Archives pour février 2019

Leto

                LETO (L’ETE)

Leningrad, 1980 (ce n’est qu’en 1991 que la ville reprendra le nom de Saint Petersbourg). Nous sommes sous le règne du marmoréen Brejnev, à cette époque où le pouvoir tient encore d’une main de fer toute opposition et toute velléité d’occidentalisation, autant dans les mœurs que dans l’économie.

Et pourtant la première séquence de ce remarquable Leto contraste avec ce cliché terne et grisailleux de l’Union soviétique des années 80. On y voit des jeunes filles escaladant une échelle à l’arrière d’un groupe d’immeubles pour se glisser par un fenestron dans ce qui s’avère être un des rares clubs de rock tolérés. Sur scène, pseudos Ray Ban et dégaine cuir, se déchaîne l’idole des jeunes filles Mike Naumenko. Mais attention : dans la salle, pas question d’exprimer trop ostensiblement sa passion pour le rock, point de slam ni même de gesticulations diverses, des émissaires stipendiés du régime étant là pour contrôler toute effusion excessive. Plus tard tout le monde se retrouve au bord du lac, c’est l’été (« leto », le titre du film), on chante encore, on flirte, les filles sont belles et les garçons pas mal non plus. Parmi eux le timide et étrange Viktor, au visage eurasien, qui lui aussi veut percer sur la scène rock. Il a un vrai talent et fascine Natasha, la compagne de l’inconstant Mike qui va néanmoins le prendre sous son aile, ami et rival à la foi. Ainsi se noue un étonnant trio à la « Jules et Jim », à la fois amoureux et artistique.  Le film est directement inspiré du destin des deux leaders de la scène rock du Leningrad des années 80, Mike Naumenko et Viktor Tsoi.

Toute cette liberté qui exulte par chacun des plans et des musiques du film est d’autant plus paradoxale qu’il a été réalisé par un Kirill Serebrinnikov assigné à résidence dans son appartement, pour une obscure affaire de détournement de subventions. Imaginer que ce film si lumineux, si énergique a été finalisé à distance par un gars enfermé dans quelques dizaines de mètres carrés est particulièrement savoureux. L’ironie du sort étant que cette ode à la liberté qui évoque la Russie brejnevienne étouffante trouve un parfait écho dans celle d’aujourd’hui, encore plus cadenassée par le joug poutinien. Les punkettes moscovites persécutées de Pussy Riot feront peut-être dans 30 ans l’objet d’un film aussi réussi…

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Les Héritières

Collectionnant les prix dans les festivals internationaux, ce premier long métrage d’un natif du Paraguay séduit par son mélange de classicisme intemporel et de réalisme très actuel. Dans une maison d’Asunción, la vieille Chela (Ana Brun, Prix d’interprétation à la Berlinale) voit disparaître les souvenirs d’un passé glorieux et protecteur. Meubles, argenterie, tableaux, tout est à vendre, c’est la ruine. Même Chiquita, la femme avec laquelle Chela a passé sa vie, doit partir, accusée de fraude et envoyée en prison.

Histoire d’une dépossession, Les Héritières met en lumière la beauté fanée d’une vie aristocratique devenue fantomatique. Cette atmosphère rappelle la douceur tragique des romans de Stefan Zweig, souvent adaptés au cinéma (Lettre d’une inconnue, Vingt-Quatre Heures de la vie d’une femme). Comme les héroïnes de l’écri vain, Chela se tient à l’écart de la vraie vie, et son destin finit par lui glisser entre les mains…

Dans cet univers délicat et rétro, le réalisateur fait surgir la cocasserie du chaos d’aujourd’hui, où Chela est bien obligée de se risquer en se rendant à la prison, puis en s’improvisant chauffeur de taxi pour ses amies, grandes bourgeoises stylées d’un kitsch réjouissant. Prendre le volant, c’est, bien sûr, avancer sur le chemin de l’autonomie, de l’indépendance. Mais dans ce portrait d’une femme qui s’affirme, le réalisateur maintient le doute. Car le cœur de Chela se met à battre pour une de ses passagères, d’une manière insensée. Est-elle en train de continuer à tout perdre, jusqu’à la raison, ou de retrouver une raison de vivre ? Un frisson traverse tout ce film émouvant, à la fois mélancolique et passionné.

Critique par Frederic Strauss

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Amanda

Un film de Mikhaël Hers

France

Drame 1h47

Avec : Vincent Lacoste, Isaure Multrier, Stacy Martin…

                

Paris de nos jours. David, 24 ans vit au présent, il jongle entre différents petits boulots et recule, pour un temps encore, l’heure des choix plus engageants. Pour lui le cours tranquille des choses vole en éclat quand sa sœur aînée meurt brutalement dans les attentats du13 novembre 2015. Il se retrouve alors en charge de sa nièce âgée de 7ans, Amanda. Ce trou béant laissé par le manque, empêche la vie de reprendre son cours normal. Des lors, le vide se remplit d’émotions diverses, parfois contradictoires qui submergent les protagonistes. David doit faire face à son propre deuil et assumer cette paternité accidentelle. 

Après « Mémory Lane (2010) » et « Ce sentiment de l’été (2015) » pour son troisième long métrage,  Mickhaël Hers, fidèle à son habitude, laisse ses personnages dénouer leur douleur et leurs conflits  à l’air libre et en mouvement, ici  en leur faisant arpenter l’Est parisien. Par une succession de scènes de la vie quotidienne d’une douce banalité où les paroles échangées comptent moins que les sensations revenues, ils vont réapprendre à s’aimer et à surmonter ce deuil. Le réalisateur reconstitue les différents processus de deuil que traversent les personnages au cours du film. Il décortique les phases de leur reconstruction à travers un récit dont les mutations émotionnelles sont le principal enjeu.

Le cinéma de Mickhael Hers traite souvent le thème du deuil. Dans cet opus, le cinéaste réussit parfaitement à installer dans ce drame familial une élégance, une délicatesse qui ne peut que séduire. Le mérite en revient à une mise en scène parfaitement maîtrisée qui évite au film de s’enliser dans un pathos que le climat de violence et de fragilité pourrait amener : l’art de se servir de l’ellipse pour en dire plus tout en en montrant moins et rester à la juste distance de ses personnages.

Vincent Lacoste (David) nous livre ici une performance époustouflante toute de douceur et de retenue. Certainement un de ses plus beaux rôles : il est juste parfait. Quant à Isaure Multrier, elle est d’un naturel confondant, exceptionnel pour une si jeune enfant.

D’après les critiques de Télérama, sens critique, le blog du cinéma.

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Mon cher enfant

Un film de Mohamed Ben Attia

Tunisie –  2018 – 2018 – VOST

Avec : Mohamed Dhrif

                   Mouna Mejri

             Zakaria Ben Ayyed

Ils sont les plus dévoués des parents. Et c’est d’un amour inquiet que Riadh et Nazli entourent leur fils unique, Sami. Ses maux de tête ne s’expliquent peut-être pas seulement par le stress de la préparation du bac. Les médecins ont beau se montrer rassurants, Riadh ne relâche pas sa vigilance. Ce cher enfant, il ne le quitte pas et le protège, lui, le père, comme une mère. Nous faire partager le quotidien de cette famille de Tunis, saisir les petites choses de la vie, c’est toute la force et la délicatesse du cinéma de Mohamed Ben Attia. Qui confirme, après Hedi, un vent de liberté (2016), sa belle ambition sociale et humaniste, dans la lignée des frères Dardenne, coproducteurs de ses films.

En montrant comment les gens vivent et comment le monde, autour d’eux, s’immisce dans leur existence, le réalisateur s’interrogeait, dans son film précédent, sur l’envie d’exil qui pousse de jeunes Tunisiens à partir, coûte que coûte, en Europe. Cette fois, il affronte une rupture plus radicale : le départ pour la Syrie, l’enrôlement dans les filières djihadistes. Un sujet de société auquel il parvient à donner une dimension intime, admirablement sensible. Du monde qui gronde, Riadh et Nazli se croyaient bien à l’écart, ne fréquentant personne — comme leur fils, croyaient-ils. Ils se sont trompés. Ils n’ont pas compris que Sami était en train de les quitter. Un retrait presque imperceptible : un refus de partager une orange avec son père, d’aller au restaurant avec lui, un repli sur soi à cause de maux de tête soulevant toutes les hypothèses sauf une, celle du mensonge. Il ne s’agit pas, pour le cinéaste, de pointer les symptômes de la radicalisation mais de suggérer que la vie de tous les jours, si simple, n’avait pourtant rien de limpide. Comme si une nuit était tombée sur les personnages, filmés, à plusieurs reprises, dans l’obscurité de l’appartement. Une nuit qui a rendu les parents aveugles et leur fils invisible.

Ce film si plein de tendresse parle d’un vide. Celui, criant, que laisse Sami en disparaissant. Mais aussi celui, sournois, qui existait déjà avant sa fuite en Syrie, dans cet appartement familial où, en réalité, chacun se dérobe. La mère part donner des cours dans une autre ville, lassée d’un mariage auquel elle ne croit plus. Le père confie ses inquiétudes à une autre femme, sur son lieu de travail. Et Sami, lui, a trouvé ailleurs des projets secrets. Au cœur du film, il y a donc l’échec de l’amour, aussi incompréhensible, en apparence, que la radicalisation d’un lycéen de 19 ans prêt à passer son bac et à s’engager dans des études. Qui oserait penser qu’avec des parents si attentionnés l’amour peut manquer ? Sans accuser, sans désigner de coupables, Mohamed Ben Attia nous invite à douter. Douter du plus bel amour paternel pour comprendre, peut-être, l’isolement d’un fils qui s’est forgé des certitudes extrêmes, mortelles. Avec une justesse que les comédiens relaient brillamment, on entre dans la complexité de cette réalité nouvelle, sans jamais perdre le lien avec des parents qu’elle dépasse. Un tour de force pudique, émouvant, éclairant.

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Wildflife

 

Wildlife, une saison ardente
De Paul Dano et Zoe Kazan

USA 2018 . 1H45. VOST
Avec  Carey Mulligan, Jake Gyllenhaal, Ed Oxenbould, Bill Camp

“Wildlife” est le premier essai de l’acteur Paul Dano en tant que réalisateur. Un film adapté du roman de Richard Ford, “Une saison ardente”, qu’il a co-écrit avec sa compagne Zoe Kazan

Un film au goût de cendres et d’amour amer, au cœur de l’intimité d’une cellule familiale en passe de se déliter. Dans l’Amérique du Midwest dans les années 60, un père (Jake Gyllenhall) et une mère (Carey Mulligan), ne s’entendent plus. Leur fils unique, Joe, assiste au désastre, et tente de maintenir ce qu’il reste du passé. Un film impressionniste, à la mise en scène rigoureuse.

Joe  assiste, impuissant, à la lente désagrégation de la cellule familiale, un petit paradis dont il était jusque-là le centre. Entre ses parents, Jeanette (Carey Mulligan) et Jerry (Jake Gyllenhaal), ça ne va plus fort. Le père, prof de golf, a été viré. Il peine à retrouver du boulot, s’enfonce dans une déprime larvée et décide d’un coup de partir plusieurs mois pour une mission dangereuse. Il rejoint, pour un salaire de misère, cette cohorte d’apprentis pompiers qu’on recrute dans la région, pour éteindre les incendies ravageurs, malédiction de cet été 1960 .Tandis que son épouse est tentée par une aventure extraconjugale avec un riche concessionnaire automobile.

Le regard passe par Joe (Ed Oxenbould, attachant d’intelligence discrète, découvert dans The Visit de M. Night Shyamalan), adolescent éveillé, un peu renfermé peut-être, qui semble souvent bien plus mûr que ses parents. 

C’est un fils « exposé », au malaise : ses parents l’aiment mais pas si bien, règlent leur compte devant lui, le mettent trop facilement dans la confidence.. 

 Wildlife évite l’hystérie ou la mièvrerie des nombreuses œuvres sur le divorce. Paul Dano opte pour l’épure et la mise à distance, bien aidé par les plans-séquences et cadrages de son chef opérateur.

« Je souhaitais faire un film qui soit sobre et honnête. Je désirais que la réalisation soit guidée par l’image et les plans. Je voulais ne bouger la caméra que lorsque c’était absolument nécessaire. Je tenais à rester fidèle au sujet et à moi-même »

Paul Dano a la bonne idée de choisir un cadre serré qui met le spectateur à hauteur du jeune héros, renforce l’impression d’intimité mais aussi le sentiment d’étouffement des personnages.

D’après Télérama et Avoiràlire

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