De André Bonzel
Petit bijou de délicatesse et d’émotion, le long-métrage d’André Bonzel raconte la propre histoire du cinéaste à partir de films tournés par des autres. Bonzel utilise des films de famille dont – nous explique-t-il dans l’avant-propos de ce film qu’il va narrer en voix off – il fait collection depuis toujours. Sur des images de dizaines d’amateurs inconnus, offrant de la famille les tableaux gravés dans le celluloïd d’un bonheur bon enfant que rien ne saurait corrompre, se dessine ainsi une histoire personnelle plus sombre, plus éclatée, plus mystérieuse, dont on comprend assez rapidement qu’elle aura justifié ce dernier recours au bonheur filmé d’autrui pour s’écrire. : Un père sans chaleur et sans amour, une mère confite en dévotion : l’enfance de René Bonzel ne ressemble pas à l’image d’Epinal des films de famille. Un paternel biologiste conservant chez lui les bocaux de merde à examiner, péteur à table, entretenant plus de considération pour ses chiens que pour son fils. René n’y va pas avec le dos de la cuillère. Et la suite est à l’avenant. Père et mari qui construit un mur dans sa propre maison pour ne plus voir sa femme. Père absent au mariage de son fils, qui ne trouvera que trop rarement les ressources d’un mot, d’un geste d’amour ou de complicité. C’est, a contrario, le père d’un ami qui, en projetant à la petite bande d’enfants que fréquentait son fils des bobines de burlesque, lui insuffle non seulement la preuve que la bienveillance existe mais, plus encore, l’amour du cinéma. Du coup, René, fuyant rapidement le cercle atone de la famille nucléaire, se met à élargir le champ de sa caméra.
Sur des images d’amateurs inconnus, se dessine une histoire personnelle plus sombre, plus mystérieuse
Du côté de la famille élargie, où il trouve quelques traces répétées et incontestables d’un gène cinématographique chez quelques notables ancêtres (dont un, très timide, qui filmait les filles en douce, et qui en est mort après s’être encastré au volant de sa voiture alors qu’il filmait une jolie cycliste). Mais aussi bien du côté de ses amoureuses, qu’il filme frénétiquement. Ses propres films se mêlent ainsi aux autres, la voix et les paroles de l’auteur servant de liant romanesque au défilé d’images hétérogènes et hasardeuses qui défilent sur l’écran. J’aime à la fureur ne se réduit pourtant pas à l’illustration filmée d’une vie vécue par procuration cinématographique. Ce serait bien trop triste.
Le film, c’est sa suprême générosité, emporte avec lui, tous ces vidéastes amateurs, qui ont filmés, les reconduit vers le regard de nouveaux spectateurs qui s’en émeuvent, et c’est ici, pour fugace qu’elle soit, une éclatante résurrection qui a lieu, un lever d’entre les morts de ces figures vers les vivants que nous sommes, qui leur donnons abri provisoire en nos cœurs.
D’après la Critique de Jacques Mandelbaum du 26 avril 2022