France
Réalisateur, scénariste
La Nuit Venue
Frédéric Farrucci: «Les gens qui vivent la nuit m’attirent beaucoup»
Le réalisateur corse Frédéric Farrucci plonge dans les ténèbres de la ville Lumière. Dans son premier long-métrage, La Nuit venue, il met en scène une romance entre un chauffeur de VTC clandestin (Guang Huo) et une stripteaseuse paumée (Camélia Jordana) au cœur d’un Paris noctambule. Sur fond de film noir, néons scintillants et musique électronique, il observe les insomniaques de la capitale avec tendresse et mélancolie.
LE FIGARO.- Comment est née cette romance entre un immigré clandestin chauffeur de VTC et une strip-teaseuse?
Frédéric FARRUCCI.- Ce sont plusieurs choses qui se sont entremêlées. Nicolas Journet, qui est co-scénariste de La nuit venue, a vécu une histoire avec une strip-teaseuse. En enquêtant sur ces jeunes femmes, il a découvert que beaucoup d’entre elles étaient aussi des call-girls et avaient un chauffeur de taxi attitré qui venait les chercher à l’issue de leur effeuillage. Cependant, il me fallait plus qu’une romance pure entre un chauffeur de taxi et une strip-teaseuse pour me lancer dans ce récit.
Quelles recherches avez-vous menées à partir de là?
Nous avons ensuite enquêté sur les chauffeurs de taxi la nuit. Il y avait une sorte de légende urbaine qui revenait régulièrement sur le fait que les chauffeurs de taxi chinois étaient des clandestins dans des voitures volées. Rumeur que nous n’avons, au passage, jamais pu vérifier. Mais j’avais mon point de départ : le côté mafia, le mystère et la marginalité. Tout cela était parfait pour construire un univers de film noir. Il y avait en plus le concept d’esclavagisme moderne avec cet immigré qui travaille comme chauffeur pour rembourser une dette auprès de criminels chinois.
Quand on évoque la mafia chinoise à Paris c’est surtout pour parler de la prostitution à Belleville. Avanciez-vous dans l’inconnu avec cette hypothèse de chauffeurs de taxi?
Le film balance entre deux réels. Je voulais assumer le côté fiction, l’idée de chauffeurs exploités par une mafia, tout en gardant la justesse vis-à-vis de cette communauté. J’ai fait appel à Simeng Wang, une chercheuse du CNRS qui est native de Chine et qui travaille sur les flux migratoires avec la France. Elle m’a expliqué que quand une femme où un homme contracte une dette en venant en France, il devait la rembourser en travaillant sans avoir de visibilité sur l’issue de cette dette. Cela touche au textile et à la restauration. Mais il y a aussi les prostituées maintenant.
Cela fait penser aux sans papiers exploités par des livreurs Deliveroo…
C’est une histoire atroce. Ce qui est terrible, c’est que nous faisons une fiction, et pendant que nous étions en préparation pour le film, cette affaire est dévoilée. Le réel est toujours au cœur de la fiction.
Qu’est-ce qui vous interpelle dans la nuit parisienne?
Les gens qui vivent la nuit m’intéressent beaucoup. Paris la nuit est beaucoup plus vivante. Les normes et les marges se mélangent. La société est beaucoup moins clivée que le jour. Il y a des rencontres qui peuvent s’opérer qui ne pourraient pas avoir lieu autrement. Je vis dans le XIXe arrondissement de Paris, un quartier en prise avec la misère. Ce sont surtout des poches de misère et cette vie souterraine qui me questionnent. Je vois ces gens sous le périphérique qui vivent dans des tentes et cela me trouble. Je ne sais pas s’il existe des pires endroits où passer la nuit. J’ai voulu utiliser le point de vue de Jin (Guang Huo), mon protagoniste, qui est dans une précarité forte, pour regarder cette misère : les Bangladeshis qui vendent des roses dans les restaurants, les jeunes Africains qui vendent des tours Eiffel miniatures sous la tour Eiffel… À travers le regard de Jin, on va rencontrer ces gens sans jugement, à hauteur d’homme.
Était-ce important pour vous de faire de Jin un ancien DJ?
Je voulais qu’il y ait de la musique électronique. Pour moi, faire de mon personnage principal un ancien DJ était un moyen d’ancrer le film dans une forme de contemporanéité. Je suis agacé par cette image récurrente de l’immigré africain ou asiatique qui débarque de son XIXe siècle pour arriver dans notre fantastique cité moderne. Ces gens sont en prise avec les mêmes réalités que nous. La seule chose qui nous sépare d’eux, c’est un passeport.
Avez-vous pensé ce film avec la musique de Rone dès le départ?
C’est absolument mon premier choix. Il y a quelque chose de mélancolique et planant dans la musique de Rone. Il y a souvent quelques trouées de joie et donc des touches d’espoir. Cela coïncidait avec la vision du film. On lui a envoyé le scénario sans trop espérer grand-chose. Trois jours plus tard je déjeunais avec lui. Il l’avait lu et était fan du film. Il avait cerné toutes les intentions, c’était assez magique. Comme on s’est bien entendus, j’ai écrit la scène de concert dans laquelle il joue dans le film.
Comment en êtes-vous venu à caster Camélia Jordana en femme fatale?
J’adore la chanteuse. J’aime beaucoup la comédienne. Et j’aime aussi beaucoup la citoyenne. Sa parole politique, le fait qu’elle y aille comme ça. J’ai d’abord trouvé Guang Huo, le comédien pour jouer Jin. Ensuite nous avons pensé à elle, je ne sais pas pourquoi. Mais j’aimais bien ce couple. Je trouvais qu’il dégageait quelque chose de magnétique. Cela m’amusait beaucoup d’aller chercher cette femme ultra-contemporaine et ultra-féministe pour lui proposer un rôle de femme archétypale, sensuelle et consciente de sa sensualité. Ça l’attirait beaucoup elle aussi.
Qu’avez-vous pensé de ses récentes déclarations sur la police?
Elle dit des choses qu’Amnesty International écrit depuis des mois. Nier qu’il y a des violences policières en France, c’est nier l’évidence. Je ne comprends pas pourquoi cela fait scandale. Quand on regarde l’émission, on voit bien qu’elle ne lâche pas cela par esprit de provocation.