Française
Réalisatrice, scénariste
Ca, c’est vraiment toi, Gare du Nord, Vous ne désirez que moi.
Claire Simon analyse la relation très particulière qui unissait Marguerite Duras et Yann Andréa à travers un duel à haute tension exécuté par Swann Arlaud et Emmanuelle Devos. À ce stade, personne ne saurait s’étonner qu’un film de Claire Simon soit une oeuvre provocatrice qui prend des risques. Le cinéma de la réalisatrice française se caractérise par son courage, son audace et sa capacité à poser des questions que peu oseraient poser. Dans Vous ne désirez que moi , ce mélange de transgression et de courage se retrouve, et Simon va même un peu plus loin encore dans les images, pensées et sensations aussi sincères que troublantes qu’elle porte à l’écran.
Cineuropa : Pourquoi avez-vous décidé de recréer cette personnalité très particulière qui est celle de Yann Andréa ?
Claire Simon : Je trouvais le livre extraordinaire, le livre qui est la transcription des deux cassettes. Je trouvais extraordinaire tout ce qui est dit dans ce texte.
Le film met en question l’idée du génie créateur. Cette idée de l’artiste génial qui peut être un être humaine questionnable, a-t-elle du sens aujourd’hui pour vous ?
Je pense que la question, c’est plutôt sur l’idée de l’immortalité dans l’amour. Je pense qu’il aime Duras pour être immortel. La question, c’est qu’est-ce que c’est que la vie si c’est ne pas essayer un peu d’être immortel d’une manière ou de l’autre? C’est le chemin qu’il a trouvé, aimer une écrivaine qu’il trouve géniale et être mêlé à son immortalité.
Chez Yann on trouve un peu la figure du fan. On trouve ça aujourd’hui avec les stars du pop ou du cinéma, mais pas trop avec les intellectuels. Êtes-vous intéressée par le phénomène fan ?
Pas vraiment, mais je pense que notre société est complètement obsédée par la célébrité, que tout le monde veut être connu. De ce point de vue-là, il représente quelque chose qui est toujours très actif dans notre société. Je pense qu’il y a un siècle ou il y a 50 ans, on n’était pas si obsédé par les idoles, par l’impression que si on n’est pas célèbre, on n’a pas vécu. On sent qu’il est dans une admiration plus classique, une admiration vers le maître.
On connait plein d’exemples d’hommes célèbres qui ont traité leurs femmes de manière pas du tout bonne, mais pas trop le contraire. Pourquoi avez–vous décidé de montrer ce côté plus sombre de Duras ?
C’est une histoire d’amour. C’est qui est intéressant pour moi en tant que femme et féministe, c’est que puisque c’est à l’envers, on voit une description de la soumission qui est exemplaire. Parce que ce qui est très difficile pour les femmes, qui ont été opprimées pendant des siècles, c’est de prendre la parole sur leur oppression. Yann est un homme qui est dans une situation très affaiblie, mais comme il a la culture des hommes, il arrive à nommer très précisément ce qui lui arrive. C’est très intéressant d’avoir cette description parce qu’elle est faite par l’autre côté.
Avez-vous eu accès aux cassettes, qui sont le matériel original du livre que vous adaptez très fidèlement ?
J’ai téléphoné très longuement avec la sœur de Yann Andréa qui les a retranscrites, elle met tout dans la retranscription, c’est exceptionnel. J’ai beaucoup parlé avec elle, elle m’a proposé d’écouter les cassettes mais je n’en ai pas voulu. Parce que je ne voulais pas être influencée par l’interprétation de Yann Andréa. Je voulais que Swann [Arlaud] ait la liberté de trouver la vérité des mots pour lui, pour sa sensibilité, je voulais que ça sorte de lui.
Comment avez-vous travaillé avec Emmanuelle Devos sur la manière dont elle exprime toutes ces émotions avec le silence et les gestes de son visage ?
Elle écoute, et il faut absolument que cela soit vrai, et c’est beaucoup plus difficile que la parole. Elle était convaincue que c’était un travail très difficile. Il y a quelques petites choses que je lui disais, mais c’était surtout son travail. Et après, c’était moi qui décidais de la filmer ou pas.
La musique qui ferme le film m’a fait sentir que j’étais dans un club gay.
C’est parfait, c’est ça que je voulais. Je pensais que c’était important d’avoir cette image du club gay des années 80 parce que c’est là où Yann s’enfuyait. J’ai choisi de montrer la scène des homosexuels dans le bois aussi, parce que j’aime beaucoup le bois et toute l’ambiance homosexuelle qui existe dans les bois.
Vous êtes une documentariste très expérimentée et dans ce film, les deux genres se touchent beaucoup. Que pensez-vous des genres dans le cinéma ?
Pour moi, le cinéma est forcément un peut documentaire, sinon il n’y a pas d’interêt. Si on pense à Coppola et Le Parrain, bien sûr il y avait les romans de Mario Puzzo, mais il y avait une réalité vraie derrière. Et aussi, par exemple, je trouve que Gravity de Cuarón est comme un documentaire, si vous voulez.
Cineuropa par Cristóbal Soage San Sebastian 2021