Né le 13 août 1983 à Fontenay-aux -Roses
Franco-cambodgien
Réalisateur, scénariste, producteur
Diamond Island, Retour à Séoul
Dans son deuxième long métrage, le cinéaste raconte la quête des origines de Freddie, interprétée par la plasticienne Park Ji-min, elle-même d’origine coréenne. Il nous raconte la création de ce film coup de poing.
Retour à Séoul, de Davy Chou, en salles depuis le 25 janvier, est une bombe de cinéma, aussi douce qu’étrange, aussi pop que noire, où explose un personnage féminin réellement singulier. Rencontre avec un cinéaste franco-cambodgien qui casse les codes avec intelligence et admire les filles qui le bousculent.
Freddie, votre héroïne, n’est pas « sympathique »…
Freddie m’est en quelque sorte tombée dessus puisqu’elle est inspirée d’une amie qui a cette personnalité-là. Avec laquelle je me retrouve en Corée du Sud en 2011 et, au bout de quatre jours, nous finissons par rencontrer son père biologique. Je pensais que ce serait larmoyant et, en fait, ce fut très sec, très dur et la colère de mon amie fut spectaculaire. Le fait que ces retrouvailles soient à l’opposé de ce que j’aurais pu imaginer m’a donné envie d’un film.
Aujourd’hui, je peux voir comment cette personnalité particulière – une femme explosive, moderne, qui dit ce qu’elle a à dire et répond par le chaos aux injonctions – est un moteur de fiction incroyable : le spectateur doit courir après ce personnage dont il ignore le prochain coup de tête. En même temps, cette personnalité est salvatrice dans le genre particulier qu’est le film sur l’adoption ou le retour aux racines.
Ce n’est pas le sujet de votre film ?
Il parle aussi à des gens comme moi, nés en France mais de parents étrangers. À un moment de leur vie, alors qu’ils ne s’y attendaient pas, ils décident d’ouvrir la porte, de faire ce fameux retour aux sources et que se passe-t-il ? Ce récit-là est toujours trop classique, cliché, au cinéma mais aussi en littérature : on sait déjà qu’il y aura réconciliation. On a l’impression qu’il suffit de deux semaines pour recoller les morceaux d’une identité. Je peux aimer les happy ends dans les films mais, à force de répéter ce schéma de réconciliation dans la fiction, on finit par y croire alors que, dans la vraie vie, beaucoup se cognent au mur de la réalité.
Moi, je suis parti pour la première fois au Cambodge à 25 ans, aussi sûr de moi que Freddie, persuadé que j’y resterais six mois puis que je reprendrais ma vie en France. Résultat, j’y suis resté un an et demi, j’y ai tourné mon premier film. Puis mon deuxième, et j’ai même fini par produire de jeunes cinéastes cambodgiens. De même, quand je croise des gens qui prétendent se sentir enfin chez eux, à leur place, dans leur pays d’origine, je me dis que je vais les retrouver en morceaux dans un an. Ce genre de voyage ne peut répondre à toutes nos questions existentielles. Au contraire, il ouvre de nouvelles questions, de nouveaux doutes.
Comment avez-vous écrit cette quête et son héroïne ?
Quand j’ai commencé à faire lire à des proches la première mouture de mon scénario, surprise : les hommes avaient du mal avec le personnage de Freddie, trop antipathique à leur goût. Alors que mes copines me faisaient de très bons retours ! J’aime Freddie et je voulais faire partager cette affection. Allais-je gommer ses aspérités ? J’ai décidé que non. Je devais être à la hauteur de mon amie qui servait de modèle. Alors, j’ai creusé à l’intérieur de certaines scènes pour trouver sa part de vulnérabilité, et faire sentir sa tristesse du vide sous la rage et la violence. Elle danse comme une funambule autour de ce trou noir. Un peu comme les personnages de Scorsese même si son cinéma paraît loin du mien. Chez Scorsese, les personnages sont agités, parlent très vite à cause de la peur de la mort. Dans Les Infiltrés, les deux héros sont habitués à ce qu’on les regarde à travers une identité fausse, et ils bougent tout le temps pour ne pas tomber dans le vide identitaire.
Pour un tel personnage, il fallait une interprète particulière…
Park Ji-min a cette capacité incroyable de jouer deux émotions en même temps. Elle garde un masque impassible, mais, au fond du regard, perce la fragilité. Cela vient sans doute de son instinct d’artiste. Elle est peintre, sculptrice, et ses installations sont magnifiques. Son travail de plasticienne témoigne de son talent pour aller puiser très profond dans des émotions contradictoires – beaucoup de noirceur doublée d’un désir de vivre très puissant – et elle a cherché cela quand elle jouait. Elle est pratiquement de tous les plans et c’est un engagement émotionnel immense de sa part : sans filet, brute et nue devant la caméra. Elle a même été essentielle lors de l’écriture. Je m’étais lancé, un peu naïvement, dans la création d’un personnage féminin fort, sans mesurer à quel point mon regard masculin pouvait être problématique. Ji-min m’a mis au défi. Elle n’avait jamais désiré être comédienne et avait accepté le film pour d’autres raisons : défendre la représentation d’une Asiatique française à l’écran, et parler d’adoption car certains de ses proches avaient vécu ça. Ce non-désir de jeu la laissait libre de me contester. Je pensais que lors des répétitions, nous allions juste discuter une demi-heure sur le personnage, mais en fait elle avait pris des notes sur chaque page, sur chaque dialogue ! J’ai fait l’erreur, d’abord, de débattre avec elle. Mais plus j’argumentais, plus je comprenais que le débat intellectuel était encore un lieu de pouvoir, alors que tout ce qu’elle me demandait, c’était : « Cesse d’essayer de me convaincre, alors que je t’oppose mon expérience, qui sera toujours plus proche de Freddie que la tienne ! »
Le film commence par une chanson de pop coréenne douce, Petals, et la noirceur s’invite au fur et à mesure.
C’est le mélange des genres qui m’intéresse. Pas uniquement par goût des formes diverses, mais pour que le film soit traversé simultanément par des sentiments contraires, de la mélancolie pop de ce morceau coréen des années 70 au côté punk de Freddie. Le spectateur devait se demander : est-ce un thriller ? un mélodrame ? une tragédie ? ou une comédie, puisqu’il y a de l’humour avec les scènes de traduction et de choc culturel ? Je ne voulais pas singer le cinéma coréen, et ce sont les frères Safdie qui, dans la première partie, m’ont influencé dans leur mise en scène du chaos. Puis, la deuxième partie joue avec les codes interlopes, avec Matrix et l’image de Maggie Cheung. Il fallait, comme Freddie, que le film ne craigne pas de casser les cadres, et ne se laisse pas définir.
Retour à Séoul est construit par ellipses.
Une personnalité se déploie dans le temps, avec des couches successives. Freddie change de peau à chaque fois, ou plutôt se recouvre d’une peau additionnelle. Ainsi, le film ne parle pas d’adoption mais, plus largement, du fil de la vie. Il prend en compte les rencontres comme les au revoir.
Dans l’une de ces strates, Freddie rencontre… un trafiquant d’armes !
Incarné par un Louis-Do de Lencquesaing si parfait dans le rôle ! Et il devient quasiment une figure paternelle pour elle… J’adore ça : comment une rencontre aléatoire peut changer une vie. Il était amusant, aussi, de jouer avec le stéréotype du marchand d’armes. À ma décharge, il s’avère que c’était le métier de mon amie pendant dix ans. C’était trop énorme pour que je n’en use pas dans le film avec son autorisation ! Elle n’en est pas fière mais reconnaît que c’était un moment de sa vie, comme Freddie, où elle a eu besoin d’aller dans les extrêmes, de sauter à pieds joints dans une zone de danger. On lui demandait « Tu fais quoi dans la vie ? » Très calme, elle répondait « Je vends des armes. » Les mecs, en face, se liquéfiaient ! De plus, cette scène avec Louis-Do de Lencquesaing est importante pour moi car Retour à Séoul est un film français déterritorialisé. Avec une héroïne hybride entre cinéma asiatique et français qui, soudain, se confronte au grand cinéma d’auteur hexagonal, représenté par Louis-Do, avec sa particule, sa technique géniale, et son CV merveilleux. L’effet de miroir entre les deux est passionnant. En fait, pour cette scène, j’ai récrit inconsciemment celle de la confrontation d’Al Pacino et Robert De Niro dans Heat, le film qui a changé ma vie à l’âge de 12 ans, et que j’ai vu cent fois. Je me demandais pourquoi j’aimais tant cette séquence de « date » Tinder et soudain j’ai compris : merde, j’ai recraché la scène de Heat !
D’après G. Odicino pour Télérama