De Samuel Benchetrit – France – 2015 – 1h40
Avec Isabelle Huppert , Thierry Gimenez , Gustave Kervern …
On est quelque part en France, dans une barre HLM noyée sous la grisaille. L’ascenseur tombe en panne… et le film décolle vers le loufoque et le burlesque à travers 3 rencontres improbables. La solitude est le point de départ de tous les personnages, chaque histoire est la naissance d’un lien: l’astronaute américain et la vieille dame maghrébine qui fait le couscous, l’actrice oubliée et son voisin de palier, l’infirmière et le patient amoureux en fauteuil…Pour une fois la banlieue n’est pas synonyme de violence et de haine, et une vérité bienfaisante émane de ce portrait en déséquilibre.
Critique
S’inspirant partiellement de deux nouvelles de son propre recueil Les Chroniques de l’asphalte, Samuel Benchetrit entrecroise ici trois histoires dans et autour du même immeuble de banlieue parisienne – trois histoires de rencontres et d’apprivoisement : entre un handicapé mal à l’aise avec la vie en société et une infirmière de nuit esseulée, un ado désinvolte et une actrice sur le retour, une mère d’origine kabyle et un astronaute américain atterri dans le coin par erreur. Le tout forme un film à sketches dont le montage parallèle tente de faire un film choral sur la cohabitation entre les hommes, où de l’ensemble des voix particulières se dégagerait une expression commune. On reconnaît les contours du spleen, des difficultés de rapport à l’autre et à soi, de l’envie de se réinventer… Soit des sentiments et des notions assez généraux et vagues pour intriguer par les promesses qu’ils formulent, mais qui ne génèrent qu’un intérêt fugace. Le film et l’ambiance douce-amère qu’il entretient ne nous atteignent que superficiellement : la loufoquerie, l’ironie, la neurasthénie et la sérénité cherchent à susciter le rire et la pitié, mais n’impliquent le regard qu’à distance.
À cela n’est pas étrangère une certaine affectation de la mise en scène qui, avec son artisanat du dialogue et la retenue de ses cadres fixes au format 1.33 (choisis semble-t-il en fonction de l’exiguïté des décors), fait mine d’un point de vue conciliant l’attention posée aux fêlures humaines (gestes et paroles) et la volonté d’en tirer posément les dimensions burlesque et poétique. Or, il manque quelque chose pour que la démarche touche vraiment : un rapport sincère et affirmé au monde qu’il filme, à ses personnages fêlés, plutôt qu’une raideur de conteur cherchant sa contenance. En l’état, cette posture de cinéaste ne nous laisse qu’observer de loin les personnages et les situations comme on observerait un petit monde qui se voudrait un reflet du nôtre, mais qui paraît plutôt isolé dedans.
Petite musique
Il faut dire aussi que chacun des trois récits pris séparément se révèle assez inconsistant. L’un rame pour arriver à l’essentiel (un homme ment gentiment et pathétiquement pour séduire une femme, et finira par sortir de sa coquille) dont sa vision s’arrête au gentil et au pathétique. Un autre ne tient guère que sur un jeu d’acteur délicieusement décalé (avouons-le : on a un faible pour Isabelle Huppert en vieille ex-star à la ramasse) et sur une vague célébration cinéphile (on y passe un extrait de La Dentellière, déguisé en noir et blanc et sous un autre titre). Et le dernier agite un contexte géopolitique actuel (les relations tendues entre l’Amérique et le monde arabe) en arrière-plan d’un face-à-face où, au-delà d’une certaine cocasserie convenue, il ne se passe à peu près rien.
Non seulement le film entier ne semble jamais vouloir dépasser son horizon de sentiments consensuels facilement acquis, mais il s’apparente finalement à un tour de passe-passe pour donner une illusion d’épaisseur à un trio de courts métrages qui n’en méritent pas tant – l’« épaisseur » étant aussi assimilée à l’homogénéité. L’entrecroisement des récits par le montage parallèle tente ce camouflage, et Benchetrit en rajoute un peu, comme avec ce son mystérieux que tout le monde entend et qui serait comme une petite musique courant à travers la cité. Quand on y pense, la petite musique résonne comme prenant part à l’affectation de discrétion et de retenue d’un conteur observant ses contemporains derrière la vitrine qu’il a dressée entre eux et nous.
Critikat