Stephan Streker

streker2Né le 17 mars 1964 à Bruxelles

Belgique

Réalisateur, scénariste, journaliste

Michael Blanco, le Monde nous Appartient, Noces.

Réalisateur au parcours atypique, Stephan Streker signe avec NOCES une tragédie étourdissante au fil de laquelle il nous contraint à mettre en question toute émancipation personnelle au regard de la tradition. S’appropriant un fait-divers dont il envisage la complexité en épousant la perspective de l’ensemble de ses personnages, il tend à un dénouement inéluctable tout en nous confrontant à la notion transcendentale de fatalité. Rencontre.

Quelle a été la genèse du film ? – J’ai été confronté à une histoire absolument extraordinaire. C’est une histoire terriblement forte inspirée d’un fait divers. L’angle juste a été celui de l’amour : ce sont des êtres humains qui s’aiment et qui sont confrontés à des enjeux moraux incroyablement forts et puissants. Je pense que NOCES est une tragédie grecque qui en dit énormément sur aujourd’hui. Dans la tragédie grecque, il n’y a pas vraiment de mauvais : le mal vient par au-dessus ; tout vient par au-dessus. Zahira n’est pas victime de monstre, elle est victime d’une situation monstrueuse. Le nuance est vraiment importante. Cette jeune fille aime sa famille et est très heureuse dans sa vie, mais dès lors qu’on lui propose un mariage dans la tradition pakistanaise, c’est quelque chose qu’elle ne peut pas accepter. Cela mène à une situation de tension terrible. J’ai voulu m’intéresser aux points de vues de tous ceux qui sont concernés. Il y a des choses auxquelles on ne pense jamais comme le fait que ses parents ont vécus ça et que l’amour était au bout puisqu’au final ils en ont très heureux. Il y a des exemples de réussite, ce qui pour nous, occidentaux, pourrait paraître invraisemblable pourtant c’est vrai.

La notion même de récit est importante pour vous. Vous ouvrez le film par un intertitre qui ancre l’hypothèse d’une « histoire ». – On peut dire du film qu’il traite du mariage forcé et de la double culture. Si c’est vrai, cela n’a pas été le moteur. C’est le fait que je pouvais raconter l’histoire d’êtres humains qui sont plongés dans une situation exceptionnelle. Je en crois pas que la démarche soit juste de vouloir faire un film sur un thème spécifique. J’avais un point de vue à porter sur une histoire incroyable. Après, évidemment, par rebonds, on traite d’un thème. Mais la source a été cette histoire que je devais raconter. Tout fait-divers à quelque chose de froid qui nous renvoie à notre propre impuissance. (…) Le film existe parce qu’il est possible de poser un geste artistique sur une histoire vraie. À l’extrême fin, je montre quelque chose de très clinique, car c’est une façon de rappeler que c’est une présentation des choses alors que l’on a fait tout un film qui montre autre chose.

Comment avez-vous construit le scénario ? – Il est plus facile d’écrire un scénario en sachant où l’on va ; quelle en est la fin. J’avais le début que je m’étais imposé et la fin était évidente. Je voulais faire un film linéaire. Cela s’est imposé de soi-même. Même si on est en marche vers quelque chose qui semble inéluctable, j’espère que le spectateur soit emporté par une émotion qui le subjugue.

Vous avez travaillé l’écriture avec Nicolas Peufaillit. – Nicolas a lu une première version et s’est énormément intéressé au projet. Il n’a rien écrit du tout mais il m’a énormément éclairé et rassuré. C’était un vrai plaisir de lui envoyer ce que je faisais. C’était un script-doctor – c’est quelque chose que je souhaite à tout le monde. J’ai écrit le scénario tout seul. Il y a des choses qui me viennent plus naturellement que d’autres. Je suis par exemple très à l’aise dans l’écriture des dialogues. Ce sont des scènes qui me viennent très vite et très naturellement. Pour tout ce qui est de la structure narrative, là, j’ai besoin d’aide. Et Nicolas m’a énormément aidé.

Est-il essentiel d’aimer ses personnages ? – Evidemment. Je ne sais pas faire autrement. Quels qu’ils soient. Et je dirais même que c’est important que les acteurs les aiment aussi. Je leur disais toujours de me dire s’il y avait quelque chose en quoi ils ne croyaient pas. C’est toujours facile de voir les différences qui existent entre les personnages et nous, mais il faut parvenir à voir les points communs. Il est évident que je suis dans le camp de Zahira, mais ce qui me touche dans cette histoire et rend le film intéressant, c’est d’essayer de comprendre tout le monde. Après, le jugement moral appartient au spectateur. Moi, je cherche à montrer avec le plus d’élévation et de générosité possibles une situation que je trouve extraordinaire. Car je maintiens que l’historie de Zahira est l’une des plus extraordinaires que je connaisse. Je vais sembler très prétentieux, mais j’assume : Sophocle à l’époque a écrit Antigone ; Sophocle aujourd’hui écrirait l’histoire de Zahira et cela s’appellerait Zahira car c’est une histoire incroyable.

Comment avez-vous intégré la culture pakistanaise ? – Il était très important d’y être fidèles et donc, très en amont, on s’est passionnés pour ça avec ma directrice artistique, Catherine Cosme. Pour les costumes, c’était évident, c’était un travail relativement « facile ». Pour le reste, pour la façon dont cette famille vit, il fallait être très précis. C’était indispensable pour moi. On s’est plongés dans cette culture. Il nous semblait très important que le film soit coproduit par le Pakistan – où l’affaire dont je traite était connue. Ils ont émis des remarques extrêmement concrètes à la lecture du scénario et nous ont dit qu’ils s’y retrouvaient tout à fait car l’histoire que je raconte est assez habituelle au Pakistan où de nombreuses personnes ont de la famille qui vit en Occident et sont confrontées à cette situation. Pour eux, ce qui était singulier, c’était le regard que je portais dessus. Pour être fidèles aux valeurs et aux coutumes traditionnelles, on avait en permanence sur le plateau une Pakistanaise qui nous a permis de savoir comment une fille s’adresse à son père.

L’emploi des langues est très important. Il y a des nombreux dialogues en ourdu, mais il y a aussi le passage d’une langue à l’autre. Comment avez-vous choisi ce qui se dit en ourdu et ce qui se dit en français ? – Les enfants du film sont francophones. Ils parlent parfaitement français sans aucun accent, mais ils parlent très bien ourdu avec un accent francophone. Ce qui était le cas de mes acteurs. (…) L’emploi des langue est très concret : se dit en ourdu ce qui est dit en public et que l’on n’a pas envie que ce soit compris. À un moment donné on parle de la maternité de Zahira, c’est quelque chose de très intime et c’est dit en ourdu. Lorsqu’ils parlent en français dans la cage d’escalier, ils se mettent à parler en ourdu quand quelqu’un ouvre la porte car ils ne veulent pas être compris. La mère ne parle presque exclusivement qu’en ourdu. Lorsqu’elle est de bonne composition Zahira lui répond en ourdu et lorsque ça ne se passe pas bien lui répond en français parce qu’elle sait très bien que la mère comprend tout.

A-t-il été facile de trouver vos acteurs ? – Ça a été le plus gros challenge du film ; J’ai toujours dit qu’il faudrait trouver Zahira avant tout le monde et c’est la dernière qu’on a trouvé. C’est un truc de fou. La rencontre avec Lina est un véritable miracle. Quand ce genre de chose arrive, il ne faut être que dans le reconnaissance. Les astres ce sont bien mis. Ça n’est pas été évident. C’est un véritable miracle. Son talent, son intelligence et son niveau d’exigence ont tellement servi le film que ça a servi tout le monde. Tous les comédiens ont été tirés vers le haut. Je n’ai pas de recul par rapport à mon travail. Je peux juste dire que j’ai fait comme j’ai pu. Néanmoins les acteurs sont le miracle du film.

Comment travaillez-vous avec eux ? – Il y a un secret : il faut aimer ses acteurs, je pense qu’alors ils sont meilleurs. Ce n’était donc pas compliqué car je les aime vraiment. Tout se fait dans le choix. Pour faire court, c’est quand même très facile de diriger des bons comédiens et c’est vachement compliqué de diriger des mauvais. À partir du moment où ils sont bons, le mérite qu’on a à les diriger est très amenuisé. On a tourné au Luxembourg donc on était tous un peu déracinés. On était très proches les uns des autres. Babak Karimi habite en Iran, Nina Kulkarni habite à Bombay, Lina et Sébastien habitent à Paris, moi à Bruxelles : on était tous déracinés. On avait l’impression non seulement de fonder une famille mais de faire quelque chose d’important. J’ai trouvé chez mes comédiens une exigence qui était comparable à la mienne. C’était un miracle car je suis vraiment un casse-souilles sur un plateau. Et cela valait aussi pour l’équipe technique. Tout le monde s’est dit qu’il fallait y aller à fond.

Le film est très découpé. Comment avez-vous travaillé l’approche visuelle ? – Le film est en effet très découpé car je trouve que c’est une façon d’intensifier le point de vue. J’ai tout fait – des longs plans, des plans séquences – et ici je voulais assumer ça (le découpage). Il fallait toujours être au service de l’histoire et des personnages. Si j’étais intéressé par la réaction des personnages, je faisais un gros plan pour la montrer ; pas pour soutirer quelque chose, mais pour simplement montrer quel était le point de vue. J’ai assumé le champs/contre-champs ; j’aurais pu me calmer un peu, mais je n’avais pas envie de le faire. Ça permettait de donner du sens aux plans plus longs, comme lors de l’échange entre les deux soeurs qui se termine par un plan fixe qui dure 1 minute 45 sur Aurora Marion. Là, comme ça n’a pas été fait avant, ça prend du sens. La première scène est un long plan fixe pour dire : « voici ce qui nous intéresse et qui nous intéresse ».

Votre approche témoigne également d’une certaine frontalité. – Toujours. Au cinéma, je crois très fort en la symétrie et au rapport frontal. Je ne suis pas le seul, Kubrick était passé par là avant et je me suis permis, très très humblement, de m’en inspirer.

Votre écriture est-elle du coup très visuelle ? – Oui. Parce que ça me vient comme ça. Je ne l’ai pas voulue visuelle, mais c’est comme ça que j’écris. Avec mon chef-opérateur, Grimm Vandekerckhove, qui m’a apporté énormément et dont c’était le premier long-métrage, on a très vite su quelle était la grammaire du film. Je suis très sensible au cadre et j’ai la faiblesse de parfois cadrer moi-même – même si je me retiens un peu. Grimm et moi, on avait le même cadre. Et puis, comme il travaille très vite pour la lumière où je n’ai pas de compétences – ou très peu – ça a été une très grande chance.

Les rare emploi musicaux trouvent leur source au coeur du film. – J’ai décidé qu’il n’y aurait aucune musique extra-diégétique. La seule musique qu’il y a est entendue par les personnages. Ozark Henri avait tout de même composé quelque chose de magnifique, mais, finalement, on a décidé ensemble de ne pas utiliser son travail. Ce qui témoigne de son absence d’égo. Il m’a serré dans ses bras et il m’a dit qu’il pensait que c’était la meilleure décision pour le film.

Entretien réalisé lors du Festival International du Film Francophone de Namur par Nicolas Gilson le 07/03/2017.

Ce contenu a été posté dans Archives réalisateurs, Réalisateurs. Mettre en favori.

Comments are closed.