Réalisateur japonais né le 06 juin1962 à Tokyo
Japon
Réalisateur, scénariste
1995 : Maborosi, 1998 : After Life, 2001 : Distance, 2004 : Nobody Knows, 2006 : Hana, 2008 : Still Walking, 2009 : Air Doll, 2011 : I wish, 2013 : Tel père, tel fils, 2015: Notre Petite Soeur, 2017: Après la Tempête, 2018: Une Affaire de Famille (Palme d’Or), 2022: Les Bonnes Etoiles.
Rencontre avec Hirokazu Kore-eda
Hirokazu Kore-eda se penche sur la question complexe de l’abandon avec Les Bonnes étoiles et remet à nouveau la définition de famille en question. Pour la sortie du film, le cinéaste japonais évoque la naissance de ses personnages bouleversants, l’envie de tourner en Corée du Sud et la manière dont le road movie s’est imposé naturellement.
Comment sont nés ces deux personnages, incarnés par Song Kang-ho et Gang Dong-won, qui enlèvent des enfants pour leur offrir une meilleure vie ?
Hirokazu Kore-eda : Pour ces deux personnages, comme je savais déjà quels acteurs allaient les interpréter, j’ai vraiment écrit les rôles pour eux. Je trouve que Song Kang-ho est vraiment un acteur exceptionnel parce qu’il a cette dualité en lui. Il a à la fois le bien et le mal, la légèreté et la profondeur, le solaire et le lunaire. Donc c’est un acteur qui peut énormément être dans la nuance et dans la complexité. Là, dans le film, il apparaît d’abord comme quelqu’un de très bienveillant. Il prend le bébé dans ses bras, le regarde et lui dit : « J’espère qu’on sera heureux ensemble ». Et puis le lendemain, il décide d’aller le vendre. Le bien et le mal se côtoient vraiment en lui. Il a toujours des expressions qui sont très inquiétantes, même quand il a l’air très positif. Il a quand même ce fond très angoissant.
Pour Gang Dong-won, ce qui lui correspondait bien, c’était d’en faire un homme qui n’a nulle part où rentrer, qui n’a pas de foyer, pas d’endroit où revenir. Je trouve que c’est un acteur qui peut avoir ça en lui. Quand Song Kang-ho va boire des coups avec lui, parce qu’ils sont amis, apparemment il lui dit souvent qu’il ressemble à un petit faon qui s’est perdu dans la forêt. C’est vrai qu’il a ce regard très triste. J’avais donc envie de raconter l’histoire de ces deux hommes qui n’ont nulle part où rentrer et qui essaient de trouver un endroit qui peut les accueillir.
L’idée de se créer sa propre famille était déjà présente dans Une affaire de famille. Vous avez voulu encore plus explorer ce sujet avec Les Bonnes étoiles ?
Hirokazu Kore-eda : Je pense qu’il y a des correspondances entre les deux films parce que j’ai écrit les synopsis de ces deux projets à peu près à la même période, après avoir réalisé Tel père, tel fils. C’est pour cela qu’ils sont proches en termes de préoccupations que je pouvais avoir à l’époque. Ce qui m’intéressait ici aussi, c’était de sortir du cadre familial en ajoutant des personnages qui n’étaient pas aussi présents dans Une affaire de famille, comme les policières interprétées par Doona Bae et Lee Joo-young, qui incarnent vraiment ce regard extérieur que l’opinion publique et la société vont avoir tendance à porter spontanément sur eux. J’avais envie de faire évoluer ce regard critique au fil du film. J’ai envie que les spectateurs puissent s’interroger sur les liens familiaux.
Vous avez choisi la Corée du Sud pour justement pouvoir aborder différemment ces thématiques ?
Hirokazu Kore-eda : Je crois que le fait de sortir de mon pays n’était pas tant au départ une volonté de me renouveler ou de me diversifier parce qu’à vrai dire, je ne suis pas tellement quelqu’un qui essaie de se mettre à l’épreuve ou de s’imposer des contraintes pour essayer de progresser. En général, je me laisse plutôt porter par les opportunités et les rencontres. Quand je suis venu en France (pour La Vérité, ndlr), c’est parce que Juliette Binoche avait envie de travailler avec moi. Là c’est pareil, c’est parce que j’ai rencontré Song Kang-ho et les autres acteurs avec lesquels on s’est dit que ce serait formidable de tourner ensemble. Après, il faut reconnaître que le fait d’expérimenter de nouvelles choses a été très bénéfique. Si cela se représentait, je le referais volontiers.
Que ce soit en France ou en Corée du Sud, la barrière de la langue a-t-elle été un problème ? Avez-vous travaillé de manière différente ?
Hirokazu Kore-eda : En termes de mise en scène, finalement ça ne change pas grand-chose. J’ai tendance à travailler à peu près toujours de la même manière. Bien sûr, le fait que ce soit dans une langue que je ne maîtrise pas nécessite quelques ajustements. Je vais être plus sensible à ce qui se joue en dehors des dialogues, aux intentions, au rythme, à la musicalité de la séquence plutôt qu’au sens des mots. Mais dans le fond, diriger un acteur japonais comme Kōji Yakusho ou diriger un acteur coréen comme Song Kang-ho, c’est à peu près la même chose. Évidemment, dans la mesure où je ne parle pas la langue, j’ai plein de petites antennes qui se déploient pour essayer de capter des choses que je ne peux pas attraper à travers le langage. Mais je ne rétracte pas non plus toutes ces antennes quand je suis au Japon. Il y a des petites adaptations mais pas de changements fondamentaux dans ma façon de faire.
Il y a une sorte d’apaisement dans le dénouement des Bonnes étoiles, ou en tout cas un sursaut. Vous refusez la fatalité dans votre cinéma ?
Hirokazu Kore-eda : Je crois que si on sent un peu d’optimisme, c’est parce que ce bébé qui est dans une petite boîte au début se retrouve dans une boîte un peu plus grande à la fin qu’est la société. Pour les gens qui sont autour de lui, leur présence physique n’est pas forcément possible mais en tout cas, on peut imaginer, par exemple pour les personnages de Song Kang-ho et Gang Dong-won, qu’ils sont dans un périmètre plus ou moins proche et qu’ils veillent sur ce bébé.
Vous avez choisi le road movie pour constituer le groupe au fil du film, alors qu’il est souvent déjà établi dans vos précédents longs-métrages ?
Hirokazu Kore-eda : Absolument. Le déplacement était nécessaire. Les motivations initiales sont vraiment d’aller vendre un bébé ou d’aller récupérer un bébé, mais j’avais envie que ce voyage se transforme progressivement en voyage intérieur. Le fait que les personnages embarquent au fur et à mesure puis arrivent tous ensemble à destination permettait d’initier cette dynamique. Le genre s’est imposé du fait de l’histoire.
D’après Kevin Romanet pour Cineseries
Après Une affaire de famille (2018) et La Vérité (2019), Kore-Eda Hirokazu a signé son retour cette année avec Les bonnes étoiles, récompensé au Festival de Cannes. Pour Ouest-France, il revient sur sa vision du Japon et les valeurs qu’il transmet, ou non, dans ses films.
Le gouvernement japonais ne vous avait pas félicité pour votre Palme d’or obtenue en 2018 avec Une affaire de famille. Pourquoi énervez-vous le pouvoir ?
Il y avait effectivement eu une polémique à l’époque. J’avais peut-être aussi mis le feu aux poudres en disant que ça m’était complètement égal qu’ils me félicitent au pas. Mais j’avais ajouté que j’aimerais bien qu’ils s’intéressent d’un peu plus près à la réforme du système d’aide et de soutien du cinéma japonais. Ils ont considéré que c’était un outrage. En plus, ils estimaient que mon film avait jeté le discrédit sur le Japon en montrant une image qu’ils n’aimaient pas (des pauvres qui volent pour réussir à vivre mais font preuve d’une immense humanité). Mais aucun membre du gouvernement ne s’est exprimé directement. C’était plutôt les gens autour. Il n’y a jamais eu de conflit ouvert. J’ai même été invité à la cérémonie des cerisiers en fleurs par Shinzo Abe (l’ancien Premier ministre récemment assassiné) mais, évidemment, je n’y suis pas allé.
Dans tous vos films, y compris le dernier, Les bonnes étoiles, il faut se méfier des apparences de vos personnages, comme on dit en français, « l’habit ne fait pas le moine »…
Parce que le monde est plein de gens comme ça. Qui ne sont ni tout blanc, ni tout noir, mais un peu des deux. Au début des Bonnes étoiles, la policière dit de la femme qui abandonne son enfant qu’elle n’aurait pas dû accoucher. C’est le point de vue le plus commun. En même temps, le film essaie d’apporter des avis différents, au-delà des préjugés et des présupposés. Pour qu’un film existe, il faut qu’il y ait un changement de point de vue pour le spectateur. C’est ce que j’essaie de faire.
Les liens les plus forts sont-ils les liens du sang ou les liens que l’on crée ?
C’est une question complexe et chacun peut avoir des réponses différentes. Moi, je sais depuis longtemps que les liens du sang ne suffisent pas. Le temps permet aussi de fabriquer des liens de famille qui n’existent pas. Mais certains, comme ma mère, sacralisent les liens du sang. Donc je préfère que mes films ne tranchent pas.
Recueilli parGilles KERDREUX. Ouest-France
Diplômé de l’Université de Waseda, Kore-Eda Hirokazu rejoint la compagnie TV Man Union au début des années 90, compagnie pour laquelle il réalise de nombreux documentaires dont « But… » et « Another Education ». Dans ses premiers travaux, il aborde surtout le thème de la mémoire, avec notamment le remarqué « Without memory » (1994).
En 1995, Hirokazu réalise son premier long métrage de fiction, Maborosi, qui reçoit le Prix Osella d’Or au Festival de Venise. Suivent Après la vie (1998), réflexion sur le passé et la mort à mi-chemin du reportage et de l’essai poétique, puis Distance (2001), présenté en Compétition à Cannes, qui décrit un groupe d’adolescents dont des proches ont été victimes du massacre collectif d’une secte.
Hirokazu revient sur la Croisette en 2004, et à nouveau en Compétition, avec Nobody knows, où il conte avec tendresse le terrible quotidien d’enfants livrés à eux-mêmes. Inspirée d’un fait divers – comme souvent chez le cinéaste japonais -, cette œuvre intense vaut à son jeune acteur de 14 ans le Prix d’interprétation. En 2009, Kore-Eda Hirokazu dévoile son nouveau film, le doux-amer Still Walking, qui aborde le thème du deuil au sein d’une famille japonaise.
En 2009, il quitte la chronique de fait divers pour réaliser Air Doll, adaptation du manga fantastique de Yoshiie Goda, « The Pneumatic Figure of a girl ». Narrant la venue à la vie d’une poupée sexuelle en plastique qui découvre le monde, le film est un OVNI dans la filmographie résolument réaliste du réalisateur. Il tente ensuite une incursion à la télévision (avec le téléfilm horrifique Ayashiki Bungo Kaidan) puis dans l’exercice du clip vidéo pour la chanson « Sakura no ki ni narou » du groupe de J-pop AKB48.
Hirokazu Kore-Eda revient au cinéma et aux histoires de familles en 2012, avec un nouveau long-métrage, I Wish nos vœux secrets, sur la relation particulière de deux frères séparés par le divorce de leurs parents, espérant être réunis suite à la nouvelle liaison du Shinkansen (le TGV japonais) entre leurs deux villes.