DÉBAT sur le film
«Comme si de rien n’était»
lundi 6 mai 2019
à Ciné-Mont-Blanc, Sallanches
dans la salle, après la séance du soir
organisé par Cinécimes
Un film de Eva Trobisch
Avec Aenne Schwarz, Andreas Döhler, Hans Löw…1h30 Allemagne, VOST, sortie le 6 mars 2019
Jeanne tient à contrôler sa vie. Elle est forte, indépendante, moderne, cynique et réclame le droit d’être qui elle veut. Elle porte sa féminité fièrement. Mais, ce qui n’arrive qu’aux autres vient de lui arriver. C’était un soir de fête. Ils étaient sans leurs conjoints, ils avaient trop bu, elle s’est laissée embrasser. Elle a dit non mais il avait envie. Pas de menaces, juste quelques minutes minables de jouissance arrachée. « On ne va pas en faire tout une histoire » dit-elle au grand dadais, pathétique, qui l’a violée sans en avoir l’air. Ce n’est pas possible, elle ne veut pas devenir une victime. Que s’est-il donc passé ? Que faire ?
Et puis la voilà confrontée à son agresseur sur son lieu de travail, un agresseur que tout le monde semble trouver, soit inoffensif, soit appréciable. Mal-être. Et son attitude pleine de sollicitude et de remords la torture. Il n’est pas détestable. Ce n’est pas un homme violent, abusif, dominateur, et pourtant il l’a fait.
Mais que s’est-il donc passé ?
Plus Jeanne fait comme si de rien n’était, plus son retour à la vie normale est comme un mirage. Tel un poison lent qui s’insinue, ce qui est arrivé ronge sa vie et celle de ses proches. Les stéréotypes de notre culture sur des victimes pures et des bourreaux barbares sont remis en question. La réalisatrice multiplie les plans de dos et de profil des personnages, dans la mêlée de leurs tourments.
Mais qu’a voulu faire Eva Trobisch ? : « L’idée n’a jamais été de faire un film sur le viol. (…) J’ai développé le personnage pour en faire une femme moderne, éduquée, rationnelle, cynique, une femme qui réclame le droit d’être qui elle veut, de ne pas être contrainte par quoi que ce soi ou qui que ce soit. Je voulais me poser la question à la fois de la force et des limites de cette auto-détermination, qu’elles soient sociales, physiques ou émotionnelles. (…) Dans la vie, on n’a jamais une vue d’ensemble, on saisit juste des morceaux. Je préférais donc suivre mes personnages de dos ou de profil sans jamais en savoir plus qu’eux ni être dans une pièce avant qu’ils n’y entrent. Mes personnages ont leur existence propre, je les suis, je ne les explique pas. […] Je soulève des questions, j’invite les gens à réfléchir avec moi, mais je n’ai pas la solution. Je ne veux et ne peux rien promettre. »
Une autre lecture s’ouvre donc, où il est question des limites de la personne libre et individualiste. Jusqu’où est-il possible de vivre hors des contraintes de la vie en société lorsque ladite société est de plus en plus atomisée ? Et jusqu’où est-il possible de vivre hors de son propre corps même si le virtuel (dont le cinéma) tend à nous le faire croire ? Comment prendre soin de soi et de l’autre ?
Les préceptes sur le souci de soi des philosophes de l’Antiquité grecque et romaine sont-ils encore adaptés à notre époque ?
Et jusqu’à quel point peut-on rester indépendant intellectuellement et moralement ? Et est-ce toujours une force ? La faiblesse n’est-elle pas parfois une force ? L’erreur qui nous apprend et l’expérience de la souffrance, ne nous éveillent-ils pas au souci de soi et de l’autre ?
Née à Berlin en 1983, Eva Trobisch a commencé sa carrière en tant qu’assistante d’abord au théâtre, puis au cinéma.
En 2009, elle étudie au HFF (Hochschule für Film und Fernsehen) de Munich pour y apprendre la réalisation de films, se rend à la New York University’s Tisch School of the Arts en tant qu’étudiante invitée, et s’inscrit en 2015 dans un master d’écriture de scénario à la London Film School. Comme si de rien n’était (Alles ist gut) est son film de fin d’études.
En roc se découvrant soudain friable, l’actrice Aenne Schwarz est impressionnante.