Werner Herzog ( Family Romance, LLC )

Né le 5 septembre 1942 à Munich

Allemagne

Réalisateur, écrivain, acteur

Aguirre, la colère de Dieu, L’Enigme de Gaspar Hauser, Fitzcarraldo, Family Romance LLC.

Le cinéaste allemand, né en 1942, auteur de plus de soixante-dix films, la plupart habités par la folie de l’exploit et la démesure humaine, vit à Los Angeles avec sa compagne, la plasticienne Lena Herzog. Depuis quelques mois, ce grand marcheur ne sort plus de sa maison, « sauf en cas de nécessité », nous dit-il. Encadré par ses étagères de livres, le cinéaste raconte la portée philosophique de son dernier film, Family Romance, LLC, une fiction inspirée d’un phénomène de société au Japon, la « location de proches », soit le fait d’engager des acteurs pour remplacer des parents, amis ou amoureux absents. Un film faussement paisible, explique Herzog, toujours aussi vif… et sûr de son talent.

Qu’est-ce qui vous a intéressé dans le phénomène japonais de la « location de proches » ?

Ce qui rend cette fiction perturbante, c’est que ce phénomène n’est pas lié seulement à la culture japonaise : il va arriver chez nous. Nous louons déjà des « proches » quand nous faisons appel à des baby-sitters, c’est une façon de rémunérer l’absence des parents. On délègue aussi nos émotions aux peluches, aux poupées ou aux animaux domestiques que nous achetons. Et j’étais fasciné à Tokyo par cet hôtel que l’on voit dans le film, où la jeune femme à l’accueil est un robot d’apparence humaine. En Occident, d’ici quelques années, peut-être dans deux ou trois ans, on trouvera des compagnons robots sous les sapins de Noël : des créatures intelligentes, douces, qui comprennent nos émotions, sont capables d’identifier les expressions du visage et d’y répondre. Si vous êtes tristes, ils vous chanteront une chanson, ou ils vous raconteront une blague ! Family Romance, LLC est l’un de mes films les plus essentiels avec Into the Abyss (2011), mon documentaire sur la peine de mort aux Etats-Unis.

Les acteurs japonais qui sont rémunérés pour remplacer des proches jouent aussi dans votre film. Quel regard portent-ils sur leur métier ?

J’ai posé la question à Yuishi Ichii, comédien principal du film et patron de la société Family Romance. Il m’a répondu que dans tous les cas, ce « mensonge » fait du bien aux clients. Ils se sentent plus sereins, plus détendus. Même si le père est un « faux », les émotions sont véritables. Je crois réellement que dans la plupart des cas, ces prestations sont bénéfiques. La seule frontière à ne pas franchir, c’est l’amour : les employés de Family Romance ne doivent pas autoriser leurs clients à tomber amoureux d’eux. Quoi qu’on dise, la majeure partie de notre vie est une performance, même en famille, notre rôle de parent. Très souvent nous jouons, et cela me paraît sain. C’est inhérent à notre nature sociale.

Vous avez tourné le film en deux semaines, avec moins de six heures de rushes… Est-ce une nouvelle forme de performance après vos tournages de l’extrême, comme « Aguirre, la colère de Dieu » (1972) ou « Fitzcarraldo » (1982) ?

Il y a plusieurs raisons à cette rapidité : la première, c’est que je suis à l’aise dans le langage du cinéma, après tant d’années à tourner. La seconde, c’est qu’il y avait une urgence à filmer, une vérité à trouver. Les scènes étaient écrites pour l’essentiel, mais quelques-unes ont été tournées en une prise. Les réalisateurs débutants n’auraient peut-être pas l’audace de filmer de cette manière. Pour eux, le fait d’avoir beaucoup de rushes est rassurant.

Votre film est une fiction inspirée d’un sujet de société, vous brouillez les pistes et réciproquement, vos documentaires ne sont jamais une simple captation du réel…

Je ne suis pas dans le cinéma vérité issu des années 1960, avec des réalisateurs qui se voient comme une « mouche sur le mur »… Moi, je veux être le frelon qui pique !

Ailleurs qu’en France, « Family Romance, LLC » va sortir essentiellement sur la plate-forme Mubi. Etes-vous inquiet pour les salles de cinéma ?

Je suis toujours un homme du cinéma, et au fond de mon cœur, un homme de la pellicule. La mère de toutes les batailles, c’est bien les salles et non les plates-formes. Mais je ne suis pas un nostalgique. Fireball, mon prochain film sur les comètes et les météorites, coréalisé avec le scientifique Clive Oppenheimer, a été produit par Apple. Le Festival de Venise voulait sélectionner le film mais Apple a décidé, pour des raisons que j’ignore, de ne pas aller à Venise mais seulement à Toronto

Vous qui aimez transmettre, que dites-vous aux jeunes réalisateurs ?

J’ai le sens du devoir, je dois éviter de fabriquer des clones : la nouvelle génération doit trouver sa propre vision et son style. Il y a deux ans, en 2018, j’ai emmené une quarantaine de jeunes cinéastes au Pérou, dans la jungle. Je voulais qu’ils sortent de leur zone de confort. Je leur disais, allez là où sont les histoires, dans les réseaux de la drogue, là où les gens font des rêves fiévreux. Cette année, au printemps, je devais emmener un nouveau groupe en Colombie dans la région de Leticia ravagée par les incendies, située à la frontière du Pérou et du Brésil, au cœur de la forêt amazonienne. Mais la crise sanitaire nous en a empêchés.

Quel regard portez-vous sur la déforestation, et l’attitude du président brésilien Bolsonaro ?

C’est une attitude occidentale de blâmer Bolsonaro. Bien sûr, il mérite d’être blâmé, mais dans le même temps, vous offensez des millions de Brésiliens sans terre qui veulent gagner leur vie. Pourquoi l’Amazonie brûle-t-elle ? Tout d’abord parce que la planète est surpeuplée. Ensuite parce que les humains, dans leur majorité, ont une attitude consumériste. Aux Etats-Unis, 45 % de la nourriture est gaspillée. Je suis conscient de ce consumérisme. Dans mon frigo, je jette tout au plus 2 % de la nourriture qui s’y trouve. Et j’ai une seule paire de chaussures, en plus d’une paire spéciale pour la montagne. Cela fait des dizaines d’années que je fonctionne ainsi. Et combien de ressources naturelles utilisons-nous pour produire un kilo de viande ? Cette question nous concerne tous, et pas seulement Bolsonaro ou Trump.

Avez-vous un pronostic sur l’élection américaine de novembre ?

Il y a quatre ans, Trump a été clair sur qui il était, ce qu’il voulait et avec quels électeurs il voulait se connecter, à savoir les personnes déshéritées dans l’Ohio, le Kansas, etc, ceux qui ne vont pas dans les grandes écoles, ne sont jamais présents dans les médias… Je dis souvent à mes amis : prenez contact avec vos proches dans le Kansas, dans l’Ohio, demandez-leur des nouvelles, montrez-leur que vous vous intéressez à eux. Je ne veux rien prédire, mais un président comme Trump ne peut pas durer. Tout est possible : il va peut-être se dire qu’être président c’est un mauvais métier, retourner dans sa Trump Tower ou sur un terrain de golf. Je pense aussi que l’Amérique est dotée d’une mystérieuse capacité à se remodeler et à relancer les turbines.

Vous jouez dans la série « The Mandolarian ». Quels sont vos nouveaux projets ?

J’ai trois ou quatre fictions en préparation, mais je ne peux pas tourner. Donc j’écris… L’Amérique du Sud est en train de découvrir mon œuvre, des traductions d’ouvrages sont en cours, comme Conquête de l’inutile (Capricci, 2008) ou Sur les chemins de glace [P.O.L, 1988]. Je pense que ma prose aura une plus grande postérité que mes films. Je le sais parce que j’écris comme personne n’écrit.

 

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