Gabriel et la montagne reconstitue les soixante-dix derniers jours de la vie de Gabriel Buschmann, qui fut un ami du réalisateur, Felipe Barbosa . En 2009, ce jeune homme issu de la bourgeoisie de Rio avait consacré une année sabbatique à faire le tour du monde. En tant qu’étudiant en sciences économiques s’apprêtant à intégrer une université© américaine, il souhaitait voir la pauvreté là ou elle se trouve en voyageant autrement que comme un vulgaire touriste, en vivant parmi les autochtones, en empruntant des chemins de traverse.
Le film commence par la découverte de son cadavre, enfoui derrière une dense végétation, littéralement absorbée par le paysage. Cette ouverture place tout ce qui suivra sous le signe de la mort, apportant à l’aventure de Gabriel une teinte tragique, et permettant à Barbosa de se distancier d’emblée de son idéalisme. Car tout l’enjeu du film est là : comment rester fidèle à l’ami mort tout en prenant avec son aventure la distance que lui pas pu prendre
La fidélité passe par la précision documentaire d’™un tournage qui a duré presque autant de jours que le temps de l’action, dans les lieux précis ou est passé Gabriel, avec, dans leurs propres rôles, tous ceux qui l’ont réellement accueilli et accompagné. Il s’agit surtout de s’approcher au plus prés de ce qu’il a pu éprouver. Cet aspect documentaire n’empêche pas une problématisation très subtile. Le cinéaste n’est jamais contre son personnage mais il révèle par petites touches ses contradictions. Malgré son désir de submersion totale, Gabriel ne peut Échapper à son statut d’étranger, de mzungu, comme on nomme les Blancs en Afrique de l’Est. Il n’est pas seulement trahi par sa couleur de peau mais surtout par sa volonté trop affichée de s’intégrer.
Bien sur, aucun Africain ne regarde et ne vit en Afrique avec une telle excitation vis-à -vis de tout ce qui l’™entoure, avec un tel élan humaniste face à une misère dont il n’est qu’un spectateur passager, avec une telle fierté à ne pas se comporter comme ceux de sa classe. Venue le rejoindre pendant quelques jours, sa petite amie, plus lucide, lui rappelle ses origines bourgeoises, que démontrent les rapports compliqués à l’™argent de ce riche jouant au pauvre.
Sans que le cinéaste ne force nos sentiments, on est constamment partagé entre la sympathie et l’agacement envers ce jeune homme candide qui incarne à la fois la générosité et les limites d’une certaine posture humanitariste, ou a générosité serait une forme tordue de narcissisme. Et peut-être incarne-t-il aussi la complexité© et l’ambivalence du Brésil, pays Emergent après avoir appartenu au tiers-monde, et qui culturellement garde toujours un pied en Afrique. Gabriel et la montagne n’ est cependant pas un film à thèse, à peine une fable. De quoi meurt Gabriel ? d’une trop grande confiance en sa liberté, en sa connivence avec le monde ? Mais ses photos demeurent. Celle qui semble avoir été prise depuis l’endroit précis ou il est mort, est bouleversante car elle ramène son aventure à sa part la plus solitaire et impartageable, ou c’est dans le regard embué d’une agonie parmi les plantes sauvages qu’ il parvient tragiquement à cette fusion avec le monde à laquelle il aspirait.