Pour son premier long-métrage, Antoine Raimbault s’attèle au genre du film de procès en retraçant l’énigmatique affaire Viguier qui avait bouleversé la ville de Toulouse dans les années 2000. Entretien avec un réalisateur obsessionnel passionné par la question judiciaire et habité par l’imaginaire américain du thriller judiciaire.
Le film de procès est un genre très sous-exploité dans le cinéma français. Pourquoi avoir choisi ce genre en particulier et pourquoi raconter l’Affaire Viguier pour évoquer la justice en France ?
J’ai découvert la cour d’assises et la justice de mon pays en 2009 lors du premier procès de Jacques Viguier auquel j’ai assisté. Je me suis rendu compte que je connaissais très mal la justice de mon pays et que toute l’idée que je m’en faisais venait des films américains. Ce qui a motivé l’écriture de ce film c’est ma fascination pour le judiciaire mais aussi pour cette affaire si particulière et pour ce doute incroyable qui l’entoure. L’affaire Viguier est symptomatique des dysfonctionnements de la justice française. C’est kafkaïen de juger pour meurtre en se demandant encore aujourd’hui si la victime est disparue. Cette affaire ne ressemble à aucune autre. Il y a eu des rebondissements improbables pendant le procès, on a beaucoup fantasmé sur la vérité de cette histoire. Et c’est ce qui m’a permis d’en faire un thriller et d’inventer ce personnage enquêteur malgré lui interprété par Marina Foïs.
Quels sont les écueils que vous vouliez absolument éviter ?
J’ai tout de suite voulu éviter de faire un film bavard, un film figé car dans une cour d’assises, on est tous assis par définition. Pour contourner ces pièges, j’ai préféré en faire un film d’obsession. L’obsession c’est celle de Nora, cet électron libre qui va se promener dans les coulisses de « la grande machine à juger » et qui va tout à coup se lancer dans une quête de vérité impossible, une quête dans laquelle elle va finir par se perdre. Je voulais épouser son point de vue pour mieux secouer le spectateur dans ses certitudes.
Comme dans chaque film basé sur un fait divers, on se pose cette question : où est la fiction ? Je crois que le personnage de Nora est une pure invention… Comment le scénario a-t-il été reçu par les Viguier ?
En quoi est-ce qu’« Une intime conviction » est un film sur le doute ?
Mon idée première a toujours été de faire valoir le doute, ce doute qui devrait en théorie toujours profiter à l’accusé. On ne saura probablement jamais ce qui s’est passé, c’est aussi ce qui est fascinant. Je voulais creuser un personnage dans une obsession et l’obsession c’est l’intime conviction, l’emprise de l’intime conviction sur la raison. C’est un film qui fait triompher le doute et évoque le danger de nos certitudes. Et d’ailleurs Nora n’est que le miroir de l’accusation : elle finit par devenir exactement ce qu’elle croyait combattre et la plaidoirie s’adresse autant à elle qu’aux accusateurs de jacques Viguier. La vérité c’est que la nature a horreur du vide.
Il se trouve que vous êtes directement impliqué dans cette histoire. Dans la vraie vie, c’est vous qui êtes aller chercher Éric Dupont-Moretti pour défendre Jacques Viguier lors de son second procès. Nora, c’est un peu vous non ?
Je ne suis pas complètement le personnage. Nora est un personnage composite : c’est à la fois moi et mon expérience de spectateur, la nouvelle compagne de Jacques Viguier qui s’est elle aussi lancée dans une quête de vérité et qui voulait devenir juge d’instruction et les différents jurés que j’ai pu rencontrer. Pour autant, ça reste un personnage transgressif qui ira toujours plus loin que la somme de ces points de vue.
Les acteurs sont tous excellents particulièrement l’interprète de Jacques Viguier : Laurent Lucas. Il y a quelque chose dans son interprétation d’opaque. Il est aussi mystérieux que Jacques Viguier l’était lors de son procès…
Jacques Viguier est un écran de cinéma, on peut tout projeter sur son visage. Plus on l’observe, moins on le voit. Il est fondamentalement opaque et absent. Et c’est ça qu’il fallait jouer : cette absence. Pour moi, il n’y avait que Laurent Lucas pour jouer ça. Malgré le mutisme de son personnage, il a tout de suite compris l’enjeu du projet. Il a vraiment incarné le Jacques du procès qui est une sorte d’homme de cire, un homme résumé par pans et sur lequel l’accusation projette tout ce qu’elle veut. C’était tellement lui.
Comment les acteurs qui interprétaient des personnages réels ont-ils travaillé leur rôle notamment Olivier Gourmet pour Éric Dupont-Moretti ?
Olivier Gourmet a passé trois jours avec Éric Dupont-Moretti. Par contre, il n’a pas pu le voir plaider, chose qui m’a empêché de dormir pendant trois semaines. Je pensais qu’il n’arriverait pas à le faire sans l’avoir vu. Mais au final, ça marche parce qu’il faut aussi que les acteurs trouvent leur place, leur interprétation. Il ne fallait surtout pas imiter. Personnellement au moment de la plaidoirie finale, je ne sais plus si c’est Olivier Gourmet ou Éric Dupont-Moretti. Je me demande toujours comment il a réussi à faire ça.
Propos recueillis par Justine Briquet à Lille le 21 janvier 2019 pour « Le Quotidien du Cinéma »