BANDE DE FILLES

Bande de fillesDe Céline Sciamma – France 2014 – 1h52
Avec Karidja Touré, Assa Sylla, Lindsay Karamoh

Marieme, 16 ans, vit en banlieue. Silhouette féline, nattes africaines, œil de biche, elle est d’une beauté ravageuse. En échec à l’école, mère de substitution à la maison, elle s’occupe de ses petites sœurs en essayant d’éviter les coups de son grand frère. Jusqu’au jour où elle rencontre trois filles, bien décidées à ne pas se laisser dicter de lois… Des bagarreuses, des enjôleuses, des drôlesses, qui soignent leur style et balancent leurs répliques avec une rage joyeuse. Pour cette bande de filles à la féminité explosive, pas question d’être des « filles bien », épouses cloîtrées trimant dur comme leurs mères soumises à la domination masculine.

Critique

Des filles courent sur un terrain de sport. Casques de protection et genouillères, elles disputent un match de football américain sur fond de musique électro-pop. Pendant près de deux heures, Céline Sciamma suit le parcours d’adolescentes noires des quartiers sensibles. Si Bande de filles est si réussi, c’est qu’il transcende un sujet a priori social, voire sociologisant. S’emparer d’une réalité contemporaine peu représentée à l’écran tout en la stylisant, en restituer la complexité en la sublimant, voilà le tour de force de la réalisatrice.

Il suffit d’une scène pour entrer dans le vif du sujet : de retour du stade, la bande chahuteuse circule dans la cité et se disperse. Et les filles redeviennent vulnérables, soumises au regard prédateur des mecs… La guerre des sexes, le poids des communautés, les conflits de territoires : autant d’entraves dont devra s’affranchir Marieme, 16 ans, silhouette féline, nattes africaines, oeil de biche. En échec à l’école, elle s’occupe de ses petites soeurs en essayant d’éviter les coups de son frère aîné. Jusqu’à sa rencontre avec trois filles bien décidées à ne pas se laisser dicter de lois : des bagarreuses qui soignent leur style et cultivent une rage joyeuse. Qui refusent absolument les rôles qu’on leur assigne : être des « filles bien », épouses cloîtrées trimant comme leurs mères. Et qu’importe si elles se font traiter de putes.

La cinéaste ose un film physique. Elle valorise la beauté des corps, jeunes, souples, athlétiques, toujours en mouvement. D’une virée shopping au Forum des Halles aux bastons à ciel ouvert, d’une fête clandestine dans une chambre d’hôtel à une séance de hip-hop à la Défense, elle capte toute l’énergie frondeuse de ses héroïnes. Dans le défouloir secret d’une soirée entre filles, elle les filme aussi telles qu’elles se rêvent : en princesses pop et sexy, émouvantes reines du dance floor.

L’auteur de Naissance des pieuvres et de Tomboy continue de peindre l’adolescence, où s’inventent et s’enracinent les identités. Ainsi, la deuxième partie du film, qui se resserre sur Marieme, la montre passant d’un genre à l’autre en fonction de l’environnement : féminité agressive pour dealer dans les soirées de la capitale ou travestissement masculin, avec poitrine dissimulée et sweat à capuche, pour se faire accepter dans la cité. Fidèle à ses thèmes de prédilection, Sciamma l’est aussi à la banlieue. Ses deux précédents films s’ancraient déjà à la périphérie : le premier dans une ex-ville « nouvelle », le deuxième dans une cité résidentielle presque bucolique. Cette fois, dans une banlieue emblématique, avec ses barres d’immeubles, ses coursives, ses amphithéâtres de béton.

Comment tourner dans des paysages aussi marqués (en l’occurrence, Bobigny et Bagnolet) sans qu’ils vampirisent le regard ? La cinéaste filme ces jeunes filles comme des pionnières cherchant, seules et à la dure, à exister pleinement. Elle transforme aussi les lieux, ces tours ingrates qu’une nuit électrique rend méconnaissables, comme de curieux vaisseaux à l’architecture brute… Depuis L’Esquive, d’Abdellatif Kechiche, il y a dix ans, on attendait que le cinéma se réapproprie la banlieue avec autant de panache. C’est chose faite.

Mathilde Blottière – Telerama

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