CORPORATE
Un film de Nicolas SILHOL
France- -2017 – 1h35
Avec : Céline Sallette
Lambert Wilson
Stephane de Groodt
Brillante responsable des ressources humaines dans un groupe agroalimentaire, Emilie Tesson-Hansen n’a pas d’état d’âme. Dalmat, un cadre d’une quarantaine d’années, veut la rencontrer mais la jeune femme ne cesse de repousser le rendez-vous. Il finit par se suicider dans l’enceinte de l’entreprise. Emilie est tout de suite pointée du doigt. L’inspectrice du travail l’a dans sa ligne de mire. Ses supérieurs ne sont pas plus tendres, notamment Stéphane, le directeur des ressources humaines. Alors qu’elle tente de s’éviter la prison, elle donne des informations à l’inspectrice sur les méthodes de la société… Emilie Tesson-Hansen (Céline Sallette) est une « tueuse », elle en est fière, c’est même pour cela qu’elle a été embauchée comme responsable des ressources humaines par le fringant PDG Stéphane Froncart (Lambert Wilson). S’il l’a recrutée, c’est pour se débarrasser de certains cadres de l’entreprise, trop vieux, pas assez performants, en les poussant à la dépression, donc à la démission. Jusqu’au jour où l’un des cadres qu’elle a mis sur la touche se suicide sur son lieu de travail. La veille, il avait, une fois de plus, désespérément cherché à lui parler, mais elle avait fait la sourde oreille. Lorsqu’une enquête est ouverte par une inspectrice du travail zélée, Emilie est prévenue par sa hiérarchie : dans l’intérêt de la boîte, elle doit faire bonne figure, rester « corporate ». De toute manière, elle n’a rien à se reprocher…Voilà un premier film qui tombe à pic. Alors que les thèmes du burn-out et du stress au travail s’invitent dans la campagne présidentielle, ce thriller psychologique, précis, tendu, décortique les mécanismes du « management par la terreur », de plus en plus en vigueur. Dans un décor sans âme où le stress et l’intimidation sont palpables, Nicolas Silhol privilégie le facteur humain en la (belle) personne de l’inspectrice du travail (Violaine Fumeau), sorte de cow-boy moderne, en lutte contre une rentabilité inhumaine. Mais le personnage pivot est bien sûr Emilie : au-delà du film dossier à la Yves Boisset, Corporate est un magnifique portrait de femme, actrice consentante, et même active d’un système qui lui promet une carrière toujours plus brillante. Constamment dans le contrôle avec son chemisier de rechange et son déodorant pour rester impeccable, elle paraît aussi inébranlable que les baies vitrées des bureaux où se reflète son profil parfait. C’est cette carapace en train de se fendre que filme le réalisateur. Et cette question qui affleure dans les yeux de glace d’Emilie : moi qui suis forte, à quel moment suis-je devenue un monstre ? En creux, il en pose une autre, plus générale : jusqu’à quelles extrémités une femme doit-elle aller pour s’imposer dans un monde d’hommes ? Dans ce rôle, Céline Sallette est remarquable. Dans le contrôle, elle aussi, loin de sa fougue habituelle, elle évoque une héroïne de Hitchcock contemporaine : le feu sous la glace néolibérale. Et chacun de ses regards, de plus en plus apeurés, est un indice de son réveil progressif. Une nuit, alors qu’elle mime un entretien d’embauche avec son mari, la « tueuse » se lance soudain dans un monologue qui trahit son effarement devant ce qu’elle est, ce qu’on la force à être. Particulièrement dans cette séquence, Corporate est un film important. Marquant.