TONNERRE

De Guillaume Brac – France 2014 – 1H40
Avec Vincent Macaigne, Solène Rigot, Bernard Menez …


Un rockeur dans la dèche s’installe provisoirement chez son père en province. Un beau portrait de trentenaire déphasé, glissant avec grâce du naturalisme doux au lyrisme déjanté.

Après le beau succès d’estime de son moyen métrage Un monde sans femmes,on attendait avec gourmandise le premier long de Guillaume Brac. Le jeune réalisateur confirme sa veine réaliste et sentimentale, sa tonalité tissant comédie et drame, sa cartographie précise de la province,
son attachement à la figure masculine du garçon perdu entre deux âges, mi-ado attardé, mi-adulte, incarné par son acteur fétiche, l’excellent Vincent Macaigne (également figure de proue de la plupart des jeunes cinéastes intéressants du moment – lire son portrait p. 58).

Macaigne est ici un rockeur mélancolique, en pleine coupure électrique, sorte de lointain cousin bourguignon du maussade Llewyn Davis des Coen. Son album n’a pas marché, il est en panne d’inspiration et de finances, revient habiter chez son père à Tonnerre, dans l’Yonne.

Revenir à 30 ans chez son daron dans un bled assoupi et hors du monde est sans doute une forme d’accomplissement dans l’échec, un grand chelem de la lose. Heureusement, sa rencontre avec une journaliste locale stagiaire lui donne l’espoir de rebondir, de rebrancher un peu l’électricité.

Comme dans Un monde sans femmes, Brac décrit le processus amoureux avec beaucoup de patience et de minutie, captant les timidités, les maladresses, les élans, les hésitations qui jalonnentla rencontre entre une jolie fille de 20 ans et un trentenaire déjà écorché par la vie. Comme dans le film précédent, le couple est inscrit dans un contexte socio-familial et géographique précis.

Par exemple le père, joué par Bernard Menez, qui amène sa vis comica naturelle, sa bonhomie et tout un pan de mémoire cinéphile, entre Jacques Rozier et Pascal Thomas. On verra au cours du film que ce père poule a sa part de responsabilité inconsciente dans l’état atone du rockeur déconfit. La ville de Tonnerre, qui semble à l’exact opposé de son nom, joue son rôle de charmant repoussoir, avec ses rues un peu mornes, son hiver engourdissant, ses intérieurs de papier peint jauni, ses vieilles pierres très belles mais qui suintent l’ennui, le déclassement, la vieillesse. Ici, comme au fond d’une vallée perdue de western, le temps s’arrête, les chiens aboient, mais le TGV du monde contemporain passe.

Tonnerre pourrait n’être qu’une énième chronique naturaliste provinciale, tricotée avec talent mais peu novatrice, sentant un peu le vieux à l’instar des lieux où il est situé. Mais Guillaume Brac réussit à montrer autre chose sous la carte postale du bourg qui s’étiole et d’une amourette comme une autre. Une crypte secrète, lieu de quelque légende locale, montre que même un banal chef-lieu de canton peut receler un potentiel romanesque.

Un voisin vigneron qui, racontant son histoire familiale sombre, instille une dose anxiogène. Des paysages enneigés, filmés comme un décor de conte gothique, une forêt à la fois magique et maléfique tirent le film et la Bourgogne prosaïque vers un registre plus mystérieux.

Et puis, à mi-film, une rupture de ton imprévisible, un “coup de tonnerre”, que l’on ne racontera pas, si ce n’est pour dire que la comédie désenchantée bascule dans le film noir et que Macaigne confirme son talent à pouvoir tout jouer et à changer de registre d’un instant à l’autre avec la même puissance d’incarnation. Ajoutons que la jeune Solène Rigot est une jolie découverte et que la critique Marie-Anne Guérin (les Cahiers du cinéma, Trafic…) fait une apparition réjouissante en grande bourgeoise séduisante et fantasque.

Commencé piano piano, Tonnerre monte en intensité jusqu’à se permettre, mine de rien, un finale quasi langien où se confrontent la loi et la morale, l’innocence et la culpabilité, avec le spectateur comme juge de dernière instance. Sous le calme apparent de Tonnerre, la foudre était prête à frapper.

Les Inrockuptibles

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