DE NOS FRERES BLESSES

Qui se souvient de la guerre d’Algérie, l’a vécue ou subie le cas échéant, ou l’a apprise, ou encore à qui le nom de Fernand Iveton dit encore quelque chose, se retrouvera dans les plaies pas encore complétement refermées de cette période sombre de notre histoire. L’issue finale est connue du spectateur suffisamment informé, lequel trouvera donc aisément ses points de repère pour suivre le fil du scénario. Car sinon, le mode narratif intercalant fréquemment des scènes se déroulant dans un temps différent, pourrait conduire à perdre pied. Ce sera d’ailleurs certainement un écueil pour un public plus jeune qui n’aura sans doute pas appris grand-chose de la période sur les bancs de l’école. Fernand Iveton était somme toute un militant ordinaire, membre du parti communiste algérien, pas une grande figure du mouvement ouvrier, ce qui explique aussi que son souvenir se soit effacé, du moins dans l’hexagone. C’est un hommage qui est ainsi rendu à sa mémoire, mais sans grande démonstration. Condamné à mort par un tribunal militaire et lâché par le parti communiste et son journal L’Humanité, Fernand Iveton espéra jusqu’au bout sa grâce mais un certain ministre de la justice d’un gouvernement qui se disait socialiste refusa de la lui accorder et entérina son exécution sur l’échafaud : il s’appelait François Mitterand…

Le film est adapté assez librement d’un livre de Joseph Andras qui refusa le prix Goncourt qui lui fut attribué. Grâce lui soit rendue et au réalisateur Hélier Cisterne de nous transmettre cette histoire oubliée. Le réalisateur retranscrit magnifiquement l’ambiance de l’époque, de cette « guerre sans nom » – pour reprendre le titre du remarquable documentaire de Bertrand Tavernier. On évite l’hagiographie en privilégiant un point de vue extérieur sur le destin de Fernand Iveton. Le film offre plûtot qu’une thèse, la possibilité au spectateur de se faire une opinion. Le combat de Fernand était-il juste ? Ses actes étaient-ils justifiés ? Le procès était-il équitable ?

 

Télérama Jacques Morice :

Fernand Iveton, un nom, que l’Histoire avait effacé. Un héros ordinaire doublé d’un bouc-émissaire sacrifié. Son histoire s’inscrit dans le contexte de la guerre d’Algérie. En 1954, ouvrier tourneur dans une usine à Alger, ce jeune communiste ne supporte plus le sort réservé aux « indigènes » musulmans. Aux côtés de son meilleur ami, Henri, et de plusieurs autres camarades, il milite pour que les Arabes aient davantage de droits. La guerre n’est pas encore visible, le combat pour une Algérie libre tâtonne, source de divisions. Après avoir commencé à se rapprocher du FLN, Yveton décide un jour de poser une bombe dans son usine. L’attentat ne vise personne, il est consciencieusement planifié comme du sabotage, l’objectif étant de plonger la ville dans le noir. Mais la bombe est désamorcée et Iveton, arrêté.

La suite est à peine croyable : torture, procès qui vire à la mascarade dans un tribunal militaire, absence de soutien de la part de la métropole. Hélier Cisterne, le réalisateur remarqué de Vandal (2013), prend soin, pourtant, de juguler le pathos en apportant une forme d’innocence et de fraîcheur. Le film, construit en puzzle, avec une chronologie éclatée, est politique, mais c’est aussi une histoire d’amour, simple et forte, entre Fernand et Hélène, jeune mère polonaise, fière et entreprenante, qui a fui le régime stalinien. Le sujet du communisme, qui les oppose forcément au début, donne lieu à une scène de querelle à la fois véhémente et savoureuse. On y sent déjà leur attirance qui sera plus forte que l’idéologie.

Vincent Lacoste et Vicky Krieps forment un couple parfait. Dans leur rencontre au bal, dans les scènes de baignade ou de dîner avec les amis se dégage un parfum d’insouciance, qui rappelle parfois le cinéma populaire d’avant-guerre. Cette insouciance ne disparaît jamais tout à fait, même quand les événements prennent une tournure plus dangereuse. S’il est parfaitement conscient des risques encourus, Iveton manifeste, dans son idéalisme, une part d’ingénuité qui le voue sans doute à l’échec. Il n’empêche : sa bravoure et celle de son épouse, qui ne passe pas à l’action mais sait tout et a accepté, non sans tension, de rester auprès de son homme, réveillent le souvenir de ces couples humbles et unis engagés dans la Résistance.

Avec sa sobriété, sa pudeur, De nos frères blessés est poignant, tant l’injustice racontée est criante. Et en plus de faire connaître cette affaire, le flm révèle le rôle de François Mitterrand, garde des Sceaux de l’époque, qui signa l’arrêt de mort de Fernand Iveton. Lequel ne fut pas le seul dans ce cas : quarante-quatre autres condamnés furent guillotinés en un an, alors qu’il occupait ses fonctions, de 1956 à 1957.

 

 

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