26 juin 1973 Champigny-sur-Marne
France
Acteur, réalisateur, scénariste, écrivain
Janis et John, J’ai toujours rêvé d’être un gangster, Chez Gino, Un voyage, Asphalte
Entretien avec Samuel Benchetrit
Qu’est-ce qui vous a donné envie de réaliser Asphalte ?
Samuel Benchetrit : Ce film réunit deux des nouvelles des « Chroniques de l’asphalte » que j’ai écrites en 2005 auxquelles j’ai adjoint l’histoire d’une comédienne qui vient s’installer dans ce même HLM désaffecté d’une cité. Avec Asphalte, j’avais envie de raconter la banlieue différemment à travers des personnages qu’on n’a pas l’habitude de voir quand on aborde ce sujet. Et si je devais résumer le film, je dirais qu’il s’agit de trois histoires de chute. Comment peut-on tomber – du ciel, d’un fauteuil roulant ou de son piédestal – et être récupéré ? Voilà la question qui traverse à chaque instant Asphalte. Car les gens de banlieue peuvent être de très grands « récupérateurs ». Pour y avoir passé ma jeunesse, je peux dire que je n’ai jamais connu de solidarité aussi forte qu’en banlieue. Même si avec le temps, comme partout, la solitude et l’isolement gagnent peu à peu du terrain.
Quand ce projet est- il né précisément ?
S.B. : J’ai écrit le scénario voilà 4 ans, juste après la fin du tournage de J’ai toujours rêvé d’être un gangster. Mais je n’ai pas tout de suite cherché à le monter financièrement car je m’étais engagé à réaliser Chez Gino. Et ce n’est qu’après ce tournage que la recherche d’argent a débuté. Mes deux premiers producteurs étaient persuadés qu’ils allaient trouver 5 millions d’euros sur mon seul nom. Et comme je n’avais cessé de le leur répéter, ils ont évidemment échoué. Alors, j’ai tourné Un voyage de mon côté, en l’auto-produisant. Et c’est juste après cette expérience à la fois douloureuse et salvatrice que j’ai eu la chance de rencontrer trois autres producteurs : Julien Madon, Marie Savare et Ivan Taïeb. Asphalte doit énormément à ces trois personnes qui ont cru, dès le départ, au projet et toujours répondu présents à chaque aléas rencontré.
Quels sont les premiers acteurs que vous avez eu en tête pour Asphalte ?
S.B. : Valeria Bruni-tedeschi et Michael Pitt ont répondu présent dès le départ et ne m’ont jamais lâché. J’avais aussi depuis longtemps envie de travailler avec Valeria. C’est une femme qui me touche profondément. Devant les films qu’elle réalise, j’attends toujours le moment où elle surgit à l’écran car je sais qu’il va forcément se passer quelque chose. J’étais donc persuadé qu’elle allait animer Asphalte à chacune de ses apparitions, même si son personnage d’infirmière a peu de scènes. Par sa beauté, son excitation, son malaise… C’est toujours une chance d’être près d’elle.
Et pourquoi avoir fait appel à Michael Pitt pour jouer le cosmonaute qui atterrit sur le toit de cet immeuble HLM ?
S.B. : Lui aussi m’a vraiment impressionné. Sur un plateau, il ne cesse de chercher et de proposer de nouvelles idées. C’est un bosseur fou qui dégage une puissance saisissante quand il joue. Michael était ma toute première idée pour ce rôle. Et j’avais un atout dans ma poche : le prix remporté par J’ai toujours rêvé d’être un gangster à Sundance permet d’ouvrir certaines portes. On a envoyé le scénario à trois acteurs différents. Et Michael fut le premier à répondre et à nous dire oui.
Oui comme vous l’a donc aussi dit Isabelle Huppert…
S.B. : Exactement. J’ai toujours rêvé de tourner avec Isabelle. Et son oui fut un déclic dans cette aventure. De mon premier échange avec elle jusqu’à aujourd’hui, j’ai vécu un moment merveilleux avec elle. C’est une immense professionnelle qui sait exactement ce qu’elle veut et travaille énormément pour y parvenir. Comme réalisateur, elle vous place dans une élégance de travail. Elle met cette distance qui rend les prises sacrées et le texte précieux. Et puis, sur le plateau, il s’est vraiment passé quelque chose de spécial entre mon fils Jules et elle. Ils se sont beaucoup aimés.
Vous avez immédiatement pensé à Jules pour jouer le rôle de son jeune voisin ?
S.B. : Non. Mes producteurs l’avaient suggéré d’emblée mais c’était au départ hors de question pour moi. J’ai donc vu pas mal d’autres ados. Mais comme ils insistaient, j’ai fini par céder et lui faire passer un bout d’essai. Et là, j’ai dû me rendre à l’évidence. En toute objectivité, il était mieux que les autres car il avait d’emblée tout pigé du rôle. Je le lui ai donc confié sans la moindre hésitation. Mais ça ne m’a pas empêché d’être un peu inquiet pour lui. Pour sa première scène, il s’est quand même retrouvé en slip à donner des coups de pied dans un ascenseur devant Isabelle Huppert ! (rires) Dans la vie, Jules est quelqu’un d’assez secret. Et à l’écran, il possède tout à la fois une violence qu’il met dans son interprétation et une désinvolture incroyable. Son personnage fait écho à sa propre vie, notamment dans ce rapport à la mère absente. Derrière ma caméra, je me disais parfois que j’étais complètement dingue de lui demander de jouer certaines situations. Mais j’avais tort. Car l’élégance qui dominait ce plateau a permis à tous ces non-dit de planer magnifiquement au-dessus de nous. Je pense que Jules a beaucoup appris d’Isabelle qui, pour chaque scène, se prépare dans son coin, loin du tumulte du plateau. Jules a suivi la même méthode et ne s’est jamais laissé déconcentrer par cette équipe qu’il connaît depuis qu’il est né. D’ailleurs avec Isabelle et lui, j’ai fait très peu de prises. Dès la première, tout ce que je recherchais était présent.
Continuons à explorer le casting du film. Pourquoi avoir choisi Gustave Kervern pour jouer Sternkowitz ?
S.B. : Au départ, c’est Jean-Louis Trintignant qui devait l’interpréter mais il a dû renoncer pour des raisons physiques. Je ne voyais pas comment le remplacer alors j’ai rajeuni le personnage. Je cherchais quelqu’un de romantique. Et Gustave m’est apparu comme une évidence. Voilà un romantique pur et dur ! Il possède une humanité d’une puissance infinie.
Le dernier membre de ce sextet a pour nom Tassadit Mandi. Elle joue la femme qui recueille le cosmonaute dans son appartement. Comment l’avez-vous dénichée ?
S.B. : J’ai mis longtemps à trouver celle qui allait incarner cette mère dont le fils est en prison. Jusqu’à ce qu’Eric Pujol, mon premier assistant, me parle d’une connaissance d’une connaissance que j’ai donc contactée. Je connais par cœur le personnage qu’elle incarne : cette femme a existé dans ma vie. Je n’ai jamais oublié son regard malin, sa douceur et sa détermination que j’ai retrouvés chez Tassadit. En fait, avec Asphalte, c’est la première fois que je tourne avec autant de gens que je ne connais pas et dotés de personnalités très fortes. Et je me suis vraiment laissé aller à filmer leurs personnalités sans chercher à les mettre de force dans mon univers.
Est-ce qu’on aborde un film différemment après deux échecs comme Gino et Un voyage ?
S.B. : Non parce qu’Asphalte est le film qui me ressemble le plus. Un film de conteur juif, comme me l’a joliment dit Raphaël qui en a composé la musique.
On perçoit aussi assez vite une autre différence entre Asphalte et vos précédents films : les mots s’effacent et laissent plus de place au silence…
S.B. : C’est en effet mon film le moins bavard. J’avais envie de montrer ce lien invisible entre les gens, fait de silences et de regards. Mes personnages sont de vrais solitaires et n’ont a priori aucune raison de parler à d’autres. Que ce soit Sternkowitz depuis la mort de sa mère, Madame Hamida depuis que son fils est en prison ou Jules dont la mère est aux abonnés absents. Idem pour ceux que le hasard va mettre sur leur route : cette infirmière dont on perçoit le mal- être, un cosmonaute coupé du monde depuis des semaines et une actrice en pleine dépression. Et la caméra tient le rôle du narrateur principal du récit et va, au gré des situations, se faire tour à tour décalée, discrète ou sarcastique. Il y a très peu de répliques du tac au tac dans Asphalte. Les plans séquences et le silence dominent. Sans doute aussi, parce qu’avec l’expérience, je parviens à exprimer ce que je veux dire en moins de mots.
Comment avez-vous travaillé avec votre directeur de la photo Pierre Aïm ?
S.B. : J’avais préparé ce film avec un autre chef opérateur qui, du fait du changement des dates de tournage, a dû renoncer. Pris par un autre film, Pierre ne lui a succédé qu’à seulement deux semaines du premier clap. Et j’ai décidé de ne lui montrer aucune référence. D’abord parce qu’il s’agit de notre quatrième film ensemble et qu’on se connaît donc très bien. Mais aussi parce que j’avais une idée très simple et très précise sur ce que voulais. Comme j’allais tourner dans des petits décors, je tenais par exemple au format 1 :33 car le scope aurait été impossible à utiliser dans des espaces aussi réduits. En fait, les contraintes n’ont jamais cessé de nourrir ce tournage.
Ce jeu avec les contraintes prend tout son sens dans les scènes où l’on voit le cosmonaute dans sa navette. Comment avez-vous réussi à y créer autant de réalisme avec aussi peu de budget ?
S.B. : J’ai énormément préparé ces scènes en amont. En rencontrant un astronaute puis en travaillant intensément avec Alain Carsoux qui s’est toujours occupé des effets spéciaux de mes films. J’avais une obsession : à aucun moment, ces scènes ne devaient paraître cheap à l’écran. Il faut une forme très sérieuse et réaliste pour que le fond soit décalé.
Cette rencontre inattendue un cosmonaute américain et une femme d’origine arabe vous permet aussi de parler politique…
S.B. : L’envie de parler d’une cité HLM d’une façon différente fut un moteur essentiel dans mon désir de faire ce film. Car quand on évoque la banlieue, les mêmes mots reviennent toujours en bouche : punition, religion, affrontement… Et on ne parle jamais d’amour. Or il me paraît pourtant évident que le manque d’amour est la cause de bien des maux dans ces endroits.
On ne peut pas situer l’époque précise à laquelle se déroule l’action d’Asphalte. Pourquoi ce choix ?
S.B. : L’action peut enfin se dérouler de nos jours ou dans les années 80, période à laquelle se situaient les « Chroniques de l’asphalte ». Une télé Grundig obsolète, l’affiche de Piège de cristal ou un walkman jaune côtoient les DVD de films d’aujourd’hui. Et ce mélange est une volonté de ma part. Quand je retourne aujourd’hui dans la cité où j’ai grandi dans les années 80, je ne me sens pas dépaysé. Car la banlieue a vraiment été marquée par cette décennie-là. Donc Asphalte possède logiquement cette patine eighties.
Vous l’avez dit tout à l’heure, vous avez confié la musique du film à votre ami Raphaël. Comment s’est passée cette collaboration ?
S.B. : Raphaël a vraiment été enthousiaste dès la lecture du scénario qui lui a inspiré une quinzaine de morceaux. Et je me suis arrêté sur celui qu’on peut entendre dans le film. En fait, pendant le tournage, j’écoutais en boucle le « Clair de lune » de Beethoven. Ce morceau m’a aidé à préciser ce que je recherchais pour Asphalte : une ritournelle très douce. Raphaël est donc parti là-dessus et j’ai été particulièrement sensible au côté synthétique des cordes et du piano sur le morceau que j’ai retenu. Eric Heumann, le distributeur du film, me répétait souvent une petite phrase : « n’oublie pas la petite musique. » Et je voulais justement qu’Asphalte soit dominé par une musique discrète et non omniprésente.
Est-ce qu’Asphalte a beaucoup évolué au montage ?
S.B. : Non. Le vrai danger, ici, était de tomber dans un côté poseur. J’ai d’ailleurs tourné de nombreux plans de Gustave penseur dans sa cuisine, d’Isabelle assise, effondrée sur son canapé, de Jules essayant des manteaux de sa mère, de Michael entrant dans la chambre de Madame Hamida… Mais je les ai tous coupés car j’avais toujours en tête qu’il fallait être informatif et pas répétitif ou explicatif. Une fois qu’on a saisi ce qui traverse chaque personnage, il est inutile de s’y appesantir.