L’Ile Rouge
Un film de Robin Campillo – France – 1H 56 – 2023
Avec Nadia Tereszkiewicz, Quim Guttierrez, Charlie Vauselle, Sophie Guillemin
Bienvenue au paradis : Madagascar entre 1970 et 1972, sur la base militaire 181. La république malgache est indépendante depuis 1960 mais le père de Thomas, sous-officier, et ses collègues militaires sont toujours là, pour imposer encore un peu la présence française dans l’océan indien. Drôle de présence, joyeuse pour eux, mais déjà spectrale, le début de la fin des colonies. Un déjeuner dans le jardin entre amis : Colette, la mère, s’affaire autour de la table, planant un peu au-dessus du machisme ordinaire de son mari. Un autre jour ou plutôt un soir, ces couples que les circonstances coloniales poussent à une intimité presque forcée, danseront. A travers la vitre dépolie de la porte du salon, le petit Thomas, qui ne dort pas, ne perd pas une miette de ces silhouettes floues qui ondulent dans une couleur ocre. On pourrait ainsi décrire chaque scène, tenter d’en reproduire la matière romanesque, la teinte si précise de nostalgie, car « L’Ile Rouge » n’avance pas à la manière d’une narration classique : le film procède par écho, par analogie sensorielle. Robin Campillo use de la mise en scène comme d’un filtre magique : il trouve la texture exacte du souvenir, ses particules, sa vibration. Et le moindre petit gravier sous le talon des femmes bien habillées qui entrent dans le mess des officiers devient une image absolue de cinéma. La violence coloniale ou masculiniste est partout, derrière chaque paysage de rêve. Même s’il ne la comprend pas, le petit Thomas l’enregistre, à la manière d’un sismographe. Dans le rôle de la mère Nadia Tereszkiewiczest littéralement fascinante : mère au foyer en tee-shirt éponge des années 70, présente mais déjà loin, regard azur qui semble tout comprendre de la bêtise des hommes.
Avec ce film proustien, le réalisateur de « 120 Battements par Minute » livre une magnétique et universelle histoire d’émancipation. Un récit initiatique des plus délicats sur la naissance d’un œil de cinéma, le sien bien sûr… « le film est largement autobiographique » confie le réalisateur Robin Campillo.
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