-vous décidé de donner du poids aux personnages des ex-membres de l’ETA, interprétés par Luis Tosar et Urko Olazabal ?
Au final, les rencontres ce sont des conversations entre deux personnes. Nous avons rapidement réalisé que l’histoire de Maixabel ne pouvait pas prendre tout son sens sans tenir compte de l’autre partie. La protagoniste du film est Maixabel, mais pour le bon déroulement du récit, nous avons décidé de donner également la parole à ses interlocuteurs.
Lorsqu’on s’approche d’eux pour en parler, on réalise qu’ils ont fait un parcours assez surprenant. Ils sont passés de l’action au sein d’un groupe terroriste au fait de s’asseoir en face de leurs victimes. Pour ces personnes, c’est un processus qui prend des années et qui, parfois, commence bien avant d’être emprisonné. La dissidence au sein de l’ETA est un fait très peu connu. Les repentis sont en réalité ceux qui délégitimisent complètement la violence. Pour moi, il était important de raconter également leur histoire.
Comment s’est passée cette première collaboration avec Blanca Portillo, qui a remporté le Goya de la meilleure interprétation féminine pour son rôle de Maixabel ?
Blanca est merveilleuse ! Pour ce rôle, elle s’est littéralement jetée à l’eau. Bien sûr, elle a parlé longuement avec Maixabel ainsi qu’avec les personnes de son entourage. Blanca travaille avec beaucoup d’intensité et est très généreuse dans ses interprétations. C’est vraiment une actrice impressionnante.
Et avec Luis Tosar, votre acteur fétiche ?
C’est la quatrième fois que l’on travaille ensemble avec Luis. Lorsqu’il a lu le scénario, il était très surpris et ne savait pas trop comment le prendre. C’est un rôle qui n’est pas facile à incarner, mais il a su le faire de façon saisissante. C’est un acteur et une personne extraordinaire.
Lorsqu’on se lance dans un film qui aborde des enjeux aussi sensibles que la question du terrorisme au Pays basque, que ressent-on ? De la responsabilité ? De la peur ? De l’excitation ?
D’un côté, je me suis dit que l’histoire valait vraiment le coup et qu’il fallait y aller, mais pour être honnête, j’avais peur que le film soit critiqué avant même sa sortie. Les Repentis aborde ces rencontres organisées entre terroristes et victimes. À l’époque, la polémique a rapidement vu le jour et a fait rage. Finalement, le film a été très bien accueilli par tout le monde et on considère qu’il véhicule un message important.
Dans la plupart de vos films, vous donnez la parole aux perdants, à ceux qui souffrent, parfois même de situations extrêmes. Qu’est-ce qui vous attire dans une histoire pour que vous ayez envie d’en faire un film ?
J’aime quand une histoire reflète ce qui se passe dans la société. Ça doit être aussi une histoire pertinente, qui apporte quelque chose. Dans le cas de ce film, aux premiers abords, on peut considérer qu’ils sont perdants car ils ont perdu une partie de leur vie… Mais pour moi, ils sont très loin de l’être. Leurs histoires m’inspirent profondément, en dépit des terribles expériences qu’ils ont vécues, tous souhaitent se construire quelque chose et aller finalement de l’avant.
Des rencontres de ce type se sont déroulées dans des lieux marqués par la violence, comme l’Afrique du Sud, le Rwanda ou la Colombie. Ce sont de réels outils pour parvenir à surmonter la violence et ses traumatismes. En ce sens, l’histoire que raconte le film, au-delà du conflit basque, est une histoire universelle.
D’après Que Tal Paris du 08/10/22.