Né le 17 avril 1968 à Philadelphie
USA
Réalisateur, scénariste, acteur
Frangins malgré eux, Very Bad Cops, The Big Short : le Casse du Siècle, Vice
Méconnaissable dans le rôle de Dick Cheney dans « Vice », l’acteur Charles Bale dresse un portrait amer et en colère de l’énigmatique politicien, ex-vice président des États-Unis.
Associé à presque toutes les administrations républicaines depuis la présidence Nixon, Dick Cheney connut l’apogée de sa carrière comme vice-président au côté de George W. Bush, entre 2001 et 2009. Après les attentats du 11 Septembre, c’est lui qui encouragea la désignation officielle de l’Irak de Saddam Hussein comme complice d’Al-Qaïda et réussit à convaincre l’influençable Bush Jr. de lancer l’Amérique dans une guerre aux désastreuses conséquences pour tout le Moyen-Orient. Habitué à l’immersion absolue dans ses rôles, Christian Bale, 45 ans, n’a pas hésité à empiler de nouveau les kilos pour s’approcher physiquement de ce mystérieux « Raspoutine » de l’Ouest
qui, à en croire les recherches sur lesquelles se base Vice, tira réellement les ficelles de la politique extérieure américaine sous le mandat de Bush. Répondant à nos questions par téléphone depuis Los Angeles, où il réside, Bale ne cache pas une relative frustration à ne pas avoir pu approcher la « bête », aujourd’hui en retraite et resté sourd aux tentatives de prise de contact. Un super vilain de la politique, que notre ex-interprète de Batman charge sans retenue dans cette interview, tout en se défendant d’avoir livré, avec son réalisateur Adam McKay, un biopic à charge contre Dick Chene.
Peut-on dire de Dick Cheney qu’il est, en quelque sorte, un super-héros américain ?
Christian Bale : (interloqué)… Certainement pas ! Mais votre question est intéressante par rapport à la perception de ce qu’est le patriotisme. Je pense que Dick Cheney reste persuadé d’avoir agi dans l’intérêt de la nation, persuadé d’être un héros américain. Mais je suis en tout point opposé à l’idée de le qualifier de héros américain. Au lieu de promouvoir les idéaux de l’Amérique, il les a en réalité trahis. Il a trompé ses propres amis comme Dick Armey, il a trompé tout le peuple américain pour nous conduire dans cette guerre en Irak en soutenant que Saddam Hussein possédait des armes de destruction massive. Et plus tard, lorsque le Congrès a prouvé que c’était faux, Cheney s’est rétracté en disant que cela n’avait de toute façon aucune importance que l’Irak ait ces armes ou pas ! Les conséquences de cette intervention ont été dévastatrices. Nous n’avons pas été accueillis en libérateurs, ni n’avons sécurisé ou poussé l’Irak vers la démocratie. C’est même plutôt l’opposé. Et puis il y a cet épouvantable bilan humain. Vice pousse à réfléchir sur l’essence du patriotisme, parce que Cheney se considérait certainement comme un patriote par-dessus tout, alors qu’il devrait être condamné pour crimes de guerre.
Quel intérêt y avait-il à raconter l’histoire de cet obscur personnage ?
J’étais très curieux quand Adam m’a proposé le rôle parce que, en effet, je savais peu de choses sur Cheney. Je savais qu’il était une figure influente agissant dans l’ombre de W. Bush, je connaissais ses liens avec le groupe pétrolier Halliburton, je connaissais les imitations que Darrell Hammond avait fait de lui dans le Saturday Night Live… et c’est à peu près tout. Mais, pour moi, Vice était l’occasion de raconter les coulisses des premières grosses fake news de l’ère post 11-Septembre. Elles ont complètement gâché l’élan initial de solidarité dans le monde en faveur des États-Unis. Le 11 Septembre a été pour Cheney l’opportunité de s’emparer du trône, dans l’ombre de Bush, et d’imposer les vues des néoconservateurs qui voulaient achever ce que Bush père avait commencé en Irak en 1991. Dans cet entourage, beaucoup de voix estimaient que Bush Jr. avait commis une erreur, à la fin de la première guerre du Golfe, en refusant de renverser Saddam. Avec la fin de l’URSS, ces néoconservateurs avaient ce sentiment de toute-puissance et pensaient que l’Amérique devait plus que jamais affirmer son emprise sur le globe. Dick Cheney a vu le 11 Septembre comme l’opportunité pour notre pays d’affirmer ce statut d’unique superpuissance restante. Même s’il est infiniment plus intelligent que Donald Trump, il y a une continuité entre les deux personnages dans cette façon systématique de détourner nos lois et notre Constitution pour justifier des abus de pouvoirs.
L’Amérique de Trump est donc l’héritière des pratiques de Bush Jr. et de Cheney ?
Les personnalités de Trump et de Cheney sont très différentes. Le second, au moins, savait comment fonctionnait un gouvernement. Cheney était un homme de peu de mots, qui aimait le silence. Il était réputé pour son arrogance, mais il aimait rester dans l’ombre et déléguer le pouvoir. Il est resté une force politique de l’ombre très puissante pendant trois décennies. Trump, lui, ne peut s’empêcher de s’exposer, de s’afficher sur les réseaux sociaux… Mais ils ont en commun d’induire en erreur le peuple et de compromettre nos idéaux.
Vous-même restez très secret et fuyez les réseaux sociaux comme la peste…
Je n’ai jamais été sur un réseau social de toute ma vie. Mais de ce que j’en lis et entends, il apparaît clairement que Facebook et Twitter attirent les gens vers ce besoin naturel de creuser toujours un peu plus le trou du conspirationnisme. Je ne m’y aventure jamais, je préfère m’occuper de mes enfants.
Pourquoi vous êtes-vous senti obligé de grossir une fois de plus pour un rôle ?
C’est devenu un sujet de curiosité pour les journalistes qui devient plus important que mon travail lui-même. Beaucoup de chiffres circulent sur cette prise de poids, je me contenterai de vous dire que ce fut bien plus de 20 kilos. Et que je ne pense pas recommencer un jour. Il me fallait m’approcher de la vérité de Cheney, donc la prise de poids était un moyen au même titre que mes tentatives d’entrer en contact avec lui. Je me suis préparé pendant des mois, j’espérais vraiment le rencontrer via un de ses amis proches. Ce dernier l’appelait régulièrement, y compris devant moi, et tombait sur sa messagerie – j’ai donc pu écouter le message de répondeur de Cheney, c’est tout ! Il lui a laissé quelques messages, mais la production m’a finalement dissuadé de poursuivre mes tentatives. Si Cheney n’avait aucun moyen de nous empêcher de faire le film, il pouvait certainement faire en sorte de le retarder si on le cherchait trop. Pas grave, il y a une quantité astronomique d’archives sur lui et je me suis rabattu sur son entourage, que j’ai longuement questionné sur ses convictions.
Avez-vous l’impression d’avoir livré une version caricaturale et à charge de Dick Cheney, comme certains vous le reprochent ?
Au contraire ! On a passé un pacte avec Adam : il n’était pas question de faire un film à charge contre Cheney et le film montre qu’il était aussi un mari et un père aimant. Même les vilains peuvent être aussi de merveilleuses personnes dans d’autres aspects de leur vie. En préparant Vice, on a découvert à quel point son épouse Lynne (jouée par Amy Adams dans le film, NDLR) fut une force déterminante dans l’ambition de Cheney. Sans elle, il serait sans doute resté un buveur de bière du week-end, dont le métier consistait à poser des lignes électriques. Il venait même d’une famille de démocrates ! Le film montre que c’est Lynne qui le pousse à devenir un homme politique opportuniste. Nous n’avons pas voulu faire de Dick Cheney un personnage haïssable, mais, au contraire, un type qui protégeait sa famille, même si, encore aujourd’hui aux États-Unis, certains le voient comme le diable, parfois même au sein du Parti républicain.
Au vu du film, avez-vous l’impression que votre investissement en valait la peine ?
Je ne sais pas. Vice est un film de gens en colère contre l’Amérique, une colère qui est simplement issue de notre amour pour le potentiel de grandeur de ce pays, malgré sa part d’ombre. C’est mon pays d’adoption et je continue de le voir comme une terre de liberté et d’opportunité, mais nous ne cessons de reculer par rapport à ces idéaux. Dick Cheney est devenu une obsession pour moi. Sa trahison par rapport à sa fille pour des raisons électorales, sa façon de vivre le pouvoir comme une question de vie ou de mort… Mais malgré tous mes efforts, toutes mes recherches, je n’ai pas réussi à comprendre ce personnage. Il y a toujours un mystère Cheney que je n’ai pas su percer. A-t-il sciemment tordu la vérité pour parvenir à ses fins ou croyait-il sincèrement à ses mensonges ? C’est une question fascinante pour moi.
Par Philippe Guedj, publié le Le Point.fr