Cédric Kahn

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Cédric Kahn et ses grands hommes de cinéma

Il a été le stagiaire de Yann Dedet, a co-écrit une ébauche de scénario avec Maurice Pialat, se dit très influencé par Terrence Malick, rend hommage à François Truffaut dans un film… Cédric Kahn nous parle de ses pères.

C’est un cinéaste qui se livre peu, qui n’a pas érigé sa signature en marque, comme tant d’autres : révélé en 1992 par Bar des rails, on l’a classé naturaliste, observateur en temps quasi-réel des élans du cœur (sur ce sujet, Trop de bonheur, son film suivant, reste son préféré). Vie sauvage est son neuvième film. Il raconte la cavale d’un homme qui veut élever ses enfants en pleine nature, et entremêle ce goût du filmage brut du réel avec une tentation romanesque. On a demande à Cédric Kahn, beau mec de 48 ans qui fait aussi l’acteur (dans Tirez la langue, Mademoiselle, par exemple) les hommes de cinéma qui ont compté pour lui. Ou pas.

François Truffaut

« Il ne compte pas tant que ça. A part La Femme d’à côté. Quand j’ai tourné Les Regrets, c’était un peu en hommage, ou en référence, je ne sais pas comment le dire, à La Femme d’à coté. C’est pour cela, sans doute, que la Cinémathèque Française m’a demandé de lire des extraits de sa correspondance. J’ai vu La Femme d’à côté entre 16 et 18 ans, je l’ai revu souvent, sa noirceur et son romanesque me touchent. Le reste de ses films est trop littéraire pour moi – j’aime des cinéastes plus tripaux”. Au-delà même du sujet, quelque chose d’organique, propre à un film, fait que tu te sens plus proche de telle ou telle œuvre. Définitivement, je suis plus Sautet que Truffaut, bien que Claude Sautet ait longtemps été ignoré par la critique ».

 

Maurice Pialat

« Son monteur, Yann Dedet m’avait embauché comme stagiaire sur Sous le soleil de Satan. J’ai 19 ans, c’est le premier film sur lequel je bosse. C’est extraordinaire, et ça le reste encore aujourd’hui, parce que moins j’ai de responsabilité, plus j’aime travailler dans le cinéma ! Je retrouve un peu ça en faisant l’acteur… Sur un tournage de Pialat, il y avait un sentiment de famille, assez peu hiérarchisée : que l’on soit stagiaire ou chef de poste, on pouvait se faire engueuler ou complimenter de la même manière… L’avantage du stagiaire monteur, c’est la proximité avec le cinéaste : une fois qu’on est dans la salle, on est trois, maximum quatre.

“J’ai mis beaucoup de temps
à comprendre qu’un scénario,
c’était déjà du cinéma”

Je l’ai fréquenté ensuite, beaucoup plus tard. Il avait vu mes films. Je me rappelle des critiques qu’il me faisait sur L’Ennui. Il disait ce qui n’allait pas et il ajoutait toujours : “Attention, si c’était pas bien, je dirais que c’est super…” Chez lui, il n’y avait jamais de méchanceté. Après Le Garçu, il était fatigué, il savait qu’il ne tournerait sans doute plus, mais il avait besoin de croire encore en l’idée d’un film possible. Il m’avait demandé de l’aider sur un scénario – il a dû le faire avec d’autres gens. Une adaptation d’un roman de Philip K. Dick, un roman réaliste, pas sa veine S-F, Aux pays de Milton Lumky. Il pensait aussi que je pourrais être second réalisateur, si les médecins refusaient de l’assurer. On a écrit ensemble une cinquantaine de pages, et puis on a arrêté.

Je ne me sers pas de l’enseignement de Pialat, ses méthodes de cinéma ne sont pas applicables, d’ailleurs il a été très mal imité. On croit que c’était un cinéaste du réel, qu’il faisait improviser ses acteurs, mais pas du tout, c’est un cinéaste du scénario, de la dramaturgie, du feuilleton même. A nos amours, si vous enlevez les ellipses, le récit prend une durée de feuilleton. Ma génération a eu tendance à oublier le scénario. Si Jacques Audiard a pris de l’avance sur tout le monde, c’est que lui ne l’a pas rejeté. Cette mythologie selon laquelle le cinéma de Pialat ne serait pas écrit nous a fait du mal. J’ai mis beaucoup de temps à comprendre qu’un scénario, c’était déjà du cinéma ».

Yann Dedet

« C’est mon formateur. J’ai été son stagiaire, son assistant et il a monté cinq de mes films. Ce qu’il m’apportait était parole d’évangile et c’est lui qui m’a dit : “Sois cinéaste, n’attends pas.” Il m’a appris la possibilité d’une forme de liberté par rapport à la technique, à la forme, il m’a appris qu’on peut monter une bonne scène avec les mauvaises prises, qu’il vaut mieux deux beaux plans qu’un bon raccord. Mon goût m’aurait conduit vers ça, mais il a accéléré l’avènement d’un cinéma libéré de la grammaire traditionnelle. De ce point de vue-là, il était en avance, plus personne ne tourne avec la grammaire d’antan, beaucoup de films se font sans scripte. Depuis, cela a été théorisé, établi, par le Dogme, par exemple. Avant Pialat, personne ne le faisait. J’ai pris un autre monteur pour L’Avion, je trouvais que Yann n’était pas adapté au projet, j’aurais mieux fait de me dire que c’était moi qui n’étais pas fait pour le film ! »

Terrence Malick

« J’aime tous ses films, quand j’aime un cinéaste je peux même aimer ses films ratés. Les gens commencent à moins le suivre mais même A la merveille, j’adore ! Pour Vie sauvage, bien sûr, j’ai pensé à lui : comment capter la lumière naturelle, coller au plus près des acteurs, atteindre une forme de sensorialité. Et puis se débarrasser du scénario, ce qui veut pas dire qu’il n’y en a pas. On peut prendre des libertés avec le scénario, le transformer, s’en émanciper à partir du moment où le récit est très clair.

“Avant je voyais la réalité
comme une agression à mon rêve,
maintenant je la vis comme une alliée”

Vie sauvage s’est transformé au tournage : le film était plus écrit, plus explicatif, il y avait plus de scènes sur les parents, il s’est rapproché des enfants, il s’est radicalisé. J’aime que la matière du scnéario se transforme. Avant je voyais la réalité comme une agression à mon rêve, maintenant je la vis comme une alliée. Je sais comment Malick tourne, je me suis renseigné, j’ai vu des docs. Il y avait un perchman sur mon film qui avait un peu bossé avec lui, je n’arrêtais pas de le persécuter de questions : il paraît que pour tourner une lumière naturelle, il fait construire des maisons sur roulements, de façon à ce qu’elles tournent avec le soleil ! Maintenant, ce qui me passionne, c’est le dispositif : je crois plus au dispositif qu’à la mise en scène. Malick tourne avec un dispositif, une machinerie très spéciale, rien n’est jamais figé ».

  • Propos recueillis par Aurélien Ferenczi
  • Publié le 31/10/2014. Mis à jour le 02/11/2014 à 20h16.
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