Ilya Povolotsky (La Grâce)

Né en 1987 à Izhevsk, Oural

Russie

Monteur, réalisateur, producteur

La Grâce

Le réalisateur, venu présenter « La Grâce » à la Quinzaine des cinéastes, parle de son pays sous Poutine et de son envie « d’observer le réel et de chercher des réponses ».

« Je pense que ce qui se passe est un incroyable désastre » : calme, attentif, droit sur son siège dans ce café à l’écart du centre bouillonnant de Cannes, le réalisateur russe Ilya Povolotsky ne se cache pas derrière son petit doigt : « Je suis contre la guerre en Ukraine, contre l’utilisation de la violence en général, contre la politique du gouvernement de mon pays. » Répondant à l’invitation de la Quinzaine des cinéastes pour venir y présenter son nouveau film, La Grâce, il n’a pas eu, dit-il, de difficultés pour venir – « Sinon l’obtention des visas français, qui ont mis énormément de temps à nous arriver…  » On s’inquiète en revanche de son retour, on ne voudrait pas le mettre en porte-à-faux. Lui semble serein : « Je ne sais pas si cela sera difficile. Ni quelle sera la réaction des autorités. Tout dépendra de cela… »

Lucide, à 36 ans, le réalisateur pèse ses mots : « Premièrement, nous devons comprendre qu’il n’y a pas de cinéma, de littérature, d’expression artistique, de culture, en dehors du monde autour de nous, et notamment de ce qui se passe aujourd’hui. Ensuite, je salue la force et le courage de mes collègues cinéastes qui, en Russie, malgré les circonstances, continuent de faire leur travail. »

Izhevsk, dans l’Oural, à un millier de kilomètres à l’est de Moscou, 600 000 habitants, gros centre industriel connu pour son industrie d’armement où fut conçue la fameuse kalachnikov AK-47. C’est là qu’Ilya Povolotsky a grandi. Pas de cinéma hormis un grand building dévolu à la culture où les night-clubs sont rois, témoigne-t-il. Tout juste, une fois l’an, montre-t-on aux élèves des écoles et des collèges un film, du genre classique, héroïque et guerrier. Le cinéma d’auteur, lui, circule en vidéo. Père ingénieur dans le bois, mère manageuse dans le commerce… « Dans ma famille, on regardait beaucoup de films : Tarkovski, Guerman, Sokourov, Paradjanov… c’était des noms que je connaissais» Il raconte les boîtes VHS pirates qu’on se refile, raturées : Retour vers le futur, de Zemeckis, remplacé par Le Miroir, de Tarkovski…

« Communication informelle »

Il part étudier le droit à Moscou. Sa thèse portera sur les lois constitutionnelles. Il sourit, en pensant à la situation actuelle. Mais pendant sa première année à la fac, il est « casté » – recruté – pour jouer dans une série. « Et j’ai été fasciné par tout ce qui se passait de l’autre côté de la caméra. Ces gens qui me semblaient un peu fous et parlaient un langage que je ne comprenais pas. » Ainsi naît son désir de cinéma. « J’étais suffisamment jeune et présomptueux pour me dire je pouvais le faire moi-même. » Il monte sa propre maison de production, Blackchamber, et se met à réaliser des films commerciaux et des clips publicitaires pour financer ses réalisations. Un premier documentaire d’une trentaine de minutes en 2017, The Northerners (« Les Hommes du nord »), sur la péninsule de Kola, et un autre, remarqué au Festival d’Angers, Froth (« La mousse ») en 2019, sur les communautés le long de la mer de Barents. Quand il voyage avec sa caméra et son copain Nikolay Zheludovich, ils emportent parfois un projecteur pour se distraire le soir, isolés qu’ils sont dans ces régions déshéritées qu’ils arpentent. De temps en temps, ils en font profiter ceux qu’ils rencontrent. C’est ainsi que germe le scénario de La Grâce, son premier long-métrage de fiction : un homme voyage à travers la Russie, avec sa fille, en exerçant le métier de projectionniste ambulant. A Moscou, Ilya Povolotsky a lui-même un fils de 8 ans, qu’il emmène lorsqu’il le peut dans ses repérages. Pour ce film-ci, Ilya Povolotsky et son équipe ne se contentent pas du Nord, ils parcourent le pays, descendent jusqu’à Stavropol, jusqu’aux montagnes du Caucase, traversent les steppes de Kalmoukie. Le fait qu’Ilya Povolotsky soit originaire de l’Oural lui ouvre les portes. « Dans ces régions, les habitants luttent contre les conditions climatiques. Ça influe sur les caractères. Il y a une communication informelle qui se noue, une compréhension… Lorsque vous venez de Moscou, les gens réagissent différemment»

Regard résolu

Comme son film, le réalisateur témoigne ainsi d’« une variété de langues, de cultures incroyables et des décalages aberrants de niveaux de vie… », communautés humaines trop préoccupées de mettre au quotidien un pied devant l’autre pour s’inquiéter de la marche du monde. Par-delà le bien et le mal… Il tire longuement sur sa cigarette. « Je ne saurais pas dire ce qu’il se passe dans la tête de Poutine. Mais quelqu’un qui voyage beaucoup comme moi, et voit comment les gens vivent, ne peut que se dire qu’il y a des choses bien plus urgentes à faire que de protéger nos frontières. »

Pour le réalisateur, la différence entre documentaire et fiction n’existe pas. « J’aime autant les deux. » Un même langage, une même esthétique. S’il cite Bergman, et « la trilogie du mouvement » de Wim Wenders [commencée en 1974 avec Alice dans les villes] en référence de travail pour La Grâce, le réalisateur russe ne se revendique de personne, et préfère à la « segmentation de la culture » les mérites d’un cinéma monde aux origines différentes et toutes aussi riches. Dans son regard résolu, on ne peut s’empêcher de voir un trait mélancolique, dans son corps solide, le poids des limbes du monde. On s’inquiète des lendemains qui pleurent. Il dit : « Mon cinéma n’est pas juste un métier, c’est ma raison de vivre. Je veux continuer à observer le réel, à chercher des réponses, aussi longtemps que je le pourrai. » La double peine d’être en opposition en Russie, et jugé « du mauvais côté » par l’Occident, séparant par des champs de bataille qu’ils n’ont pas choisis des artistes qui hier encore parlaient le même langage est « l’inévitable conséquence de la catastrophe en cours », déplore-t-il. Mais, veut-il croire, « la culture a une façon à elle, tout à fait magique, de renaître et de se répandre ».

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