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Une Vie Violente

Passionnant, tendu, acéré, complexe, le film de Thierry de Peretti impressionne par son ampleur romanesque, sa justesse de ton, son absence de lyrisme complaisant et sa profonde humanité. Tout en sobriété, en naturalisme et en efficacité, le film s’attache, sur les traces de son héros, à raconter au plus près, de l’intérieur, la page la plus récente, la plus prégnante de l’histoire politique de la Corse. Tout entier centré sur la Corse, le récit articule de façon tantôt méticuleuse tantôt elliptique, les processus de création des différents groupes politiques, les scissions, les luttes fratricides en même temps que le cheminement solitaire de Stéphane, jeune Bastiais, fils de famille bourgeoise, plutôt beau gosse, malin, cultivé, jeune étudiant d’un naturel plutôt fêtard mais enrôlé presque à son insu par un ami militant nationaliste dans une cause qu’il découvre peu à peu. Arrêté, c’est en prison, au contact de vrais activistes comme du véritable banditisme qu’il  va commencer son éducation politique et militante. Inspiré du parcours atypique, météorique, tragique de Nicolas Montigny, jeune militant nationaliste assassiné à Bastia en 2001, De Peretti montre l’engagement politique et idéologique de Stéphane sans en faire l’apologie ni une triste caricature et sans omettre le côté obscur du combat politique. Du service rendu au crime, de l’engagement à la vendetta, il n’y a finalement qu’une succession de petits pas, d’éveils à une conscience politique et de renoncements à des principes moraux, plus ou moins conscients, plus ou moins assumés. Comment ne pas extrapoler , à partir du prisme  de cette histoire insulaire, vers quelque chose de plus universel ? Parlant de ‘radicalisation’ il est plus facile, plus confortable de fantasmer sur un hypothétique ‘fanatisme islamiste’ plutôt que d’essayer de comprendre l’embrigadement, l’engrenage qui mène à la lutte armée, au sacrifice de soi. Avec une simplicité et une efficacité sans artifices, avec ses faux airs de western, de thriller et de drame historique, ‘Une vie violente’ raconte aussi cette histoire là, terre à terre, terriblement humaine. Elle nous la rend palpable et ce n’est pas la moindre de ses qualités. ( critique d’ Utopia )

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L’Homme aux mille visages

L’HOMME AUX MILLE VISAGES

D’Alberto RODRIGUEZ – Espagne – 2017 – 2h02 – VOST 

Avec Eduard Fernandez, José Coronado, Marta Etura Luis

À l’écran, on découvre Francisco Paesa, dit « Paco », dans les années 1980, sous les traits de l’acteur Eduard Fernandez, mille visages derrière un seul masque, impavide. Il achète des missiles à Varsovie. Il travaille pour les services secrets espagnols, notamment dans la lutte contre ETA. Le prologue va vite, on ne comprend pas tout mais l’essentiel: Paesa se fait enfler et ne touche pas une peseta pour sa mission. Le film raconte comment, il se serait vengé des mauvaises manières du gouvernement espagnol à son égard et au passage gagné quelques milliards de pesetas. On le retrouve dix ans plus tard à Madrid sans rien, sinon une vieille Jaguar. Vaguement avocat. Mais aussi un peu agent secret chargé des coups les plus tordus, un peu conseiller financier expert en blanchiment d’argent et fraude fiscale, un peu diplomate d’opérette, un peu homme d’affaires louches.

Luis Roldan, le premier flic d’Espagne, fait appel à lui pour le cacher et planquer sa fortune dans des paradis fiscaux. Paesa prend une commission d’un million de dollars. «Devenir riche, ça coûte cher.» Roldan, inculpé de détournement de fonds publics, corrompu jusqu’à la moelle, est l’homme le plus recherché d’Espagne. Paesa lui trouve une chambre mansardée à Paris et s’occupe de son argent. C’est le début d’une escroquerie géniale et d’une crise politique en Espagne qui n’amuseront pas tout le monde. En particulier Juan Alberto Belloch, le tout-puissant ministre de la Justice et de l’Intérieur.

Roldan sera arrêté en février 1995 à l’aéroport de Bangkok puis condamné à une lourde peine de prison. Mais, cette affaire a contraint à la démission deux ministres de l’Intérieur et a précipité la défaite électorale du gouvernement socialiste de Felipe Gonzalez. La fuite de Roldan et l’entourloupe autour de sa reddition n’auraient pas été possibles sans l’entregent et les manœuvres de « Paco ».

Alberto Rodriguez reconstitue cette arnaque de haut vol en réussissant à ne pas égarer le spectateur malgré la complexité du récit dopé à l’humour noir. Car rien n’est jamais sûr dans cette histoire, certes tirée de faits réels, mais dont on sait, dès la première séquence, qu’elle contiendra « des mensonges ». D’ailleurs, le narrateur, un séduisant pilote de ligne, bras droit de « Paco », n’a jamais existé, même s’il apparaît comme témoin privilégié des exploits du faussaire. Comme pour tous les témoins, ses souvenirs sont incomplets. Et partiaux. Des informations exposées dans la première demi-heure du film sont contredites, voire démenties quelques scènes plus tard. Paco est un être insaisissable, sans le moindre scrupule, qui fait mine de protéger son client pour mieux le trahir, qui met en danger sa nièce adorée et dupe son meilleur ami pour arriver à ses fins. Un être fascinant par son mystère.

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I am not your negro

 I AM  NOT YOUR NEGRO

De Raoul Peck Haïti-France 2016,

Film documentaire, nominé aux oscars 2017 

C’est un film empreint de colère mais aussi nimbé de sagesse, à la croisée de l’intime et de l’universel. La méditation d’un homme noir sur sa condition, qui, à force de lucidité, rejoint la cause de tous les opprimés. Raoul Peck, réalisateur haïtien au parcours rigoureux (Lumumba, Quelques jours en avril), l’a construit exclusivement à partir des mots de James Baldwin, écrivain noir et penseur majeur de la question raciale aux Etats-Unis. Il s’appuie d’abord sur un manuscrit de 1979 (« Remember this house »), projet de livre qui ne verra jamais le jour tissé autour de trois leaders de la lutte pour les droits civiques, Martin Luther King, Malcolm X, Medgar Evers, tous assassinés avant 40 ans. A partir de ce socle traumatique, il remonte aux sources de l’exclusion et de la violence, indissociables de l’identité américaine.

Parce que « les Blancs doivent chercher à comprendre pourquoi la figure du nègre leur était nécessaire », Baldwin déconstruit l’image du Noir dans le cinéma hollywoodien, brillante et glaçante analyse d’extraits de films qui nous renvoient, a posteriori, à notre rang de spectateur complice. Percutantes, ses interventions à la télévision exhortent — hier comme aujourd’hui — l’Amérique blanche à un douloureux examen de conscience. Votre rêve est un leurre ; votre histoire, une fiction ; votre mode de vie, le témoignage d’une « pauvreté émotionnelle abyssale », assène l’écrivain au fil d’un vertigineux entrelacement d’archives où dialoguent les luttes du passé contre la ségrégation et les flambées actuelles de violences raciales.

Lumière crue jetée sur la nation américaine, jusque dans ses structures politiques et mentales les plus profondes, ce vibrant film hommage dénonce, secoue, autant qu’il montre la voie d’une possible fraternité. —

D’après Isabelle Poitte de Télérama

 

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Zero photo 100% bio

Le lundi 26 juin à 20h, Cinécimes projettera en avant-première « Zéro phyto 100% bio », documentaire de Guillaume Bodin qui viendra animer un débat après la projection.

Après « La clef des terroirs » et « Insecticide mon amour », « Zéro phyto 100% bio » est son troisième documentaire qui sortira en salles en novembre. C’est une enquête passionnante sur plusieurs communes françaises qui n’ont pas attendu l’entrée en vigueur le 1ier janvier 2017 de la loi Labbé  qui interdit l’utilisation de pesticides dans les espaces publics pour changer leurs pratiques.
Une petite révolution est en marche dans les espaces verts.

Privilégier les espèces vivaces et endémiques, aider les professionnels et les citoyens à adopter de nouveaux réflexes, inciter les entreprises à innover pour mieux répondre aux nouvelles pratiques paysagères sont autant d’actions qui participent à une gestion écologique globale des villes, tout en respectant la santé des habitants.

Du 100% local et biologique dans la restauration collective, c’est possible !

Plusieurs communes le font déjà et nous parlent de leur expérience. Comme le dit le maire de Barjac, « nourrir, c’est aimer », alors pourquoi « lésiner » quand il s’agit de nourrir nos enfants ?

Conscients de leurs responsabilités en terme de santé publique et d’environnement, ces acteurs de terrain ne livrent pas des solutions toutes prêtes, mais décrivent plutôt les étapes qu’ils ont franchies pour mener à bien leurs projets. Leur expérience montre que toutes les communes, quelles que soient leur taille et leur couleur politique, peuvent changer leurs pratiques.
Ce documentaire d’utilité publique nous concerne tous en tant que citoyen et consommateur.

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Une famille heureuse

Une Famille Heureuse 

Un film de Nana Ekvtimishvili et Simon Gross 

Avec la Shugliashvili, MerabNinidze, Berta Khapava…

Ces scènes ont les a vues dans des films français, italiens, russes, polonais ou égyptiens. Et jamais on ne s’en lasse. Une grande tablée, des embrassades et des engueulades, trois générations rassemblées pour  un repas…Un bonheur de cinéma si universel qu’avec cette version georgienne on se retrouve tout de suite comme à la maison.

C’est l’heure du dîner et, des grands parents aux petit- enfants adolescents, tout le monde s’affaire. Mais autour de la table, une chaise reste vide : la mère ne veut plus s’y asseoir. Et c’est toute la place de la femme en Georgie qui apparait bientôt  inconfortable.

Dans le grand appartement familial que l’héroïne, Manana, a décidé de quitter résonne la voix d’un prêtre qui dit la messe à la télévision : « Pour qu’une famille soit heureuse, la mère doit être sereine, elle doit se sacrifier pour les siens, élever ses enfants. ». 

C’est si simple,  le bonheur ?  Avec Manana, rien ne l’est plus. Elle rejette la vie commune avec mari, parents et enfants, mais elle ne rompt  avec personne, elle déserte sans divorcer, elle part si doucement qu’elle semble rester. Elle en devient un mystère pour les siens, déboussolés, et c’est déjà une belle avancée.

Du petit appartement où elle s’installe, elle fait son jardin secret. Manger une pâtisserie en guise de dîner, écouter Mozart en buvant un café, et même corriger des copies, tout devient savoureux pour cette prof de Tbilissi.

Au  lieu de raconter comme une bataille cette reconquête de l’indépendance, le film surprend par sa douceur conciliatrice. Pour Manana,  prendre ses distances lui permet de comprendre pourquoi elle voulait partir…Dans cette histoire de séparation sans rancune, des angles morts s’éclairent, des blessures se réveillent et aussi, peut-être, des sentiments…

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APRES LA TEMPETE

APRÈS LA TEMPÊTE

De HIROKAZU KORE-EDA – Japon – 2017 – 1h58 – VOST 

Avec Hiroshi Abe, Yoko Maki, Yoshizawa Taiyo, Kirin Kiki

Accro au jeu comme son père, un homme perd sa femme, la garde de son fils et ses ambitions littéraires. Héros déchu, il est au centre de ce portrait intimiste d’une famille secouée, abîmée, mais vivante malgré tout. C’est en raison d’un typhon qu’ils se retrouvent ensemble. Écrivain à la dérive, il tente tant bien que mal d’élever son fils. C’est le roman d’une éducation, une réflexion sur la transmission. Cette façon de déployer le récit en suivant la menace météorologique, fait ressentir la tension émotionnelle mais aussi la mélancolie de l’époque. Il montre en quelques plans la puissance des symboles et la brièveté de la vie.

On connaît la subtilité de ce cinéaste, auteur de Tel père, tel fils diffusé récemment sur Arte. Ici, il signe aussi deux très beaux portraits de femme, avec une irrésistible Kirin Kiki dans le rôle de la grand-mère prête à tout pour le bonheur de sa famille.

Après la tempête » laisse une impression durable et presque douloureuse, lorsqu’il interroge son personnage sur ce qu’il a fait de sa vie.

Kore-eda sait peindre mieux que personne les drames de famille : il le fait ici avec une sorte d’amertume larvée, dans une atmosphère un peu blême, où passent les espoirs déçus, les ambitions éteintes, les choses grises de la vie.

« Après la tempête », ne restent plus que des désillusions et des rêves impossibles. C’est ce qui reste de soi une fois passés les ambitions, les espoirs, les aspirations, une fois survenus l’échec et les déceptions.

On devrait s’enfuir, l’histoire nous retient, avec son extraordinaire fragilité.

Les héros de Kore-eda sont irrémédiablement solitaires et le réalisateur réussit à exprimer leur amertume, sans qu’elle ne soit entachée d’un pessimisme absolu. Il y a toujours un horizon, fût-il rêvé.

Voilà ce que dit avec une grande délicatesse et une douce langueur ce beau film grave et lent.

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FELICITE

 

FELICITÉ

Réalisation Alain Gomis

France Belgique Senegal

Avec Veronique Beya Mputu, Papi Mpaka, Gaetan Claudia 

Durée : 2h03

Dans la fureur de Kinshasa, capitale aux douze millions d’habitants de la République démocratique du Congo, le réalisateur Alain Gomis fait surgir une héroïne qui a, comme lui, le goût du défi. Solitaire et fière, Félicité brave les regards et entre en scène. Dans le bar où elle est chanteuse, la vie tangue entre alcool, embrouilles et désirs. Soudain, sa voix s’élève, galvanise les énergies et fait naître une harmonie. La nuit incertaine bascule du côté de la beauté. Cette séquence d’ouverture, qui dure plus de sept minutes, est un tour de force de cinéma. De la force, il en faut, à Kinshasa : le lendemain, Félicité est à l’hôpital devant le corps ensanglanté de son fils qui a eu un accident de moto.

Cette fiction s’élance dans l’urgence, jusqu’à donner un sentiment de réalisme documentaire. Mais une tonalité différente y résonne bientôt : dans une nuit qui est sans doute celle de ses rêves, Félicité marche vers une autre dimension de la vie, mystérieuse et apaisante. Comme s’il voulait vivifier le cinéma africain, rare et généralement fragile, le Franco-Sénégalais Alain Gomis déploie tous les possibles. Il filme le combat pour la survie et l’élévation spirituelle, le trivial et le sacré, il fait vibrer la musique du groupe Kasaï Allstars, qui mélange tradition et électro, et celle d’Arvo Pärt, jouée par l’Orchestre symphonique de Kinshasa. L’ambition est de remuer ciel et terre. Félicité se jette dans la bataille pour sauver son fils menacé d’amputation, elle prend des coups pour trouver de l’argent et repart à l’attaque. Et puis, elle s’effondre. Elle qui faisait face, s’efface…

Le film trouve alors une autre manière encore de nous faire ressentir le quotidien de Kinshasa. L’énergie laisse place à l’épuisement et l’égarement dans cette ville de violences, où l’argent, qui n’est nulle part, est réclamé tout le temps et ne sauve rien. Le gouffre de l’absurde s’ouvre, mais Félicité en ressort moins affaiblie qu’adoucie. En baissant la garde, la guerrière apprend le pouvoir de l’abandon, qui lui permet d’accepter sa fragilité et d’être, simplement, humaine.

La joie renaît toujours. Ce message d’espoir, Alain Gomis est allé le chercher au coeur d’un chaos dont il recompose l’étrangeté avec une audace incroyable. Il est prêt à perdre en route son héroïne et, tout aussi bien, à déboussoler le spectateur. Ce film parfois énigmatique, où le chant et la musique comptent autant que les dialogues, invente son langage de cinéma. Il cultive la fluidité et laisse filer ses personnages, pour mieux fusionner avec eux. Le courage du fils accidenté, mutique, apparaît comme une sorte de lumière. De même, l’amour du séducteur de bar qui emballe toutes les femmes mais ne veut faire le bonheur que de Félicité. De ces vies ordinaires, un sentiment de grandeur s’élève : par-delà la matérialité, la pauvreté, la beauté de l’âme rayonne. Par-delà les épreuves résiste une flamme secrète. Interprétée par l’étonnante Véro Tshanda Beya, Félicité devient un personnage transcendant, d’une intériorité et d’une richesse magnifiques. — Frédéric Strauss (Télérama)

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The Lost City of Z

The Lost City of Z

  Un film de James Gray

Aventure- USA-2H30

Avec :

Charlie Hunnam, Sienna Miller, Robert Pattinson

Le chef opérateur : Darius Khondji

Signer un film intimiste avec toute la matière d’une fresque d’aventure : voilà l’exploit inattendu de James Gray, le réalisateur de Little Odessa (1995) et de Two Lovers (2008). Depuis qu’il avait annoncé, il y a une petite décennie, vouloir adapter la biographie de l’explorateur britannique Percy Fawcett (1867-1925), mystérieusement disparu, le doute était permis. Aujourd’hui, le résultat, majestueux et subtil, déjoue les catégories existantes. Derrière son classicisme apparent, The Lost City of Z est un prototype.

D’abord, la jungle équatoriale n’envahit pas tout. L’ancrage familial et social de l’explorateur prime.. Les discussions, préalables au départ, avec l’épouse enceinte (Sienna Miller) reflètent la complexité profonde de ce héros aristocrate. Se laissent deviner à la fois l’ambition et la dérision de l’ambition ; en même temps, l’appel du large et les derniers feux de l’indolence juvénile.

L’attention portée aux visages par le cinéaste (et son chef opérateur, Darius Khondji) est d’emblée bouleversante. Nombre de réalisateurs qui disposent d’un budget inhabituel se laissent dévier de leur trajectoire artistique. Pas James Gray, qui, depuis ses débuts, filme avant tout des dilemmes intimes, des tourments existentiels.

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The Young Lady

Film de William OLDROYD – GB  – 2016  – 1h29mn – VOST

Avec Florence Pugh, Cosmo Jarvis, Paul Hilton, Naomi Ackie..

Scénario d’Alice Birch, d’après le roman de Nikolai Leskov La Lady Macbeth du district de Mtensk

Il y a comme une chronologie secrète autour de The Young Lady, une macération du temps qui déboucherait à aujourd’hui et à ce film. De fait, tout commencerait vers 1600 quand Shakespeare écrivit Macbeth, et de ce drame sombre, on retiendra surtout le personnage de Lady Macbeth, femme fatale et reine manipulatrice. Plus tard en 1847, Les Hauts de Hurlevent d’Emily Brontë exaltera, au milieu de la lande écossaise, l’amour fou de Catherine Earnshaw pour Heathcliff. Plus tard encore, en 1857, Madame Bovary de Gustave Flaubert fera de son Emma une femme malheureuse enfermée dans les conventions (et qui en mourra). Enfin en 1865, La Lady Macbeth du district de Mtsensk de Nikolaï Leskov, dont The Young Lady est une libre adaptation, semble compiler naturellement ces trois-là et inspirera même un opéra en quatre actes de Dmitri Chostakovitch. On pourrait, pourquoi pas, continuer jusqu’en 1928 avec L’Amant de Lady Chatterley de D. H. Lawrence où une femme, Constance, redécouvre l’amour et le bonheur avec un garde-chasse, un homme extérieur à son milieu…

The Young Lady paraît ainsi se nourrir, se gorger de ces femmes tragiquement amoureuses, de cette littérature romantique et noire, pour façonner son héroïne, une héroïne nouvelle, inédite : Katherine. Dans le fond et dans sa forme, le film reprend plusieurs points, quelques particularités de chaque roman pour en faire, là aussi, une sorte de mélange, un alliage parfait : l’amour interdit, la manipulation, le meurtre, le désespoir, la mort, la différence de classe et la lande tout autour… Nous voyons donc une jeune femme asservie par un patriarcat brutal s’enfoncer de plus en plus dans les ténèbres, non plus par amour et par passion (même si ça pourrait être le cas au début), mais presque par vengeance de ce qu’elle a subi : mariée de force, cloîtrée dans le manoir familial, délaissée par son mari et réduite au rôle d’épouse obéissante.

Ses actes sont comme une rébellion nécessaire pour s’affirmer, tenter d’exister face à un mari et un beau-père détestables, rébellion qui deviendra plus radicale, jusqu’à l’impensable. À la fois victime et bourreau, Katherine incarne cette forme d’innocence réduite en morceaux par une société toujours plus oppressive, apte à engendrer ses propres monstres – dont elle sera l’un des spécimens les plus brillants. William Oldroyd (metteur en scène) et Alice Birch (scénariste), tous deux venus du théâtre londonien, se sont habilement emparés du roman de Leskov en décidant de le transposer dans l’Angleterre victorienne. Au cœur d’une nature farouche et d’intérieurs stricts, étouffants malgré leur dépouillement, Oldroyd en magnifie la noirceur, le fiel et la modernité avec une douceur étonnante, sans excès, mais toujours avec piquant. Il révèle également l’étonnante Florence Pugh dont l’intensité et la présence habitent à merveille ce rôle de jeune femme sur le point de s’affranchir de tout, quitte à embrasser le Mal.
(seuilcritique.com)

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Orpheline

ORPHELINE 

Un film de Arnaud des Pallières – France – 2017 – 1h51 

Avec Adèle Haenel, Adèle Exarchopoulos, Solène Rigot, Vega Cuzytek…

Marcel Proust avait sa théorie des « moi » successifs : les personnes différentes, étrangères les unes aux autres, que nous devenons, au cours de notre vie…Il y a une idée de cet ordre dans le pari d’Arnaud des Pallières : restituer les métamorphoses d’une femme en la faisant jouer, tour à tour, par quatre actrices.

On découvre l’héroïne presque trentenaire (Adèle Haenel).  Puis on remonte le temps. On la voit à 20 ans (Adèle Exarchopoulos), jeune adolescente (Solène Rigot) et finalement enfant (Vega Cuzytek).

Le réalisateur vient du documentaire de création et ses films sont conçus comme des expériences…Orpheline n’a donc rien à voir avec ces fictions en plusieurs époques où l’on vieillit peu à peu le comédien. C’est moins le changement physique qui intéresse le cinéaste que la captation, à chaque étape, d’une nouvelle personnalité, d’un autre rapport au monde.

L’unité secrète du portrait, au-delà des changements de visage (et même de prénom !) tient à une mise en scène qui, chez Arnaud des Pallières , n’avait jamais atteint un tel degré d’incarnation. Aucune des quatre actrices n’est moins captivante que les autres. Leur éclat et l’acuité du regard porté sur elles assurent une continuité…

Enfant, l’héroïne est le témoin muet d’un drame qui la coupe symboliquement de sa famille et en fait cette « orpheline » des périodes suivantes. Le récit ne perd en intensité que dans les méandres amenés par le fait divers : à 20 ans, la jeune femme est mêlée à une affaire criminelle.

Le plus beau,  le plus troublant restent la demande d’amour immense, à la fois pathétique et motrice, qui taraude le personnage. Un puits sans fond, qui la fait se jeter dans les bras et le lit des hommes dès l’adolescence…Cette demande compulsive devient un danger pour l’héroïne au moment d’assurer sa subsistance, de ce construire.

Dès lors, le suspense final, où on la retrouve adulte, comme au tout début, porte moins sur les suites judiciaires que sur la possibilité d’une indépendance… enfin. (Louis Guichard)

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