Marco Bellochio ( Le Traître )

Né le 9 novembre 1939 à Bobbio

Italie

Réalisateur, scénariste

Les Poings dans les Poches, Le Diable au Corps, Buongiorno, notte, Vincere, La Belle Endormie, Fais de Beaux Rêves, Le Traître

Avec Le Traître, Marco Bellocchio apporte sa pierre au cinéma consacré à la Mafia. Son film sort néanmoins du lot par son intelligence et sa maîtrise du sujet.

On ne se rend pas compte, ou on ne dit pas assez à quel point Marco Bellocchio est un cinéaste majeur. Voilà plus d’un demi-siècle qu’il raconte le monde qui l’entoure, dénonce les carcans et travers de l’Italie où il est né il y a 80 ans (le 9 novembre). Son oeuvre est jalonnée de longs-métrages essentiels et passionnants, sans concession mais toujours profondément humains. Des Poings dans les poches à Vincere en passant par Buongiorno, notte jusqu’au Traître, en compétition au Festival de Cannes et aujourd’hui dans les salles. Pour la première fois, Bellocchio s’attaque à un des sujets majeurs de son pays : la Mafia. Sans (trop d’) effusion de sang, préférant la réflexion à l’action, la psychologie au folklore.

Le Traître raconte le parcours de Tommaso Buscetta, premier repenti qui provoqua le démantèlement de la tristement fameuse Cosa Nostra.

L’Express : Que pensez-vous des films liés à la mafia ?

Marco Bellocchio : Il faudrait plutôt poser la question à un historien. J’ai vu évidemment beaucoup de films sur la mafia, certains m’ont plu, d’autres moins, mais ce n’est que l’avis d’un spectateur avec toute la subjectivité qui lui est propre. Disons que je suis plus enclin à apprécier les histoires où l’aspect psychologique l’emporte sur l’action. Bien sûr, le plus marquant de tous ces longs-métrages est Le Parrain de Francis Ford Coppola. Un détail revient d’ailleurs dans les procès-verbaux que j’ai consultés avant de réaliser Le Traître : non seulement il est notifié que tous les mafieux ont vu et adoré Le Parrain, mais chacun d’entre eux était en plus possesseur d’une copie du film ! Ils le connaissaient par coeur : chaque plan, chaque réplique… Ils considéraient être officiellement représentés par ce long-métrage. Tommaso Buscetta ne faisait pas exception. Et il n’y avait apparemment aucune raison que je m’intéresse à cet Buscetta. J’ai pourtant accepté de réaliser Le Traître parce que je pouvais personnaliser son histoire qui dépasse le cadre mafieux.

Peut-être aussi avez-vous accepté parce que vos films ont toujours trait à la communauté et/ou à la famille…

Cela a bien sûr son importance. Là, il s’agit de la famille. Je suis issu d’une famille catholique nombreuse, où les valeurs étaient très importantes, incontournables. L’éducation des enfants, la fidélité conjugale… Tous ces aspects de la famille traditionnelle italienne se retrouvent évidemment dans la famille mafieuse. Avec son lot d’entorses… « Je n’ai jamais mal parlé de la famille, a dit Buscetta au mafieux Pippo Calo lors du procès. Je t’ai dénoncé, mais on a toujours dit qu’on ne touchait pas aux familles. » Et c’est bien parce qu’on a « touché » violemment à la famille de Buscetta qu’il se retourne contre son autre « famille ».

Le Traître est une commande que vous a proposée le producteur de votre film précédent, Fais de beaux rêves. À l’origine, il voulait une vedette américaine pour le rôle principal afin de le vendre au marché international. Comment l’avez-vous convaincu de prendre l’excellent Pierfrancesco Favino ?

Comme star internationale, j’avais songé à Benicio Del Toro ou Javier Bardem. Mais très vite, je me suis heurté au problème de la langue. Tommaso Buscetta ne peut s’exprimer qu’en italien et il aurait donc fallu que l’interprète soit doublé. Et pour être précis, le dialecte sicilien est la caractéristique du personnage. On en est arrivé à la conclusion que soit le film se montait avec un acteur italien, soit on laissait tomber. Cette contrainte a été bénéfique car on a pu travailler avec cet immense comédien qu’est Pierfrancesco. C’est vrai qu’il y a eu, par le passé, de grandes oeuvres italiennes avec des stars doublées : Le Guépard avec Burt Lancaster, Rocco et ses frères avec Alain Delon… Aujourd’hui, c’est impossible. Le public n’accepte plus le doublage et trouve que cela dénature l’histoire.

Pourquoi le film s’intitule Le Traître, et non Le Repenti ?

Parce qu’il était considéré comme tel – alors que c’est faux. Buscetta refuse à raison la notion de traître, et renvoie cette accusation à ses anciens amis qui eux, l’ont trahi, lui et les principes de leur organisation criminelle. Pour moi, le concept de trahison n’a rien de honteux. Ce peut être une action positive, signifiant le refus d’une situation inacceptable. Moi-même, je suis un traître par rapport à l’Église, par rapport à ma mère, par rapport aux principes dans lesquels j’ai été élevé et que j’ai refusé. Buscetta, c’est différent. Il n’a jamais trahi les principes de la Cosa Nostra. D’autres l’ont fait. Buscetta est un conservateur, qui s’est opposé à Toto Rina [parrain sanguinaire de la Cosa Nostra] pour défendre des valeurs de l’ancienne Mafia, moins meurtrière. Un procès-verbal indique que Rina voulait tuer ses ennemis jusqu’à la vingtième semence, afin qu’il n’en reste aucune trace. On entre là dans une criminalité psychotique. C’est pourquoi Rina a d’ailleurs été accusé par tous ses pairs d’avoir trahi la Mafia. 

   →Pour en savoir plus sur le contexte et le film:  http://cinecimes.fr/?p=4348&preview=true

Que reste-t-il aujourd’hui de la Mafia ?

Elle existe toujours, bien entendu, mais différemment. Elle n’est plus aussi sanguinaire qu’à l’époque de Toto Rina. Les armes et la violence sont encore très présentes dans la Camorra [région napolitaine], et la Ndrangheta [région calabraise] est considérée comme la société criminelle la plus puissante et ramifiée d’Europe. Sans doute parce qu’il n’y a chez celle-ci aucun repenti – par peur, sans doute. La Cosa Nostra exprimait un sentiment de supériorité par rapport à ces deux organisations, mais les centaines de repentis l’ont affaiblie. Elle s’est néanmoins reconstituée différemment. Ils portent des costumes et font des affaires…

D’après C. Carrière pour L’Express du 3/11/19

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