A FEUX DOUX
De Sarah Friedland
Avec Kathleen Chalflant, H. Jon Benjamin
Le film s’ouvre avec Ruth (Kathleen Chalfant), une femme âgée seule chez elle, se préparant minutieusement à un rendez-vous qu’on pourrait croire amoureux : choix de la tenue, décoration de la table, préparation du repas… Rien n’est laissé au hasard. Après quelques questions anodines échangées avec son mystérieux « date », elle hasarde : « Voyez-vous quelqu’un de spécial en ce moment ? » Ce à quoi l’homme, qui semble un peu plus jeune qu’elle, répond, surpris : « Je dirais que ma femme est assez spéciale. » Il faut encore attendre quelques minutes et un voyage en voiture que Ruth imagine être le début d’une escapade amoureuse pour comprendre qu’il s’agit en réalité de son fils, Steve (H. Jon Benjamin), qui l’emmène vivre dans une résidence adaptée aux personnes âgées…
Fort d’un parti pris quasi documentaire, À feu doux suit l’acclimatation de son héroïne à son nouveau chez-elle, en accordant une grande attention aux visites médicales, aux soins, aux repas pris dans la salle commune, aux nuits d’insomnie dans la chambre inconnue. Rien de très spectaculaire, si ce n’est que le film épouse le point de vue changeant d’une femme en qui ressurgissent, tour à tour, l’ex-cuisinière autoritaire, la séductrice minaudante, la petite fille refusant de sortir de la piscine. Comédienne de théâtre aperçue dans mille séries télé, Kathleen Chalfant lui prête son profil d’aigle déboussolé et la justesse de chacun de ses gestes.
« A nos aînés et aux personnes qui prennent soin d’eux. » La dédicace placée à la toute fin du générique d’A feu doux, de Sarah Friedland, éclaire sur l’ambition de ce premier long-métrage, présenté, en 2024, à la Mostra de Venise, dans la sélection Orizzonti et primé trois fois (dont celui du meilleur premier film) : apporter un regard différent sur le grand âge. La cinéaste américaine assimile d’ailleurs son film à un « coming of old age », comme pour souligner que les récits d’apprentissage ne devraient pas être réservés à la jeunesse. Sarah Friedland entend ainsi couper court à la seule représentation de la vieillesse sur le mode du lent déclin menant à une disparition certaine. A feu doux avance en suivant une logique beaucoup moins linéaire où l’éveil va de pair avec l’oubli.