Charlie Kaufman

kaufman__120521232814Né le 19 novembre 1958, New York

USA

Scénariste, réalisateur

Dans la Peau de John Malkovitch, Eternal Sunshine of the Spotless Mind (scénariste)

Synecdoche New York, Anomalisa (réalisateur)

A l’origine, il y a une pièce de théâtre montée en 2005 par le génialement éclaté Charlie Kaufman et, surprise, déjà interprétée sur scène par Jenny et David (feat. Tom Noonan). Par bonheur, les futurs producteurs Keith et Jess Calder étaient dans le public le soir de sa représentation à Los Angeles. Coup de foudre immédiat. Duke Johnson, connu pour avoir travaillé sur les programmes de la chaîne Adult Swim, a alors eu pour dessein de transformer avec Kaufman cette pièce de théâtre en un foudroyant film d’animation

«pour adultes» traitant du syndrome de Fregoli. Cette pathologie, du nom du célèbre transformiste italien Leopoldo Fregoli (1867-1936), est de nature psychotique et paranoïaque. Le malade est persuadé d’être persécuté par une autre personne qu’il voit partout, sous différentes formes. De fait, Michael a l’impression d’être environné toujours des mêmes personnes – il est le seul avec Lisa à avoir une silhouette et un visage aussi bien «dessinés», aux traits aussi «réels». La technique du stop-motion est utilisée de manière à être le plus réaliste possible (traits de visages irréguliers, attitudes naturalistes…) et à coller au malaise existentiel du personnage principal et à ses visions horrifiantes. Du tournage qui a duré deux ans (et six mois pour tourner une scène de sexe en stop-motion) au Grand Prix du Jury à la Mostra de Venise en passant par la campagne de crowdfunding via le site Kickstarter (chacun des 5.770 contributeurs, qui ont versé 406.237 dollars au total, est remercié un par un à la fin du générique), la généalogie de cette Anomalisa est assez dingue. Le résultat est explosif.

De quoi sont fait vos rêves et vos cauchemars? Et, par extension, est-ce qu’ils vous inspirent lorsque vous créez?
Charlie Kaufman:
J’essaye toujours d’écrire en adoptant la forme du rêve. Toujours. J’aime faire abstraction de ce qui est rationnel, m’en débarrasser pour tendre au symbolisme. Ce que j’aime dans le rêve, c’est la dimension poétique, par-dessus tout. C’est une façon pour moi de me libérer des conventions usuelles d’une histoire, en essayant d’imaginer «et s’il se passait ça» même si ça n’arrive pas dans le monde réel. C’est pour cette raison que je suis aussi sensible au surréalisme, en littérature et en peinture. Ionesco, Beckett, Kafka, Pirandello… Vous n’imaginez à quel point ces auteurs sont précieux pour moi.

Quel film vous a donné l’impression de rêver ou de cauchemarder?
Charlie Kaufman:
Je pense instinctivement à David Lynch. La découverte de son cinéma a considérablement bouleversé mon parcours de cinéphile. Eraserhead est un film que j’ai découvert, jeune. En le voyant, je me suis dit: «Ok, il y a quelque chose de fou que je n’ai jamais vu auparavant».

Vous aviez déjà dirigé Jennifer Jason Leigh qui assure la voix dans Anomalisa dans Synecdoche, New York, votre premier long métrage.
Charlie Kaufman:
Avant Synecdoche, New York, j’ai commencé à travailler avec Jennifer sur la pièce Anomalisa en 2005. Elle assurait déjà la voix avec David Thewlis qui fait celle du héros et Tom Nooman, celle des autres. C’est comme ça que je l’ai rencontrée.

Qu’est-ce qu’elle incarne pour vous ?
Charlie Kaufman:
C’est une actrice géniale avec laquelle j’adore travailler. Elle a une forte personnalité et une sensibilité proche de la mienne. Je connaissais son parcours, je la trouve très courageuse dans ses choix – regardez ce qu’elle faisait dans Palindromes de Todd Solondz (2005) – et c’est pour cette raison que je la voulais travailler avec elle. Je me souviens que la première fois où je l’ai rencontrée, je lui ai dit que je l’avais adoré dans Le grand saut des frères Coen (1994). Son jeu est techniquement parfait. Au-delà de toutes ces qualités, c’est une personne délicieuse dans la vraie vie, drôle aussi, surtout. Une fois Anomalisa terminé, elle m’a avoué qu’elle se sentait très proche de Lisa, voire plus proche de Lisa que de tous les autres rôles qu’elle a joué auparavant. Ce que j’aime aussi, c’est son intégrité: c’est une personne douce et gentille qui travaille sur les projets qui lui plaisent. Et qui ose.

Justement, les choix de Jennifer Jason Leigh et David Thewlis comme voix ne sont pas anodins puisque ce sont des acteurs célèbres pour des rôles forts. Comme celui de Naked pour Thewlis…
Charlie Kaufman:
Je crois que je fais du cinéma pour cette raison. S’exprimer et si possible toucher des gens qui partagent la même sensibilité, la même expérience de vie. Si on arrive à produire ça avec Anomalisa par exemple, alors c’est génial. Le but est atteint. C’est, je pense, le plus important dans ce que nous faisons. Ce que j’aime dans l’art, en tant que spectateur, c’est se rendre vulnérable, se sentir désarmé en regardant un film ou en contemplant un tableau et si possible être touché en plein cœur. Et se reconnaitre dans ce qu’un artiste montre, dit, représente. Alors, à ce moment-là, vous ne vous sentez plus seuls.

Comment avez-vous conçu la scène de sexe en stop-motion?
Charlie Kaufman:
On voulait s’amuser… Montrer entre autres choses que la stop-motion peut être utilisée pour tout et ne s’adresse pas uniquement aux enfants. Il était clair dès le départ que nous faisons un «film d’animation pour adultes». Tout était déjà dans la pièce de théâtre il y a dix ans. Nous savions tout ce que nous allions montrer avant même de concevoir l’adaptation en stop-motion. Le fait que ça parte d’une pièce suggère que ça peut être décliné dans bien des formes. La stop-motion marchait super bien. Mais nous avons pensé le tournage comme si nous faisons un film en live et considérions les marionnettes comme des acteurs en chair et en os. Duke a raison de souligner que nous n’avions pas la volonté de choquer. Nous trouvions donc normal qu’une fois dans sa chambre d’hôtel, le personnage principal prenne une douche, qu’on le voit nu, que l’on voit ses fesses et son pénis. Ne pas montrer ça n’aurait pas créé cette sensation troublante de vérité et le spectateur se serait contenté d’applaudir un simple exploit technique. Ça aurait été frustrant.

Propos recueillis par Romain Le Vern (MyTF1news)

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