A touch of sin

Du 27 février ua 4 mars 2014

De Jia Zhang-Ze – Chine 2013 – 2h09 – VOST
Avec Jiang Wu, Zhao Tao…

Jia Zhang Ke signe un film majuscule sur l’état d’un pays en instance d’implosion.

A première vue, « A touch of Sin » est une œuvre de Jia Zhang Ke comme une autre, le cinéaste ayant radiographié dès ses débuts (« Platform », notamment), les mutations de son pays jusque dans ses territoires les plus reculés. C’est justement là que le film démarre, sur les reliefs accidentés d’une route de montagne. Le cinéaste y lance toutefois deux récits-roquettes : un par motard qui arpente la route, l’un tueur professionnel sillonnant le pays à la recherche de cash (pour nourrir sa famille comme un bon paysan), tandis que l’autre, mineur scandalisé, mute en justicier vengeur après la corruption de trop.

On comprend alors très vite que le temps de la chronique élégiaque cher au cinéaste de « Platform » est bel et bien révolu. « A touch of Sin » est une photographie implacable du marasme social chinois, un film de sabre revu et corrigé à l’aune du capitalisme sauvage, un « Short Cuts » oriental parfumé à la dynamite.

« A touch of sin » frappe d’abord par sa frontalité absolue, reprenant à son compte et sans métaphores alambiquées, les exaspérations et révoltes populaires qui fleurissent un peu partout en Chine. Le film est une pure photographie de l’instant, saisissant la première giclée d’exaspération comme la décadence instituée qui semble la précéder – d’autres personnages emblématiques prennent ensuite le relais des motards sans le moindre effet de raccordement scénaristique de plombier frimeur (Lelouch ou Bacri-Jaoui devraient en prendre de la graine). Ce n’est pas tant une guerre civile traditionnelle clivant une société en deux antipodes structurées que montre ici Jia Zhang Ke, mais une désintégration tout azimut, bien au delà de l’idée de crise, qui aspire au hasard et dans un désordre qui confine à la catastrophe naturelle, tortionnaires et victimes, profiteurs et spoliés, marginaux et fonctionnaires moyens.

A ce propos déjà gonflé, JZK associe la manière : un film-monde d’une ampleur phénoménale qui prend en charge chaque ondulation violente avec une fluidité sidérante et un envoutement poétique éthéré, brassant sans jamais les compacter une flopée de genres cinématographiques. Le film peut se voir comme un vigilente movie de haut vol où chaque crime ou échauffourée est chorégraphié avec un délice d’esthète moraliste (la première partie évoque « A history of violence » de Cronenberg). Qui n’empêche en rien une chronique sensuelle de fleurir en fin de parcours, entre un impayable lupanar de banlieue et une ville-usine. Chef d’œuvre peut être pas, mais grand film, indubitablement. Allez si, chef d’oeuvre.
Guillaume Loison – CinéObs

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