La réalisatrice britannique Molly Manning Walker, 29 ans, a remporté la récompense principale de la section parallèle pour son premier film, « How to Have Sex », qui aborde, entre autres, la question du consentement.
Cannes 2023 : le palmarès d’Un certain regard sous le signe de l’histoire coloniale, de la jeunesse abandonnée et de la paupérisation mondiale.
Après dix jours de compétition et vingt longs-métrages présentés, analysés et débattus par la critique dès l’issue des projections, le prix Un certain regard est ainsi allé à How to Have Sex, premier long-métrage de la Britannique Molly Manning Walker, 29 ans, où trois adolescentes s’offrent une parenthèse enchantée (croient-elles) dans une station balnéaire crétoise. Au programme : alcool, drogue et sexe à l’excès, nuits blanches et idées sombres vite chassées par les paradis artificiels, rencontres à tout-va visant à satisfaire le plaisir immédiat, l’hédonisme sans entraves jusqu’au vertige et la perte du désir même. Car il se joue là bien autre chose que la frivolité à laquelle on voudrait croire. La question du consentement, entre autres, l’injonction des premières fois à laquelle on se soumet, et, en dernier lieu, la désillusion qui en découle.
Visions oniriques
Parmi les longs-métrages présentés dans cette quarante-cinquième édition, Augure, du rappeur et performeur Baloji, a reçu le Prix de la nouvelle voix. Ce premier film multiforme, qui mêle réalisme, spiritisme et visions oniriques, met en scène le retour au Congo, après quinze ans d’absence, de Koffi (Marc Zinga) venu présenter sa femme (européenne, enceinte de jumeaux) à ses parents. Ce dernier a pris ses distances avec ses origines, sa mère qui l’a banni, son quartier de Lubumbashi qui l’a toujours considéré comme un sorcier. Les retrouvailles chaotiques avec la famille mèneront à la rencontre de trois autres personnages, en rupture avec leur milieu. Quatre voix, quatre présences qui multiplient les points de vue, élaborant finalement une sorte de labyrinthe évocatoire d’une culture animiste, à laquelle le réalisateur adjoint, pour en délivrer toute la complexité, son propre univers artistique, musical, poétique et pictural.
Nouveauté de cette édition 2023, le Prix d’ensemble a couronné La Fleur de Buriti, du Portugais Joao Salaviza et de la Brésilienne Renée Nader Messora. Un voyage dans le temps et dans l’espace préservé de l’Etat du Tocantins, au nord-est du Brésil, auprès du peuple kraho. Communauté menacée depuis des lustres, bataillant pour préserver leur terre, adaptant leurs rites et leurs pratiques sans jamais renier ce qui les rattache à la nature. Un lien que le duo de cinéastes restitue par la grâce d’un lent récit ajusté aux cycles naturels, aux tâches et aux gestes quotidiens, aux rites ancestraux.
Autre innovation, le Prix de la liberté est revenu à Mohamed Kordofani pour Goodbye Julia, qui, par une mise en scène classique, nous conte la relation ambiguë qui se noue entre deux femmes, l’une, musulmane, issue d’un milieu favorisé, vivant au nord du Soudan, l’autre, chrétienne, originaire d’une ville du Sud. Emouvant récit de rédemption dans un pays en plein désastre politique.
Deux films venus du Maroc
La section Un certain regard comptait, cette année, deux longs-métrages en provenance du Maroc. Chacun est reparti avec un prix. Celui de la mise en scène attribué à La Mère de tous les mensonges, d’Asmae El Moudir, un documentaire dont l’architecture épouse avec virtuosité les contours d’une maquette d’un vieux quartier de Casablanca pour en survoler la structure, la démanteler morceau après morceau, afin d’y dénicher les secrets cachés dans les recoins. Image rapetissée, métaphorique d’une histoire intime, familiale entachée d’un mensonge que seul un retour dans le passé élucidera.
Le Prix du jury est, quant à lui, revenu au réalisateur Kamal Lazraq pour son premier long-métrage Les Meutes et sa longue traversée nocturne de Casablanca durant laquelle un père et son fils se trouvent embarqués dans une mission plus périlleuse que ce qu’ils sont capables de supporter. Chargés de transporter un cadavre dans le coffre d’une voiture, ces deux-là se heurtent à une série de contretemps qui pourraient virer au gag si le réalisateur ne prenait soin de travailler son récit à la lame d’un couteau.
Les Meutes révèle, au long d’une nuit dirigée vers l’enfer, un univers de malfrats et de gangs auquel le cinéma marocain ne nous avait pas habitués. Visages découpés dans la lumière artificielle des éclairages de rue, ton âpre et mâtiné d’humour, acteurs non professionnels à la présence magnétique, fine photographie d’un Maroc périphérique : Kamal Lazraq impose une nouvelle signature.
D’après Véronique Cauhapé pour Le Monde.