Mohamed Rasoulof

Né en 1973 à Chiraz

Iran

Réalisateur

Au Revoir, Les Manuscrits ne brûlent pas, Un Homme Intègre (Prix « Un Certain Regard » Cannes 2017)

Depuis cet été, la situation de Mohammad Rasoulof s’est beaucoup compliquée. En septembre, alors qu’il rentrait dans son pays, il a été interpellé à l’aéroport de Téhéran. Son passeport lui a été confisqué, et on lui a signifié qu’il était poursuivi pour “activités contre la sécurité nationale” et “propagande contre le régime iranien”. Il risque sept ans de prison. Il a malgré tout insisté pour que son long-métrage sorte en France comme prévu, ce 6 décembre. “J’ai besoin que le film marche en France pour que les autorités iraniennes comprennent que, quoi qu’elles fassent, le film existe. Car tout ce que j’ai à dire est dedans”.

(Lire aussi rubrique Dossiers l’article « Si je dis la vérité , je ne pourrai jamais tourner »).

Pas un sourire, le regard fixe… Tout au long du film,

Reza apparaît comme un bloc de colère concentrée. Comment avez-vous construit ce personnage avec Reza Akhlaghirad, votre acteur principal ?

MOHAMMAD RASOULOF Je cherchais un acteur dont le regard et la structure du visage expriment une colère contenue. Il fallait qu’on sente bouillir en lui une colère accumulée. Reza Akhlaghirad n’est pas un acteur reconnu en Iran, il n’avait joué auparavant que dans des séries télévisées de mauvaise qualité, mais il avait la motivation pour incarner ce personnage. Le début du tournage a été difficile, il a dû se défaire de mauvaises habitudes. Mais au bout de deux semaines et demie environ, un déclic s’est produit, il a compris le personnage et nous avons pu avancer de façon beaucoup plus aisée. Et le maquilleur a fait du très bon travail.

Est-ce que la colère de Reza est aussi la vôtre, vous qui rencontrez de grandes difficultés à tourner en Iran ?

Le cheminement et l’objectif de Reza ne sont pas les miens. Il n’a pas de profondeur politique, il essaie simplement de ne pas dévier du chemin qu’il s’est fixé : n’empiéter sur les droits de personne, ne laisser personne empiéter sur les siens. Par contre, comme moi, Reza se heurte à des portes fermées. Moi non plus je n’aime pas être malmené, pas plus que je n’aime malmener les autres. Mais je fais des films, je ne suis pas en colère. Dans Un homme intègre, mon intention était de montrer comment le système happe les personnes. Reza ne veut pas recourir à la violence, mais il va y être forcé. Car respecter la loi ne l’aide pas : aucune règle, aucune éthique ne tient. À chaque fois qu’il tente de résoudre les dilemmes moraux auxquels il est confronté, il se heurte à une porte fermée. Assez tôt dans le film, par exemple, il se résigne à vendre son terrain à la société privée qui le convoite. Mais celle-ci lui refuse cette porte de sortie, déclarant que le terrain ne l’intéresse plus au prix convenu. Ce que veut l’entreprise, c’est broyer Reza. Elle veut que plus personne ne lui résiste, ni Reza ni quiconque après lui.

Reza est pisciculteur, il élève des poissons rouges. Sa femme Hadis dirige une école. Pourquoi ces professions ?

Je voulais que Reza exerce un métier qui le mette en position de tout perdre du jour au lendemain. Il se trouve que, dans le nord de l’Iran, là où il s’est installé, il y a beaucoup d’élevages de poissons. Un virus pourrait les décimer. Mais ce sont des poissons destinés à la pêche. Or pour moi, Reza est un homme trop positif, il ne pouvait pas élever des poissons pour qu’ils soient mangés. C’est comme ça que j’en suis arrivé aux poissons rouges, qui sont plus cinégéniques et très présents dans notre culture [durant les fêtes du nouvel an, ils symbolisent la vitalité, la chance]. Et l’eau a une valeur métaphorique, liée à l’histoire de l’Iran. Dans ce pays sec, le pouvoir a très longtemps été détenu par ceux qui possédaient les sources d’eau. Le contrôle de l’eau leur assurait le contrôle de la région. Quant à Hadis, j’en ai fait une directrice d’école car l’éducation m’importe beaucoup. Le problème de la corruption que je dénonce dans Un homme intègre trouve ses racines dans la culture dominante iranienne, elle-même façonnée par l’éducation donnée aux enfants. Or les instruments d’éducation sont aux mains du pouvoir, représenté dans mon film par l’entreprise. Dans une société où il n’y a plus ni éthique ni légalité, les gens se rapprochent du système pour survivre, tout simplement. Nous en sommes tous mécontents, mais nous y participons tous. Personne ne veut payer le prix du changement. Pour sortir de cette situation, une nouvelle révolution ne me semble pas nécessaire. Il faudrait réformer le système éducatif, pour modifier la culture dominante. C’est un processus long, qui nécessite des politiciens intègres et un gouvernement laïque, qui sépare la religion de l’État.

À plusieurs reprises dans le film, Reza se réfugie dans une grotte et se baigne dans une piscine naturelle creusée dans la roche. Que représente ce lieu ?

Je vois le personnage de Reza comme un escargot. Son corps est vulnérable et il a besoin d’une carapace, une maison de pierre. Quand il veut être face à lui-même, se retrouver, c’est là qu’il trouve refuge.

Avez-vous eu des problèmes avec la censure iranienne pour tourner ce film ?

Si la postproduction a été faite à l’étranger, tout le tournage s’est fait en Iran. J’ai donc dû demander une autorisation pour filmer, car j’ai la phobie que mon équipe se fasse arrêter, c’est une grande source d’angoisse pour moi. Je voulais un bout de papier qui la protège, dans la mesure du possible. Je me suis rendu compte que [depuis l’élection du modéré Hassan Rohani à la présidence, en 2013] le ministère de la Culture n’était pas satisfait de l’image que l’Iran renvoyait à l’international, celle d’un pays qui réprimait les cinéastes. Ils m’ont dit : “Toi et Jafar Panahi n’arrêtez pas de tourner, et pourtant, à l’étranger, on croit qu’on vous empêche de filmer.” Je leur ai fait valoir que nous empêcher de tourner ce n’était pas nous emprisonner, mais nous forcer à travailler dans la clandestinité [entre autres pour contourner la censure]. Alors ils m’ont invité à leur présenter une histoire acceptable pour eux, pour qu’ils me délivrent une autorisation de tournage. Je leur ai soumis une version du scénario qui puisse répondre à leurs attentes. Elle faisait 60 pages, alors que le scénario réel en faisait 140. Et j’ai attendu une réponse. Au bout de trois mois d’attente, elle a été négative. J’ai insisté. Deux mois plus tard, ils ont fini par m’accorder une autorisation, à condition que je m’engage noir sur blanc à tourner un film optimiste, où il y a de l’espoir. C’est en échange de cette attestation que j’ai pu travailler.

Les autorités iraniennes ont-elles vu votre film terminé?

J’ai proposé Un homme intègre au Festival du film de Farj, à Téhéran. Le film les a mis en colère. Le directeur de la commission de censure m’a envoyé un texto dans lequel il faisait référence à un conte iranien : un cavalier s’arrête pour porter secours à un éclopé sur le bord de la route et, en guise de récompense, l’éclopé le poignarde. Le directeur de la commission de censure m’a écrit : tu étais comme cet éclopé, nous sommes venus t’aider et tu nous as poignardés. Je n’ai pas compris cette réaction très émotionnelle. Il me fallait une seconde autorisation pour sortir en salle. Il n’avait qu’à me la refuser, pas besoin de me prendre par les sentiments !

Un homme intègre a été projeté à Cannes le 19 mai, le jour de la réélection d’Hassan Rohani à la présidence iranienne . Votre réaction à ce scrutin ?

Je suis très heureux pour le peuple iranien, pour mon pays. Je pense qu’à l’intérieur du système de la République islamique, Rohani est la meilleure personne pour le poste. Mais la République islamique reste pour moi un système totalitaire, quel que soit son président. Si quelqu’un de plus extrémiste était arrivé au pouvoir, comme Ebrahim Raisi [le principal candidat conservateur, un ancien procureur], il aurait fallu que je donne des coups de poing contre de la pierre. Avec Rohani au pouvoir, je continue de donner des coups de poing, mais contre du bois.

Propos recueillis par Marie Bélœil pour Le Courrier International le 24/05/2017.

 

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