Jafar Panahi

index 211 juillet 1960 (54 ans)

Drapeau de l'Iran Mianeh, Iran

Réalisateur, Scénariste 
Le Miroir, Le Cercle

Ours d’or du Meilleur film lors du 65ème Festival International Du Film De Berlin 2015

Notes du Réalisateur

Après Ceci N’Est Pas Un Film (IN FILM NIST) et Parde, je sentais qu’il fallait à tout prix sortir ma caméra du confinement de la maison. J’ouvrais les fenêtres, je regardais la ville de Téhéran et cherchais une alternative. Placer ma caméra dans n’importe quelle rue provoquerait immédiatement un danger pour l’équipe et l’arrêt du film.
Je continuais de regarder le ciel. Les nuages formaient de belles figures. Je me suis dit qu’on m’avait interdit de faire des films mais pas des photos. J’ai alors pris ma première photo. J’ai passé un an la tête dans les nuages à photographier le ciel. Ensuite, j’ai fait le tour de tous les laboratoires qui avaient les moyens techniques pour procéder à l’agrandissement d’une sélection de mes images, mais tous ont trouvés des excuses pour refuser. Un jour, découragé, j’ai pris un taxi pour rentrer. Deux passagers discutaient à haute voix, alors que je réfléchissais à quoi faire d’autre. Pas de films, pas de photos, peut-être il ne me restait plus qu’à devenir chauffeur de taxi et écouter les histoires de passagers. L’étincelle jaillit : si mes premiers films se passaient tous dans la ville, je pourrais désormais essayer de faire rentrer la ville dans mon taxi.
Jour après jour, je prenais donc des taxis où j’écoutais les histoires des passagers. Certains me reconnaissaient, d’autres pas. Ils parlaient de leurs problèmes et difficultés quotidiens. Et puis, j’ai pris mon téléphone portable et j’ai commencé à filmer. Tout de suite, l’ambiance a changé et l’un des passagers m’a dit: « Merci d’éteindre ton gadget pour qu’on puisse au moins ici parler à notre aise ». J’ai compris que je ne pouvais pas faire un documentaire sans mettre en danger les passagers. Mon film devait prendre la forme d’une docu-fiction. J’ai écrit un scénario et j’ai ensuite réfléchi à la manière de le porter à l’écran. J’ai pensé d’abord à utiliser des petites caméras GoPro, mais leur objectif fixe réduit les possibilités de mise en scène et de montage. Finalement, j’ai opté pour la caméra Black Magic qui se tient d’une main et peut se dissimuler aisément dans une boîte à mouchoirs en papier sans attirer l’attention. Ceci me donnait la possibilité de préserver toute la dimension documentaire de l’action à l’extérieur de la voiture, tout en ne dévoilant jamais le tournage et en garantissant sa sécurité à l’équipe. La mise en place de trois caméras dans un espace exigu laissait peu de place pour l’équipe : je devais donc gérer tout seul, le cadre, le son, le jeu des acteurs, mais aussi mon propre jeu et la conduite de la voiture ! Je n’ai utilisé aucun dispositif particulier pour éclairer les scènes afin de ne pas trop attirer l’attention et compromettre le tournage. Nous avons seulement construit un grand toit ouvrant pour équilibrer la lumière.
Le tournage a démarré le 27 septembre 2014 pour une durée de quinze jours. Les acteurs sont tous des non-professionnels, des connaissances ou les connaissances de connaissances. La petite Hana, l’avocate Nasrin Sotoudeh et le vendeur de DVD Omid jouent leur propre rôle dans la vie. L’étudiant cinéphile est mon neveu. L’institutrice, la femme d’un ami. Le voleur, l’ami d’un ami. Le blessé vient lui de province.
Je montais les images chaque soir à la maison. Ainsi, à la fin du tournage j’avais déjà un premier montage. Je faisais un back up à la fin de chaque jour de tournage et je le mettais en sécurité dans des endroits différents. J’ai fait aussi plusieurs back ups de mon premier montage que j’ai cachés dans plusieurs villes différentes. C’est à ce moment- là que j’ai eu enfin la certitude d’avoir mon film sans courir le danger que l’on puisse mettre la main dessus. Soulagé, j’ai pu ensuite terminer le montage. Le film a couté au total 100 millions de toumans (environ 32.000 euros). Toute l’équipe a accepté un salaire réduit et beaucoup de mes acteurs ont refusé d’être payés.
Chaque année les représentants de la Berlinale viennent en Iran visionner les nouveaux films. C’est Anke Leweke, membre du comité de sélection, qui a vu le mien. Deux semaines plus tard, elle me confirmait que celui-ci était invité en compétition officielle.

Entretien avec Nasrin Sotoudeh Avocate

En tant que militante des droits de l’homme, comment en êtes-vous venue à jouer dans le film de Jafar Panahi ?

En octobre dernier, nous avons eu la visite surprise de Jafar Panahi à la maison. Il nous a parlé de son projet. C’était un honneur pour moi de jouer dans ce film, mais avec mon texte écrit dans un scénario, je ne m’en sentais pas capable. Il m’a dit : « Ce n’est pas un problème, sois toi-même ». Et voilà comment j’apparais dans le rôle d’une militante des droits de l’homme qui prend un taxi pour rendre visite à la famille d’une célèbre détenue Ghoncheh Ghavani – alors encore enfermée à la fameuse prison d’Evin au moment du tournage. Ghonche Ghavani a été arrêtée pour avoir essayé – en tant que femme – d’entrer dans un stade pour assister à un match de volley-ball masculin. A l’écran, je parle des injustices auxquelles nous sommes confrontés.

N’est-il pas dangereux de faire un film alors que l’on n’y est pas autorisé ?

Peu importe ces interdictions. Jafar a tout à fait le droit de faire des films. Nous avons d’ailleurs souvent plaisanté ensemble de ces interdictions, de pratiquer le droit pour moi et de réaliser des films pour lui. Nous nous sommes même dit que nous pourrions échanger nos métiers. « Tu travailles comme avocat et je fais des films ! »

Vous avez déjà passé près de trois ans en prison pour avoir défendu des dissidents. Craignez- vous d’avoir encore des problèmes ?

Ce film représente un pas modeste mais significatif vers une plus grande ouverture de notre société. Nous pouvons féliciter les extrémistes – et nous aussi – pour avoir retenu leur colère. Tout du moins jusqu’à maintenant. Il est peut-être trop tôt pour tirer des conclusions. Dans nos journaux, Taxi Téhéran a été jugé anti iranien. Beaucoup se sont demandé, de manière sarcastique, comment Jafar Panahi pouvait réaliser un film alors que cela lui était interdit.

Justement, comment a-t-il fait ?

Afin de ne pas trop attirer l’attention, il a installé dans la mesure du possible ses caméras à l’intérieur du taxi. C’est la raison pour laquelle nous n’avons rencontré aucun problème pendant mes deux jours de tournage.

Pensez-vous que vous puissiez un jour vous voir sur un écran de cinéma ?

Bien que nous soyons tous les deux interdits de quitter le pays, nous arriverons bien à voir ce film un jour à l’étranger. Mais pour moi, le plus important est que Taxi Téhéran puisse obtenir un visa d’exploitation, nous pourrons alors assister sa toute première projection ici (en Iran).

Entretien accordé à l’hebdomadaire allemand Der spiegel et publié le 23 février 2015

 

 

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