France
Réalisateur, scénariste, écrivain
Ma Mère, Dans Paris, Les Chansons d’Amour, La Belle Personne, Non ma fille tu n’iras pas danser, Les Bien-Aimés, Plaire Aimer et Courir Vite, Chambre 212
Un an seulement après Plaire, aimer et courir vite, Christophe Honoré était de retour à Cannes dans la sélection Un Certain Regard, avec Chambre 212.(…) Quelques mois plus tard, le réalisateur évoque avec nous cette petite pépite aux accents théatraux, où il confronte notamment Vincent Lacoste à sa muse Chiara Mastroianni.
AlloCiné : « Chambre 212 » ressemble à une récréation, après des projets plus amples et aux sujets plus graves comme « Plaire, aimer et courir vite » au cinéma ou « Les Idoles » au théâtre. Est-ce qui ce qui a motivé le projet ?
Christophe Honoré : Je n’utiliserais pas le mot « récréation », car il y a une connotation un peu négative. Comme si ce projet était moins important à mes yeux, ce qui n’est vraiment pas le cas. En revanche – et ça fait très satisfait de dire ça, mais bon… – j’étais très heureux de ces deux expériences : aussi bien Plaire, aimer et courir vite, qui a été un projet très compliqué à monter en termes production et pour plein de raisons, en plus d’être un film assez douloureux pour moi car je me replongeais dans le passé des années 90 et du SIDA, marqué par de très mauvais souvenirs ; puis « Les Idoles », pièce de théâtre dans laquelle il s’est vraiment passé quelque chose, ce qui est très rare et on l’apprend à force de faire des films et des pièces. C’était comme un accomplissement. Pour moi, Chambre 212 n’arrive pas comme une récréation de ces deux projets importants mais vient d’une envie d’aller ouvrir ailleurs. Et peut-être aussi d’avoir plus confiance en moi et de me permettre des choses que je ne m’étais pas permis auparavant. Et notamment cette idée de tenter un registre qui est plus de l’ordre de la comédie que la comédie dramatique, d’être moins prudent par moments dans ma mise en scène sur le plan formel et de retrouver le plaisir de fabriquer une forme qui ait une espèce de liberté et d’invention que je m’étais moins permis car je me méfiais de ce genre de défi formel. C’est pourquoi je me suis autorisé ce bébé qui devient un mannequin, ou ce plan « top shot » [plongée totalement verticale, qui passe par-dessus le décor, ndlr] comme chez Brian De Palma, sans me demander si c’était juste un pur plaisir de cinéaste qui risquerait de créer une distance entre le spectateur et l’histoire que je serais en train de raconter. Car je sentais que c’était constitutif du projet d’avoir ces défis. Le mot « récréation » ne m’est donc pas antipathique, mais il ne correspond pas non plus à ce projet car il n’y a pas un manque d’ambition. Chambre 212 est peut-être beaucoup plus risqué que d’autres films que j’avais pu faire, et plus ambitieux que d’autres.
Cette ambition on la sent dans la façon dont « Chambre 212 » progresse, commençant comme un vaudeville pour ensuite réunir plusieurs motifs de votre oeuvre, avec cette correspondance entre cinéma et théâtre, la littérature, la confrontation entre passé et présent, des acteurs que vous avez déjà dirigés et des thèmes que vous avez déjà abordés. Ça n’est pas forcément un film-somme mais…
Je vois bien que vous n’osez pas dire que c’est un film de vieux (rires) Mais il y a un peu cette idée. C’est mon douzième film et j’approche très dangereusement de la cinquantaine, donc c’est un film un peu plus assuré dans sa forme. Moi j’aime toujours l’idée du cinéma comme adolescence et c’est quelque chose que je garderai même quand j’aurai 70 ans. C’est ce qui fait que je préférerai toujours les films de François Truffaut à ceux de Claude Sautet, par exemple. J’aime cette idée d’un cinéma français qui n’oublie pas son adolescence, un peu tremblant. Un cinéma de première fois, avec une attention toute particulière à une sensibilité très fugace et fragile. Malgré tout, forcément, au bout de douze films, vous commencez un tout petit peu à savoir ce que vous savez faire, ce dans quoi vous êtes vraiment mauvais. Et dans ce sens, ce film a une espèce de lucidité, en sachant que je vois très bien ce que l’on pourrait me reprocher, car c’est un film parisien sur le couple, les histoires d’amour, ça se passe dans une chambre d’hôtel comme souvent chez moi, même si, les autres fois, toute l’histoire ne s’y déroulait pas. Il y a effectivement des motifs que j’ai déjà parcourus, et je vois bien que d’autres collègues cinéastes tentent de faire des films de genre ou de s’éloigner complètement d’un cinéma d’auteur romantique, avec une composante littéraire importante. Mais moi, et c’est sans doute mon côté breton et têtu qui parle, j’ai plutôt envie d’aller en profondeur dans ces motifs, et ne pas me dire que je vais faire un film de vampires ou un polar. Parce que je n’en ai pas le goût, et je sais que cela ne me rendra pas heureux. Or j’ai quand même pour ambition d’être un cinéaste heureux. Mais c’est une discipline, aujourd’hui, que de vouloir cela. Surtout en France. Vous travaillez dans un média qui est très attentif aux évolutions du cinéma et de la production, ainsi qu’au rétrécissement, très fort aujourd’hui, d’un public de cinéma d’auteur français, qui vieillit énormément, se renouvelle très très peu – le public, pas le cinéma. Cela fait que l’on devient une espèce un peu menacée, mais j’ai quand même une obstination à refuser ces injonctions venues de l’extérieur qui me pousseraient à dire qu’il faut aller faire des séries, comme beaucoup de mes collègues font, ou qu’il faut sortir de mon territoire. Au contraire, ça me stimule dans mon côté breton, teigneux et obstiné,
Vous parlez d’une façon adolescente de faire des films, et cela correspond à ce que vous nous aviez dit au moment de « Plaire, aimer et courir vite » : « J’essayais de renouer avec l’état de mes 20 ans ». Était-ce en quelque sorte l’idée ici aussi ? Une volonté de revenir, non pas à vos 20 ans, mais à la vivacité des « Chansons d’amour » et « Dans Paris », qui masque les blessures profondes des personnages ?
Non car j’ai toujours un peu fait des films de la même manière. Mais il est vrai que celui-ci partage avec Dans Paris ou Les Chansons d’amour un tournage très court, un territoire de fiction qui est Paris et ses rues, ou encore, et vous avez raison, des personnages qui refusent un peu de s’apitoyer sur leur sort. Par contre, au moment de la conception, je n’ai pas pensé aux précédents films. C’est plus au moment du montage que j’ai réalisé qu’il y avait une humeur commune avec Dans Paris. Mais il est vrai que quand j’ai fait Plaire, aimer et courir vite, j’avais ce désir un peu vain de voir si le cinéma ne me permettrait pas de revivre mes 20 ans, avec un côté un peu faustien. Et ça a été le cas car c’était très particulier pour moi d’aller tourner à Rennes cette histoire et de me replonger dans ces moments, mais c’est pour cela que le film a une place particulière chez moi. Mais dans l’histoire même de ce scénario, le personnage qui aurait mon âge et serait celui de Benjamin Biolay, il ne choisit pas lui-même de se re-confronter à ses 20 ans, le film le lui impose avec celui de Vincent Lacoste. C’est une question qui m’intéressait. Il y a eu beaucoup de comédies françaises et américaines sur le sujet, et notamment ce très très grand film de Coppola : Peggy Sue s’est mariée, qui tourne autour de la notion de « Regarde qui tu es, regarde qui tu étais, regarde ce que tu es devenu ». En tant que cinéaste, je m’interroge beaucoup là-dessus : suis-je devenu ce que je prétendais vouloir être quand j’avais 20 ans ? En quoi ai-je été fidèle à des choses ou pas ? Ce sont même des choses que j’ai envie de dire à des cinéastes que j’aime beaucoup, car c’est quelque chose qui nous menace très très fort. On cite souvent Manoel De Oliveira, mais la vieillesse ne va absolument pas aux réalisateurs. C’est terrible, mais il y a un moment où l’on ne sait plus faire. Ou plutôt, un moment où l’on n’est plus accordés à l’orchestre ambiant du cinéma, français et mondial. Quand vous faites des films, il y a environ cent cinéastes importants à vos yeux qui en font en même temps que vous dans le monde. Étant cinéphile, je vais toujours au cinéma trois ou quatre fois par semaine, donc je vois les films des autres, et mes films en sont forcément des réponses. Soit des réponses énervées, comme des lettres d’insultes que je devrais envoyer à certains ; soit des lettres amoureuses, car il y en a beaucoup qui arrivent, émergent, et me rendent fou d’amour et de désir. Et je crois qu’il y a un âge où l’on se déconnecte de ça, et on croit qu’on a un territoire qu’il suffit de labourer pour qu’il ne soit pas stérile alors que cela donne naissance aux grands films stériles de certains cinéastes. Je suis donc vigilant quant à cela.
Au-delà des comédies que vous évoquez, le film fait aussi penser au « Chant de Noël » de Dickens dans sa structure, les fantômes qu’il fait intervenir, la neige ou la magie que l’on retrouve dans le titre international, « On a Magical Night ». Était-ce aussi une influence ?
Très honnêtement, je n’y ai pas pensé mais on m’en a parlé après. Mais c’est un livre que j’ai lu, jeune, et qui m’a forcément influencé. J’essaye toujours d’être le plus sincère et franc possible, c’est pour ça que je mets les noms de tous les gens qui ont pu influencer, à un moment, un film. Mais je me suis très récemment aperçu que le film fondateur de Chambre 212, c’est Le Dernier métro de Truffaut. Comme tout est allé très vite avec Cannes, il n’est pas dans le générique et je ne réalise son importance que maintenant. Là aussi, la question qui se pose est : comment étudier un couple en séparant ses deux éléments ? Chez Truffaut, c’est fait de manière verticale, à la cave et sur la scène, qui est le lieu du vaudeville, où tout peut arriver car il y a une espèce d’imaginaire où tous les personnages arrivent d’un coup pour rassembler la grande Histoire et les petites. Ce n’est pas forcément un hasard, car il y a Catherine Deneuve chez lui et Chiara Mastroianni chez moi, mais je m’aperçois que j’ai renversé cela sur un plan horizontal où, pour étudier ce couple, je les ai isolés. Et la Chambre 212 est comme une scène de théâtre. Comme dans Le Dernier métro, dont la structure et les motifs ont beaucoup influencé cette histoire. Sauf que je n’y ai absolument pas pensé où je l’ai écrite. Ni en la mettant en scène. J’avais en tête les comédies américaines de remariage comme celles de Leo McCarey et George Cukor, ainsi que Sacha Guitry en France. Mais je réalise que, étrangement, à mon insu, c’est le film le plus truffaldien que j’ai réalisé. Alors que d’autres regardaient plus ouvertement vers le cinéma de Truffaut, j’avais l’impression que ça n’était pas vraiment le cas ici, mais il y a finalement quelque chose. Même dans la façon vindicative qu’a le personnage de Vincent [Lacoste] de réclamer des comptes à sa femme, c’est très Antoine Doinel. Donc la circulation des influences sur un film est parfois lucide mais aussi, forcément, inconsciente. Vous ne pouvez pas passer autant d’heures dans des salles de cinéma sans vous dire que votre esprit est contaminé par un nombre d’images, d’histoires et de personnages dont votre mémoire garde une trace qui parfois vous échappe et se révèle à vous d’une manière absolument inattendue.
Vous la mentionnez et le film est comme une ode à Chiara Mastroianni. On a le sentiment que sans elle, le projet n’aurait jamais existé.
Il est construit autour d’elle. Je devais faire une adaptation d’un roman américain dont j’ai cru que j’allais obtenir les droits, mais ça a traîné sur deux-trois ans avant de tomber à l’eau. Du coup j’ai retardé le moment de retravailler avec Chiara depuis Les Bien-Aimés, et ça va vite ensuite, car vous faites un film et ainsi de suite, et cela faisait six ans que nous n’avions pas tourné ensemble. On me dirait que je ne pourrais plus faire des films qu’avec Chiara jusqu’à la fin de ma filmographie, ça ne me poserait pas de problème. En plus j’ai la chance qu’elle ne tourne pas ailleurs. Et puis c’est quelqu’un de très drôle. C’est un personnage à la Woody Allen : on a l’impression que dès qu’elle va traverser la rue, il va lui arriver quelque chose. Donc ce film doit beaucoup à Chiara et à la confiance qu’on a construit l’un envers l’autre, qui fait que même si elle a 47 ans, je pouvais me permettre d’écrire cette scène de Maria nue derrière les rideaux qui a mal au dos lorsqu’elle se penche pour ramasser ses chaussures avant d’aller faire la leçon, en petite culotte, à son jeune amant de 20 ans. Elle a cette confiance pour comprendre que c’est une scène d’ouverture inattendue et ridicule. Mais un ridicule dont il va falloir profiter.
Maximilien Pierrette pour AlloCiné le 19/09/2019