YURT

YURT

Film de Nehir Tuna – Turquie, Allemagne, France – VOST -1h56

Avec Doga Karakas, Can Bartu Aslan, Ozan Celik…

Un beau garçon en uniforme de collégien se fait déposer par le bus scolaire à une fausse adresse. Une fois certain que personne ne le voit, Ahmet,14 ans, marche pour se retrouver devant la grille, barbelée, d’un yurt, un dortoir islamiste où il réside. Son père, bourgeois aisé converti depuis peu et tenant à imposer sa foi à son fils, l’a inscrit de force dans cet établissement coranique où l’enseignement se fait, bien souvent , à coup de ceinture. En revanche, le jour, Ahmet suit les  cours d’un lycée privé aux valeurs laïques héritées d’Atatürk. C’est l’histoire, en cette année 1996, où les tensions politiques et religieuses sont au plus fort en Turquie, d’une adolescence coupée en deux, schizophrénique, heureusement sauvée par l’amitié et la force des rêves…

Dès les premières images, d’un noir et blanc majestueux, au son de violons romanesques, on sait que ce premier long métrage de Nehir Tuna va respirer le cinéma et que son esthétisme sera l’écrin d’un grand film d’apprentissage. Celui vécu par le jeune cinéaste lui-même, précisément dans les années 90, entre deux mondes antagonistes, avec, l’espoir, ténu, de la construction d’une identité. D’un côté, donc, les dortoirs coraniques surpeuplés, vétustes, selon une mise en scène attachée aux moindres détails, montagnes de vieilles godasses à l’entrée, prières collectives et brimades incessantes. De l’autre, la modernité, le drapeau national et l’obsession, pour Ahmet, de ne pas être démasqué par ses camarades.

Le jour, à l’école, l’adolescent ment ; la nuit, au yurt, il cauchemarde, seul moyen pour ce garçon obéissant d’exprimer sa violence rentrée. C’est d’ailleurs ce qui fait l’originalité de ce film lointainement cousin des 400 Coups de Truffaut : son jeune héros, lui, ne se rebelle pas. Bon musulman pour ne pas décevoir son père, mais aussi bon élève pour se construire un avenir. Sa douceur (superbe Doga Karakas, au regard tendrement opaque) va être remuée par Hakan, 17 ans, pensionnaire issu d’un milieu beaucoup plus pauvre, qui va l’aider à s’affranchir des règles. Moment magique : lors d’une fugue sensuelle des deux amis, le noir et le blanc millimétré laisse, soudain, place à la couleur, au désordre. Ce n’est pas un procédé mais, réellement, la liberté de la jeunesse, l’émancipation qui éclatent, maladroites et électrisées, avec un étonnant corps à corps seulement éclairé par des lampes de poche… Difficile, ensuite, d’oublier ce précipité de vitalité dans une chronique si précise et paradoxalement délicate sur les carcans idéologiques ;

Beau récit d’apprentissage et un tableau acide de la Turquie.

Critique Télérama de Guillemette Odicino.

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