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Past Lives Nos vies d’avant

 

PAST LIVES , NOS VIES D’AVANT

Film de Céline Song – Etats-Unis – 1h46

Avec Greta Lee, John Magaro, Teo Yoo…

Past Lives, la première réalisation de Céline Song, tisse une tapisserie complexe et émotionnelle sur l’amour ,la perte et la recherche éternelle de liens qui transcendent le temps. Avec pour toile de fond la ville de New York, ce drame poignant plonge dans la vie de trois personnes dont les chemins se croisent de manière inattendue et profonde, exploitant les thèmes du destin, des regrets et du pouvoir durable des relations humaines.

Le film nous présente Na-Young (Seung Ah Moon) et Hae-Sung (Seung Min Yim), des amis d’enfance dont la vie est bouleversée à jamais lorsque la famille de Na-Young déménage au Canada. Les premiers chapitres du récit capturent habilement l’innocence et l’intensité de l’amour jeune, peignant une image vivante de leur lien vibrant. L’alchimie entre les jeunes acteurs est palpable, leurs performances entraînant les spectateurs dans le monde réconfortant mais éphémère de la romance adolescente.

L’histoire fait ensuite un bond dans le temps, retraçant les chemins divergents de Na-Young et Hae-Sung sur une période de deux décennies. Greta Lee et Teo Yoo entrent dans la peau de leurs homologues adultes, imprégnant leurs personnages d’un sentiment de désir et de nostalgie. Le passage du temps est habilement rendu par les costumes et les décors, soulignant la transformation qu’entraînent les expériences de la vie.

Le cœur de Past Lives réside dans l’exposition de la complexité émotionnelle qui survient lorsque Hae- Sung et Na-Young, devenue Nora, reprennent contact après des années de séparation. Greta Lee livre une performance de tour de force, capturant l’essence d’une femme déchirée entre l’amour de son passé et les engagements de son présent. Tee Yoo, dans le rôle de Hae-Sung, apporte une intensité tranquille à l’écran, incarnant le poids des occasions manquées et des émotions non résolues. John Magaro, dans le rôle d’Arthur, le mari compréhensif qui la soutient, insuffle à son personnage profondeur et empathie.

La formation théâtrale de la réalisatrice Céline Song est évidente dans le rythme délibéré et le cadrage réfléchi du film. Chaque scène est méticuleusement conçue, avec des métaphores visuelles qui ajoutent de la profondeur à la narration. Les miroirs deviennent des reflets symboliques des luttes intérieures des personnages, tandis que le paysage de la ville de New York sert à la fois de toile de fond et de métaphore pour les voyages des personnages. La cinématographie du film, dirigée par Shabier Kirchner, capture l’énergie et la diversité de la ville, amplifiant les émotions des personnages sur une toile de fond urbaine vibrante .

Le film met en valeur le talent de la scénariste-réalisatrice grâce à une écriture précise, du dialogue poétique et une mise en scène délicate. L’un des moments les plus marquants du film est une rencontre apparemment ordinaire sur un trottoir de la ville, qui se transforme en un spectacle hypnotique de tension contenue. L’échange entre Nora et Hae-Sung, chargé de mots non exprimés et d’émotions refoulées, est une classe de maître en matière d’interprétation et de mise en scène. L’utilisation de prises de vue prolongées et de gros plans intensifie l’impact émotionnel, donnant lieu à une scène qui reste gravée dans la mémoire longtemps après le générique.

Past Lives n’est pas seulement une histoire d’amour, mais une méditation profonde sur la complexité des liens humains. Le film mêle harmonieusement des éléments de romance, de philosophie et de nostalgie pour créer un récit à plusieurs niveaux qui trouve un écho profond auprès de son public. En entremêlant le passé et le présent, Past Lives souligne la vérité universelle selon laquelle les choix que nous faisons et les liens que nous tissons se répercutent à travers le temps, façonnant nos destins d’une manière que nous ne comprenons peut-être pas entièrement.

Le film explore toutes les personnes que nous aurions pu devenir et souligne que finalement personne parmi elles n’a autant d’importance que la personne que nous sommes aujourd’hui : un ensemble de connexions que nous créons. 

Past Lives est aussi un rappel poignant que le pouvoir de la narration réside dans sa capacité à capturer l’essence de l’expérience humaine. La première réalisation de Céline Song est une réussite indéniable, invitant les spectateurs à réfléchir à leur propre passé, à contempler des chemins non empruntés et à apprécier les fils complexes qui tissent la trame de nos vies.

Critiques de Mulder.

Ciné Surprise le 08/01/2024

Jeudi, Vendredi, Lundi, Mardi : horaires sur les sites cinecimes.fr ou cinemontblanc.fr

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Mohamed Kordofani (Goodbye Julia)

Mohamed Kordofani : « La guerre au Soudan a atteint un niveau extrême »

Dans son nouveau film Goodbye Julia, le réalisateur soudanais Mohamed Kordofani raconte l’amitié entre une femme musulmane arabe et sa domestique, une chrétienne du sud du pays, au moment où le Soudan du Sud accède à son indépendance. À cette occasion, le réalisateur livre son regard sur la guerre qui ravage son pays depuis tout juste six mois. Entretien :

(suite…)

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Wim Wenders,réalisateur

Wim_Wenders_pour_Nouvel_Écran14 Août 1945 Dusseldorf

Allemagne

Réalisateur

Alice dans les Villes, Au Fil du TempsL’Ami AméricainParis TexasLes Ailes du DésirSi loin, si ProcheBuena Vista Social Club, Le Sel de la Terre, Everything Will Be Fine, Anselm, Perfect Days.

ENTRETIEN : Le cinéaste, né en août 1945 en Allemagne, revient sur son enfance dans un pays en ruine.

Le quinzième prix Louis Lumière récompensera à Lyon, le 20 octobre, le réalisateur allemand Wim Wenders, dont la carrière s’étend sur plus d’un demi-siècle. A 78 ans, il sort simultanément deux films en salle : Anselm, un documentaire consacré au plasticien Anselm Kiefer, et Perfect Days, une fiction japonaise.

Je ne serais pas arrivé là si…

… si je n’avais pas découvert, à 22 ans, que le cinéma était une formidable alternative à la peinture. Que c’était même un art plus riche, puisqu’il impliquait tous les autres. C’était pour moi une découverte bouleversante, car je rêvais jusque-là d’être peintre. C’est à cette fin que j’avais quitté Düsseldorf pour venir étudier à Paris. Mais comme mes après-midi étaient libres et ma chambre de bonne glaciale, j’avais trouvé refuge à la Cinémathèque française. J’ai commencé par voir un film par jour, puis deux, puis trois, tous présentés par Henri Langlois, le fondateur de la Cinémathèque. En un an, j’avais visionné toute la collection. Et compris que je voulais devenir cinéaste.

Donc un changement de cap radical !

En vérité, c’était mon deuxième changement de cap. Car, en Allemagne, j’avais commencé par étudier la médecine. Mon père l’exerçait avec foi, et je trouvais que c’était un beau métier.

Vous embrassiez la médecine pour faire plaisir à votre père…

Oui, mais pas seulement. J’avais travaillé à l’hôpital auprès des malades, et j’avais adoré cela : les laver, les nourrir, les raser avant les opérations…

Il faut aimer les gens pour choisir d’accomplir ces tâches…

J’aimais les gens, beaucoup. Et j’aimais l’hôpital. Mais la peinture me taraudait et j’ai vite compris qu’elle me donnait plus de plaisir que mes cours de médecine. Quand je l’ai annoncé à mon père, il a ri : « Je le savais depuis le début ! Mais c’était à toi de le découvrir par toi-même ! » Ça m’a libéré. « Veux-tu faire une école ? »,a-t-il demandé. « Non, je veux aller à Paris. »

C’était bien arrogant de viser tout de suite Paris, mais je souhaitais être au cœur de la création, là où les grands peintres avaient étudié. Mon père a avalé sa salive : « D’accord. Je vais continuer à t’entretenir au niveau de ce que coûterait la fac de médecine ou une école allemande. Mais si Paris se révèle plus cher, ce sera pour toi. » Je ne serais donc pas arrivé là si mon père ne m’avait pas laissé venir à Paris… siège de la Cinémathèque !

Jean-Paul Sartre disait : « L’enfance décide. » Qu’a donc décidé votre enfance ?

Tout ! Mais laissez-moi d’abord vous raconter ma rencontre éclair avec Sartre ! Vous voyez le coin du boulevard Saint-Germain et de la rue du Dragon ? C’est là, un soir d’hiver 1964, alors qu’il neigeait et que je courais aussi vite que possible sur la chaussée glissante, que j’ai percuté de plein fouet un petit monsieur qui est tombé par terre en conservant sa pipe entre les lèvres. Il était fou furieux. Comme je l’aidais à se relever, en me confondant en excuses, j’ai reconnu Jean-Paul Sartre. Il a secoué la neige accrochée à son manteau et il est parti en maugréant. Je n’ai même pas eu le temps de lui dire qu’en cours de littérature, quand on nous avait demandé de traduire en allemand un texte récent, j’avais choisi de traduire Les Mots. J’avais eu une bonne note.

Mais l’enfance ?

Ah, l’enfance ! Je n’ai pas fait exception à la règle : mes 7-8 ans ont décidé de qui je serais. C’est à cette époque que j’ai senti, compris, intégré beaucoup de choses, notamment les règles sociales dans une Allemagne en ruine, une Allemagne qui n’existait quasiment plus mais qu’il fallait reconstruire, un pays nouveau qui ne savait pas encore ce qu’il était, mais qui avait un avenir… à condition d’oublier son passé et d’être solidaires. On était tous égaux. Il n’y avait pas de hiérarchie, de classes sociales. Tout le monde était pauvre, mais content d’avoir survécu et d’avoir une nouvelle chance. Alors on s’entraidait. Il y avait une vraie fraternité. Un respect mutuel. Et une considération pour la valeur des choses. On ne jetait rien et chaque pièce comptait. J’ai adoré cette société-là.

L’optimisme prévalait-il ?

Mais oui ! Lorsqu’on naît le 14 août 1945 en Allemagne, les choses ne peuvent qu’aller mieux. Le credo des adultes tenait en trois phrases : le passé n’existe pas, le présent est important, l’avenir est tout. On était persuadés qu’un jour l’Allemagne serait de nouveau quelqu’un. Mais en attendant, on éprouvait une immense méfiance pour notre propre culture, et le pays, dans un même élan, a fait sienne la culture américaine. J’investissais mon argent de poche dans les BD américaines, les Mickey Mouse et les super-héros. Et dans les juke-box, j’écoutais Chuck Berry. C’était ça la vraie vie !

D’où l’envie de partir ? De quitter l’Allemagne ?

C’est à l’âge de 15-16 ans que j’ai clairement perçu le grand malaise du pays à l’égard de son passé récent. Les profs ne savaient pas comment en parler et sautaient la période du nazisme pour arriver directement à l’après-guerre. Au discours de certains, je comprenais que c’était probablement d’anciens nazis. Le prof d’histoire était impossible. Le prof de maths portait encore la petite moustache noire d’Hitler. Le prof d’allemand, heureusement, était un vrai libéral qui nous a ouvert les yeux sur ce sujet tabou. C’est à ce moment-là, oui, que j’ai commencé à rêver de partir découvrir le monde. Le Brésil, parce que j’avais lu qu’Oscar Niemeyer construisait une nouvelle capitale au cœur de la jungle et que je collectionnais toutes les photos de cette utopie splendide. Et puis l’Amérique, ses grands espaces, ses voitures splendides et ses gratte-ciel. Rien que ce mot… Mais l’Amérique était une aspiration puissante depuis que, tout petit, j’avais lu Mark Twain. C’est simple : j’étais Tom Sawyer !

Qu’en était-il de votre projet de cinéma ?

Je me suis inscrit dans une toute nouvelle école qui s’ouvrait à Munich et dont j’avais lu l’annonce dans un journal allemand trouvé sur une table du café Les Deux Magots. Une déception épouvantable : l’école était sous-équipée, l’enseignement nullissime. Mais a surgi Mai 68. Les étudiants français ont soulevé Paris et nous, à Munich, avons fait la même chose. Nous avons occupé l’école, viré les responsables, concocté un nouveau programme, choisi nos profs. Hélas, comme j’avais participé à des manifs, caméra à l’épaule pour filmer le mouvement, y compris la violence, j’ai été arrêté, jeté trois jours en prison et la police a confisqué ma caméra, ma si précieuse caméra Bolex achetée en vendant mon saxophone. Pendant ce temps-là, [Rainer Werner] Fassbinder, qui n’avait pas été accepté à l’école, nous narguait en faisant son premier long-métrage.

Vous vous êtes rattrapé !

Pas tout de suite. Le temps qu’on quitte l’école, il avait déjà fait quatre films ! Mais j’ai ensuite enchaîné trois longs-métrages, en faisant équipe avec des jeunes gens qui démarraient aussi et avec lesquels j’allais former une équipe indissociable pendant des années. On a appris ensemble, construit, progressé.

Le facteur humain vous paraît-il essentiel ?

Fondamental ! Je ne peux faire du cinéma qu’avec des gens que j’aime. Et quand il faut recruter, je choisis les gens dont j’aime le regard. C’est mon critère à moi. Pour un casting, je ne regarde que les yeux. Et je sais. Je sens. Je lis dans le regard. Pas la peine d’éplucher le CV. Les gens peuvent tromper avec mille choses. Pas avec leurs yeux.

N’est-ce pas pourtant le job des acteurs de faire croire ce qu’ils ne sont pas ?

Je préfère ceux qui ne trompent pas, ceux qui s’investissent dans leurs rôles avec leur propre histoire, leur caractère, leur âme. Ce sont évidemment les plus fragiles sur un plateau. Et le metteur en scène a envers eux une grande responsabilité. Surtout envers les enfants, dont on devient si proches le temps du tournage et qu’on n’a pas le droit d’abandonner à la fin. J’ai gardé des liens avec les enfants de tous mes films, y compris la petite Alice du film Alice dans les villes, sorti en 1974.

Etait-ce votre quatrième film ?

Oui, mais je le considère comme le premier, car c’est celui où j’ai trouvé ma propre voix. Le premier était inspiré par [John] Cassavetes, le deuxième par [Alfred] Hitchcock, le troisième imitait maladroitement David Lean. Stop ! Ça ne sert à rien de tourner un film « à la mode de… » Avec Alice, j’ai compris qu’il y avait quelque chose qui n’appartenait qu’à moi. Cette manière de tourner en voyageant, de suivre l’ordre chronologique en improvisant le scénario… J’étais comme un poisson dans l’eau. Et pour la première fois, en inscrivant mon nom sur une fiche d’hôtel, j’ai écrit avec assurance : metteur en scène. J’avais gagné ce droit.

Y compris celui de partir à Hollywood…

Je le ferai plus tard, en 1978, à l’initiative de [Francis Ford] Coppola, qui m’a appelé pour tourner Hammett. Mais comment imaginer, moi qui avais jusque-là fait un film par an, que celui-ci en prendrait quatre, qu’on écrirait quarante versions du scénario avec quatre scénaristes différents et qu’on devrait tourner le film deux fois parce que la première mouture ne plaisait pas au studio ? Après cette expérience douloureuse, croyez-moi, je n’ai eu qu’une envie : tourner avec mes proches, dans une liberté absolue et la fièvre d’une aventure à inventer tous ensemble. En Amérique, certes, mais avec une identité totalement européenne. Et ce fut Paris, Texas. Un rêve. Il a gagné la Palme d’or à Cannes et il a changé ma vie. Hélas, on attendait ensuite que je tourne un Paris, Texas numéro deux. Et c’est la dernière chose que je voulais faire.

Pourquoi ?

Mais parce que le cinéma, ce n’est pas répéter ce qu’on sait faire ! C’est choisir ce qu’on n’a encore jamais fait. Et qu’on n’est même pas sûr de savoir maîtriser. Pas de modèle, zéro formule, voilà ma bible. C’est alors que je me suis senti prêt à revenir faire un film en Allemagne. Je commençais à m’accepter Allemand, à m’identifier à l’histoire de mon pays. Je suis un romantique allemand, c’est l’Amérique qui me l’a appris, dont acte. Et j’ai tourné à Berlin Les Ailes du désir. C’était le film d’un revenant, heureux de rentrer à la maison.

Dans une Allemagne encore coupée en deux…

Oui. Et les quelques plans de Berlin-Est ont été filmés clandestinement. Quand la chute du Mur est arrivée, deux ans plus tard, j’étais au fin fond du désert australien pour tourner un autre film. Il n’y avait ni radio ni téléphone satellite, et mon bureau ne pouvait me joindre que dans la supérette qui desservait une zone de 1 000 kilomètres alentour et dans laquelle nous allions nous ravitailler une fois par semaine en eau, essence et alimentation. Un jour, on m’a tendu un fax illisible avec une photo toute noire sur laquelle on devinait des silhouettes en train de danser sur un mur ou sur un toit. Il m’a fallu des heures pour obtenir une liaison téléphonique avec l’Allemagne. Quelqu’un alors m’a dit : « C’est la fête à Berlin ! Le Mur est ouvert depuis une semaine. » J’étais abasourdi.

L’envie de vous réapproprier votre pays en a-t-elle été décuplée ?

Bien sûr. C’était un nouveau pays. Et je me suis lancé dans le tournage de Si loin, si proche, avec les mêmes anges, les mêmes acteurs, le même Peter Falk, le même Bruno Ganz, mais aussi Lou Reed, et d’autres personnages incroyables. Mais, deux ans après la réunification, plus personne en Allemagne ne voulait en entendre parler. Les gens en avaient marre. La jubilation avait fait place au cauchemar, la confrontation Est-Ouest était bien plus violente que prévu. Nous partagions la même langue allemande, mais les mots disaient autre chose. Mon film a obtenu le Grand Prix du Festival de Cannes, grâce à Louis Malle, mais il n’a pas eu un sort très heureux. Un jour peut-être…

Pourquoi y avoir enrôlé Gorbatchev ?

C’était un remplaçant ! En fait, je voulais Willy Brandt, l’ancien chancelier allemand et Prix Nobel de la paix, qui était le héros de mon enfance. Il était d’accord, on avait même fait des répétitions en costume, mais son cancer l’a contraint à annuler. Je me suis donc tourné vers Mikhaïl Gorbatchev, héros de la réunification et, lui aussi, grand humaniste. Il était encore chef du Kremlin et il m’a accordé deux heures.

Diriez-vous, comme l’artiste Pierre Soulages : « C’est ce que je fais qui m’apprend ce que je cherche » ?

La liberté est pour moi essentielle. Et j’ai découvert que le documentaire m’offrait un champ d’une souplesse prodigieuse. Et puis, un jour, je me suis aperçu que la plupart de mes fictions étaient en fait filmées comme des documentaires. Et que mes documentaires étaient de plus en plus enrichis par des éléments de fiction. C’est donc ça, mon idéal : combiner fiction et réel. Mais pour coller le plus possible à la réalité.

Dans quel but ? Qu’est-ce qui réunit vos films ?

Comment vivre ? Pourquoi vivre ? Qu’est-ce qui l’emporte sur tout ? Pour ma part, j’ai compris que ce qui importe et demeure, ce sont les actes d’amour. Tout ce qu’on fait sans conviction, sans amour, sans tendresse se perd, ne passe pas la rampe. Mais ce qu’on fait avec sincérité, fidélité à soi-même et amour se transmet, se partage, a de l’impact. Peut-être est-ce un héritage de mon père médecin, que j’ai tant admiré, qui connaissait ses patients par leur prénom, s’asseyait au bord de leur lit, les regardait, les touchait et leur parlait. C’est ça, un bon médecin. Au fond, c’est ce que j’ai essayé de faire avec le cinéma.

Avez-vous la conviction que les films aussi peuvent faire du bien ?

Oui. Et quand cela arrive, que le public sort du cinéma avec de nouvelles clés pour vivre, je vous assure que c’est une grande joie.

Vous avez dit un jour que tous vos films auraient pu être intitulés « A la recherche du temps perdu »…

Proust a inventé le meilleur titre et, hélas, on ne peut plus le lui piquer pour un film. Le temps est pourtant le grand maître du cinéma. Et le temps perdu ma hantise.

Qu’appelez-vous « le temps perdu » ?

C’est le temps gaspillé et stérile, qui n’a servi à rien et ne portera aucun fruit. C’est le temps dénué d’actes d’amour.

D’après des propos recueillis par Annick Cojean pour Le Monde.

 

Entretien avec Wim Venders

Quand il y a quelques années au festival de Sundance – vous avez demandé au scénariste du film, Bjørn Olaf Johannessen, de vous envoyer son prochain scénario, vous pensiez seulement donner un coup de main à un jeune talent comme vous le faites souvent, c’est bien cela?

Exactement. Je ne m’attendais pas à ce qu’il écrive quelque chose pour moi. Le scénario auquel nous avions décerné un prix à l’époque, et qui a été filmé par la suite, s’appelait Nowhere Man – c’était déjà plutôt un bon titre pour un début – et de tous les scénarios que j’ai lus cette année-là, c’était le meilleur. C’est pourquoi je lui ai dit : “Envoie-moi ton prochain scénario ! ”Trois ans plus tard, alors que j’avais complétement oublié cet épisode, j’ai trouvé un scénario dans ma boite aux lettres. J’ai tellement aimé le premier jet d’Every Thing Will Be Fine que je l’ai immédiatement donné à mon producteur Gian-piero Ringel et que nous avons décidé de poser une option dessus.

Quelle est la première chose qui vous a attiré quand vous avez lu le scénario ?

C’était le thème de la culpabilité, bien que l’enjeu du récit ne soit pas tant de savoir si cet homme est coupable de quoi que ce soit qui pourrait être lié à l’accident, que d’interroger la culpabilité qui est au cœur de toute création d’un écrivain ou d’un cinéaste qui « exploite » la vie réelle. Est-il légitime d’utiliser dans son propre travail les expériences (suite…)

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Molly Manning Walker (How to Have Sex)

La réalisatrice britannique Molly Manning Walker, 29 ans, a remporté la récompense principale de la section parallèle pour son premier film, « How to Have Sex », qui aborde, entre autres, la question du consentement.

Cannes 2023 : le palmarès d’Un certain regard sous le signe de l’histoire coloniale, de la jeunesse abandonnée et de la paupérisation mondiale.

Après dix jours de compétition et vingt longs-métrages présentés, analysés et débattus par la critique dès l’issue des projections, le prix Un certain regard est ainsi allé à How to Have Sex, premier long-métrage de la Britannique Molly Manning Walker, 29 ans, où trois adolescentes s’offrent une parenthèse enchantée (croient-elles) dans une station balnéaire crétoise. Au programme : alcool, drogue et sexe à l’excès, nuits blanches et idées sombres vite chassées par les paradis artificiels, rencontres à tout-va visant à satisfaire le plaisir immédiat, l’hédonisme sans entraves jusqu’au vertige et la perte du désir même. Car il se joue là bien autre chose que la frivolité à laquelle on voudrait croire. La question du consentement, entre autres, l’injonction des premières fois à laquelle on se soumet, et, en dernier lieu, la désillusion qui en découle.

Visions oniriques

Parmi les longs-métrages présentés dans cette quarante-cinquième édition, Augure, du rappeur et performeur Baloji, a reçu le Prix de la nouvelle voix. Ce premier film multiforme, qui mêle réalisme, spiritisme et visions oniriques, met en scène le retour au Congo, après quinze ans d’absence, de Koffi (Marc Zinga) venu présenter sa femme (européenne, enceinte de jumeaux) à ses parents. Ce dernier a pris ses distances avec ses origines, sa mère qui l’a banni, son quartier de Lubumbashi qui l’a toujours considéré comme un sorcier. Les retrouvailles chaotiques avec la famille mèneront à la rencontre de trois autres personnages, en rupture avec leur milieu. Quatre voix, quatre présences qui multiplient les points de vue, élaborant finalement une sorte de labyrinthe évocatoire d’une culture animiste, à laquelle le réalisateur adjoint, pour en délivrer toute la complexité, son propre univers artistique, musical, poétique et pictural.

Nouveauté de cette édition 2023, le Prix d’ensemble a couronné La Fleur de Buriti, du Portugais Joao Salaviza et de la Brésilienne Renée Nader Messora. Un voyage dans le temps et dans l’espace préservé de l’Etat du Tocantins, au nord-est du Brésil, auprès du peuple kraho. Communauté menacée depuis des lustres, bataillant pour préserver leur terre, adaptant leurs rites et leurs pratiques sans jamais renier ce qui les rattache à la nature. Un lien que le duo de cinéastes restitue par la grâce d’un lent récit ajusté aux cycles naturels, aux tâches et aux gestes quotidiens, aux rites ancestraux.

Autre innovation, le Prix de la liberté est revenu à Mohamed Kordofani pour Goodbye Julia, qui, par une mise en scène classique, nous conte la relation ambiguë qui se noue entre deux femmes, l’une, musulmane, issue d’un milieu favorisé, vivant au nord du Soudan, l’autre, chrétienne, originaire d’une ville du Sud. Emouvant récit de rédemption dans un pays en plein désastre politique.

Deux films venus du Maroc

La section Un certain regard comptait, cette année, deux longs-métrages en provenance du Maroc. Chacun est reparti avec un prix. Celui de la mise en scène attribué à La Mère de tous les mensonges, d’Asmae El Moudir, un documentaire dont l’architecture épouse avec virtuosité les contours d’une maquette d’un vieux quartier de Casablanca pour en survoler la structure, la démanteler morceau après morceau, afin d’y dénicher les secrets cachés dans les recoins. Image rapetissée, métaphorique d’une histoire intime, familiale entachée d’un mensonge que seul un retour dans le passé élucidera.

Le Prix du jury est, quant à lui, revenu au réalisateur Kamal Lazraq pour son premier long-métrage Les Meutes et sa longue traversée nocturne de Casablanca durant laquelle un père et son fils se trouvent embarqués dans une mission plus périlleuse que ce qu’ils sont capables de supporter. Chargés de transporter un cadavre dans le coffre d’une voiture, ces deux-là se heurtent à une série de contretemps qui pourraient virer au gag si le réalisateur ne prenait soin de travailler son récit à la lame d’un couteau.

Les Meutes révèle, au long d’une nuit dirigée vers l’enfer, un univers de malfrats et de gangs auquel le cinéma marocain ne nous avait pas habitués. Visages découpés dans la lumière artificielle des éclairages de rue, ton âpre et mâtiné d’humour, acteurs non professionnels à la présence magnétique, fine photographie d’un Maroc périphérique : Kamal Lazraq impose une nouvelle signature.

D’après Véronique Cauhapé pour Le Monde.

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Mona Achache-Marion Cotillard, entretien croisé (Litlle Girl Blue)

Entretien croisé Mona Achache-Marion Cotillard

Mona, qu’est-ce qui vous a conduit à faire revivre votre mère, Carole, sous les traits de Marion Cotillard ?
Mona Achache. Ma mère, Carole Achache, s’est suicidée
le 1er mars 2016, sans laisser de mot. Dans sa cave, elle
avait stocké 25 caisses en plastique contenant des
milliers de lettres et de photos, des correspondances
triées, des carnets, des agendas annotés : les archives
colossales d’une famille sur laquelle elle avait déjà
enquêté lors de l’écriture d’un livre sur sa propre mère…
qui avait elle-même écrit sur sa propre mère. Ce passé
répétitif pesait sur moi. Ces caisses étaient là, offertes
comme par dessein. J’en devinais le potentiel fascinant,
mais j’en connaissais surtout le mortifère. Je ne voulais
pas les ouvrir. Je rejetais tout ce qui me liait à ma mère.
Mais en les déménageant, je n’ai pu résister au réflexe
d’en ouvrir une. Je suis tombée sur une pochette –
avait-elle été rangée là intentionnellement ? Ma mère
aurait tout à fait pu organiser cette mise en scène ! –
et j’y ai découvert les photos d’une jeune femme sublime,
libre, indécente, que je ne reconnaissais pas, mais qui
m’a immédiatement fascinée, parce qu’à l’opposé de la
femme torturée, douloureuse que j’ai connue, et des
récits imprécis qu’elle m’avait livrés sur sa jeunesse
« délinquante ».
J’ai eu envie de comprendre ce qui avait pu conduire
ma mère vers le processus de détérioration dans lequel
elle a ensuite plongé. Très vite, j’ai découvert une vie et
un personnage incroyables. Et le désir d’un film s’est
imposé.
Vous décidez donc d’ouvrir ces caisses et
reproduire le geste de votre mère et de votre
grand-mère en menant à votre tour votre propre
enquête ?
M.A. Le suicide de ma mère a laissé une énigme
que j’ai eu besoin de comprendre. Au départ, c’était
comme une torture, parce que sa mort m’enlisait,
mais elle me donnait surtout l’illusion de me libérer
de quelque chose. Sauf qu’on ne se débarrasse pas de
ses origines, et je sentais profondément qu’il fallait
que je me confronte à son histoire. Que malgré moi,
j’en étais empreinte et que je devais y faire face pour
m’en émanciper, et ne pas faire peser l’écho du passé sur
mes enfants. Alors, je me suis emparée de cette matière
qui me dégoutait et m’obsédait, j’ai fouillé, et un jour,
j’ai trouvé des enregistrements sonores, avec la voix
de ma mère. C’était bouleversant et passionnant. Le
fantasme impossible d’une conversation post-mortem
ne m’a plus quitté : faire revivre ma mère suicidée pour
qu’elle m’explique son geste. Lui donner un corps
cinématographique et qu’elle soit l’héroïne du film de
sa propre histoire. Alors, je n’ai pas eu l’impression de
« reproduire », mais de transformer.
Marion, quelle a été votre réaction en découvrant
le projet de Mona ?
Marion Cotillard. J’ai eu immédiatement envie
d’entrer dans l’aventure. C’était un scénario assez
spécial, singulier, d’une fluidité et d’une simplicité
absolues malgré son caractère composite, avec déjà de
nombreuses photos. Fiction ? Documentaire ? Onirisme ?
Je l’ai dévoré comme un roman. J’ai été littéralement
absorbée par le destin bouleversant de la mère de Mona
et celui de la généalogie de femmes qui composent sa
famille. Il y avait tellement de facettes de la lignée dont
je viens qui résonnaient avec elle. J’ai ressenti une
évidence. Par bonheur, cela m’est arrivé quelquefois de
lire des histoires et de n’avoir aucun doute sur le fait
que j’y avais ma place. C’est une des choses les plus
profondes et les plus réjouissantes de mon métier : lire
un scénario et se dire
« Rien n’arrivera sur terre qui fera
que je ne participerai pas à ce film ».
Vous dites, Mona, que Marion s’est tout de suite
imposée. C’était elle, et personne d’autre ?
M.A. Il y a d’abord eu ce moment de sidération devant
la photo de ma mère plus jeune : sa ressemblance
avec Marion. Son insolente beauté. Son charisme, sa
liberté. Et il y avait ma passion, mon admiration pour
Marion Cotillard, l’actrice. Et pour nous être croisées
un peu, l’intuition qu’elle comprendrait Carole. Que
quelque chose nous liait autour de son histoire, qui
pouvait être le point de départ d’une incarnation très
forte. Le parcours de ma mère est marqué, fracturé par
celui d’écrivains puissants et reconnus. J’avais envie
de répondre à cela par un geste cinématographique
exigeant, et donner à Carole l’aura d’une actrice
iconique. Contredire les ténèbres de Carole par cette lumière.
Je savais que ce personnage demandait un travail et un talent
hors normes. Carole est le personnage principal et unique de
ce film. Il fallait une actrice qui puisse faire face à l’enjeu d’y
être omniprésente. Marion est mutante. L’observer est toujours
absolument fascinant. Pour toutes ces raisons mêlées, c’est
avec elle que j’ai eu envie de partager cette expérience.
Dès la première scène où vous apparaissez, Marion,
Mona, qui joue son propre rôle, vous confie les vêtements,
les bijoux, les papiers d’identité et même le parfum de
sa mère et vous demande de vous les approprier. C’est
rare de voir une actrice se transformer ainsi à vue en un
personnage de cinéma.
M.C. On voit rarement ce processus, c’est vrai. Mais il y avait
quelque chose de plus troublant et de plus intimidant encore
dans ce cadeau que m’offrait Mona de devenir sa mère. Je n’ai
pas connu cette femme : je devais me l’approprier, faire en sorte
que Mona y croit, et, connaissant les relations tumultueuses
entretenues entre les deux femmes, j’avais aussi très peur
du trouble que cette métamorphose risquait de produire en
elle. Mona et moi avons vécu des moments très forts durant
la préparation. J’ai tremblé d’appréhension la première fois
qu’elle m’a vue dans les habits de sa mère, avec sa couleur d’yeux
différente, sa coiffure. J’avais envie de lire dans ses yeux que
cela fonctionnait, être en fusion complète avec Carole, mais
aussi tellement de craintes que cela fasse remonter des choses
douloureuses en elle. Ce jeu prêtait à des limites vertigineuses.

Mona, comment avez-vous vécu ces scènes avec
Marion ?
M.A. Je ne les ai pas jouées, je les ai vécues. Le
tournage, chronologique, a été une expérience de vie
insensée, d’une extrême intimité. Chaque jour, son
corps, son visage et sa voix se métamorphosaient. Au
fur et à mesure, la confusion devenait totale. Carole
et Marion fusionnaient. Cela a été bouleversant pour
moi, mais pour toute l’équipe sur le plateau aussi. Une
résurrection, le temps d’un tournage.
Élevée dans le milieu littéraire de l’après-guerre
par votre grand-mère, Monique Lange, elle-même
écrivaine, Carole se laisse aspirer puis détruire
par la fulgurance de ce milieu. Les femmes y sont
malmenées, abusées, mais ont la chance d’être
éduquées et de partager la pensée des intellectuels
d’alors. Jean Genet a ainsi joué un rôle capital dans
la descente aux enfers de votre mère.
M.C. Jean Genet a profité de son ascendant et de son
rayonnement sur une enfant qui avait entre onze et
treize ans, sans que sa mère ne trouve rien à redire,
tant la fascination qu’elle éprouvait pour cet homme
était grande. Monique n’a su voir que le bénéfice et la
chance – inouïe – qu’avait sa fille de grandir au contact
d’un homme si puissant, si talentueux, si formateur
pour l’esprit d’une jeune enfant. Mais Carole a très
vite été écartelée entre sa conscience du privilège de sa
relation avec Genet – le Dieu de sa mère – et la dimension
transgressive de ce lien.
M.A. Les débordements de Genet sur ma mère sont le
reflet de sa façon d’envisager le monde et ses rapports à
l’autre. Dans sa littérature, c’est beau. Révolutionnaire,
même. Mais c’est la tragédie de ma mère. Elle disait :
« Je garde un chien de ma chienne contre Genet mais il
a forgé mon intelligence. Oui. C’est mon ambivalence. »
Que fait-on de ça ? On ne peut pas tout rejeter. Carole
souffrait de ne pas avoir été protégée par sa mère
et son entourage, mais son admiration pour eux
triomphait toujours. Ceux qui lui ont fait le plus de
bien lui ont aussi fait le plus de mal. Ces contradictions
sont indissociables. Nous sommes une humanité
complexe, avec des complicités ambigües et de grands
déséquilibres entre hommes et femmes. Notre idée
du génie a toujours été empreinte d’un sexisme qui
alimente une culture favorisant les abus sexuels.
Mona, Marion, on comprend, à travers les textes
et les enregistrements de Carole que, longtemps
après, elle a cherché des explications auprès des
intellectuels témoins de son drame avec Genet.
Elle voulait aussi qu’ils lui expliquent pourquoi sa
mère s’était montrée à ce point complice.
M.C. Pourquoi Monique Lange a-t-elle poussé sa fille
vers des lieux si destructeurs ? Carole fait face à un
entourage qui, pour la plupart, reste passif, donc aussi
complice. Tout en éprouvant une certaine culpabilité, ils
se dédouanent et relativisent les souffrances de Carole.
« C’était une certaine époque », lui disent-ils. Et Carole
en convient ! Mais à trop se raconter, à trop poser de
questions, elle dérange. Et à quelques exceptions, elle
obtient peu de réponses, peu de reconnaissance de
son histoire. Dans le film, il y a cette conversation avec
Nico Papatakis qui est bouleversante. Quelqu’un enfin
la regarde et l’écoute. Je mesure la solitude de Carole et
le chemin parcouru depuis le mouvement Me Too. Elle
n’a pas eu la chance d’entendre ces mots qui peuvent
enclencher un processus de guérison :
« On te croit ».
D’ailleurs, il est très déchirant qu’elle se soit ôtée la vie
une année avant que la parole des femmes soit enfin
considérée, entendue.
M.A. Dans l’un de ses enregistrements, Carole dit à son
interlocuteur :
« Ma douleur, je voudrais la faire rentrer
dans une histoire ». Comme le dit Marion, ma mère n’aura
pas connu ce temps où elle se serait peut-être sentie
moins isolée. Évidemment, je me demande souvent si
cela aurait métamorphosé quelque chose en elle. Pour
moi, Me Too a été un bouleversement. Le témoignage
d’Adèle Haenel, les livres de Camille Kouchner
ou Vanessa Springora, entre autres, m’ont profondément
touchée, remuée. Soudain, je prenais conscience de
l’universalité de mon histoire. De sa banalité aussi. J’ai
trouvé cela terrifiant… et rassurant. Ce qui me semblait
être une névrose familiale était en fait une névrose
collective ! C’est politique, culturel ! J’ai grandi avec l’idée

que les femmes de notre famille étaient maudites. J’ai
compris trop tardivement que nous étions simplement
le reflet d’un conditionnement général. Cette nuance
est importante.
Le récit que fait Carole du suicide d’Abdallah, le
jeune amant de Genet, est glaçant.
M.A. Dans le contexte de cette époque, la place
accordée aux femmes résonne avec celle de jeunes
garçons arabes pour la plupart illettrés. Ma mère s’est
toujours identifiée à ce jeune homme funambule dont
Genet s’était entiché, puis lassé, et qu’il avait défié puis
détruit jusqu’au suicide. Et Carole s’est pendue, comme
Abdallah.
Mona, vous avez vous-même été victime d’un abus.
Et comme votre grand-mère avant elle, Carole a
mal su faire face à cela.
M.A. Souvent, les abus sont tus ou niés car ils impliquent
des mises en cause qui déstabilisent l’équilibre d’une
famille, d’un milieu. Ces aveux peuvent ruiner certains
privilèges. Ma mère a voulu me protéger, mais malgré
elle, elle a reproduit les travers de la sienne. La sexualité
a joué un rôle déterminant dans ma généalogie de
femmes. Ma grand-mère a abdiqué sa sexualité. Ma
mère s’est prostituée. J’ai construit ma féminité entre
ces deux extrêmes. Dans ma famille, les questions
de sexualité et d’abus sont déterminantes. On parlait
même de « malédiction des femmes ». C’est ce mythe
désastreux qui a empêché ma mère de faire face à ce
que j’ai subi avec bon sens. C’était plus fort qu’elle.
Durant les trente dernières années de sa vie,
Carole, qui mène parallèlement une vie de
photographe puis d’écrivaine, explique qu’elle
a choisi une existence ultra conformiste, avec
le même homme, pour faire taire le désordre
intérieur qui ne la quittait pas.
M.A. À l’extrême, oui, sa manière de se protéger – et
de nous protéger – a été de nous élever dans une trop
grande sévérité. Il y avait en elle beaucoup de violence.
Elle a pu être malmenante.
M.C. Parce que je n’ai pas connu Carole et que travailler
un personnage en donne parfois une lecture un peu
différente, certaines choses me sautaient aux yeux.
J’avais beaucoup de matériel, beaucoup de textes, de
photos et de vidéos sur quoi m’appuyer, et l’une des
premières choses que j’ai remarquée et confiée à Mona,
est l’immense amour que j’ai perçu chez Carole pour
ses enfants. Je ressentais que cette femme aimait ses
enfants. Profondément. Ce à quoi Mona me répondait :
« Et pourtant, elle était si dure avec nous ». Partager
ce ressenti avec Mona a donné lieu à un échange très
fort, qui a résonné sur toute la suite de notre tournage.
Carole m’a permis de me confronter à une question
fondamentale : Est-ce qu’il y a un mauvais amour ? Une
mauvaise façon d’aimer ?
Marion, dans « Little Girl Blue », vous reprenez
en synchro de nombreux passages de textes
enregistrés avec la vraie voix de Carole. Était-ce
une difficulté ?
M.C. Il y avait ce travail de synchronisation à faire, et cet
autre consistant à trouver la voix de Carole, à travers
des monologues exclusivement tirés de ses écrits. Or,
il fallait que le passage de la synchro à ma voix soit
fluide. C’est tout l’objet de l’incarnation. Et c’est ce que
j’aime : réussir à disparaitre totalement derrière un
personnage, et qu’on ne voit plus que lui, jusqu’à croire,
dans ce film, à un personnage, à une voix, sans y voir
aucun artifice. Ne plus faire la distinction.
Mona, comment avez-vous vécu l’appropriation
de la voix de Carole par Marion ?
M.A. Avec émotion et admiration devant l’immense
talent et l’immense travail de Marion pour y parvenir.
Je connaissais ces enregistrements par cœur, mais ils
prenaient une autre ampleur à travers son incarnation.
L’élan de Marion a été d’une générosité sans limite. Ce
qui m’a le plus émue ne se voit pas : chaque jour, elle
se parfumait avec le parfum de ma mère. Chaque jour
elle me laissait l’étreindre comme je n’avais jamais pu,

jamais voulu le faire avec ma mère. Elle m’a consolée. Elle a mis
de la tendresse là où il n’y en avait pas. Au-delà du travail, je vois
notre échange sur ce film comme une forme de sororité très
singulière, très forte. Je dois à Marion un grand apaisement.
Mona, vous avez tourné dans une usine désaffectée à
Mulhouse. On sent que les décors jouent un rôle important
dans ce mélange des formes que vous évoquez.
M.A. Avec Héléna Cisterne, la cheffe décoratrice, nous avons
accueilli la découverte de ce lieu comme un miracle car notre
cahier des charges était complexe : on s’est appuyé sur les
murs de cette usine pour bricoler les morceaux de décors
dont nous avions besoin pour reconstituer les conversations
que ma mère avait eues avec les témoins de son enfance : une
cuisine, une brasserie, un bureau, un studio de radio, un salon.
On comprend au cours du film que ces lieux qui semblaient
dispersés font partie du même espace. Je rêvais ce décor comme
un prolongement métaphorique des méandres de mon cerveau
encombré par ma mère, et dont le pôle central serait mon bureau,
envahi par les archives. Le décor me permettait – comme je l’ai
fait pendant des années – de tourner en rond autour de Carole…
qui finit par tourner en rond autour d’elle-même. Nous étions
vigilantes : comment figurer cet enfermement intérieur sans être
claustrophobique ? Cet enjeu s’est étendu au travail de Noé Bach,
le chef opérateur. Toute la dimension charnelle, sensorielle,
devait aussi transparaitre dans la texture de l’image, et dans
sa façon de nous filmer. Être dans une constante intimité, sans
étouffement, sans impudeur. Frontal, mais doux.

Autre charme du décor : cette ambiance
complètement onirique, jusqu’aux milliers de
feuilles de papier qui volètent sur le plafond de la
pièce où écrit Carole.
M.A. J’ai une vision souvent onirique des choses de la
vie. Dans ce drame familial, je vois aussi de la poésie,
du romanesque. Du beau dans tout ce laid. Comme
il en existe dans les contes mythologiques. Ma mère
s’est perdue jusqu’à la folie dans ces archives de papier.
Je voulais la voir physiquement ensevelie sous cette
matière, comme dans une grotte. Le travail sur le son
permet aussi cette liberté de ton. Avec Olivier Ronval,
l’ingénieur du son, nous avons travaillé la précision, la
justesse des voix entremêlées de Marion et Carole. De
cette matière qui visait une forme de réalisme, de vérité,
nous avons cherché avec Joey Vam Impe, le monteur
son, les ambiances sonores qui viendraient se fondre
dans ce décor hors du temps. Trouver le juste « silence »
du bureau a été le fruit de longues recherches. Et sont
venus les intempéries, des chants de grenouille… Tout
était permis. Valentin Couineau a trouvé la musique de
ma mère, seule facette de Carole qui m’était inconnue.
Et Thomas Gauder, le mixeur, a donné un équilibre à
toutes ces sources foisonnantes. Je lui dois aussi de
m’avoir guidée lors de l’enregistrement de ma propre
voix. Ce que le film brasse a engendré un lien d’une forte
intimité entre nous tous. Je pense au chemin délicat
de maquillage et d’effets spéciaux mené par Daniel
Weimer et Pamela Goldammer, qui ont accompagné la
progressive résurrection de ma mère, sans dénaturer le
visage de Marion. Et à Laetitia Gonzalez, la productrice,
protectrice et exigeante. Mes émotions étaient,
forcément, une composante majeure du tournage. Le
voyage intérieur était souvent chahutant. Il le fallait,
mais sans débordement. Clothilde Carenco, assistante
mise en scène, a aussi été un pilier fondamental sur
ce terrain… qui me donne envie de nommer tous les
membres de cette incroyable équipe !
Avec tout le matériel dont vous étiez dépositaire en
plus du tournage, comment s’est déroulé le montage ?
M.A. Lorsque Marion était là, nous filmions à deux
caméras. Je tenais à ce qu’au moins l’une des deux ne
coupe jamais, et filme les coulisses de nos échanges.
J’étais donc à la fois « fille de » et metteuse en scène.
Marion était tantôt ma mère, le personnage que je
mettais en scène, et elle-même. Je voulais capter
cette confusion. Il a fallu ensuite articuler l’ensemble
au montage avec Valérie Loiseleux, et trouver le bon
équilibre. Construire cette narration visuelle hybride,
entre matériaux filmique, photographique, pictural,
personnel et historique.
Vous y avez aussi intégré des représentations de
Vierge à l’enfant ?
M.A. Cela me semblait intéressant de montrer la beauté, la
puissance et le trouble du rapport mère-fille à travers des
représentations de madones. Évoquer aussi l’injonction
à la maternité, ancestrale. D’autres tableaux dans le film
mettent en scène des agressions sexuelles sublimées.
L’homme dominant à l’extrême, la femme contrite. Tout
y est dit. C’est culturel. Je voulais que les mots racontent
mon histoire, et laisser aux images la possibilité de faire
exister la dimension plus universelle du récit. Sharon
Hammou, la documentaliste, a été fondatrice. Ce film
est hétéroclite, sur le fond et la forme. Entre fiction et
documentaire, la boulimie visuelle expose la liberté,
l’effervescence des époques et des mouvements traversés,
mais aussi leur dimension anxiogène.
Mona, vous le disiez plus haut, le tournage avec
Marion s’est déroulé dans la chronologie. Vous
aviez conçu le dispositif du film, vous jouiez votre
propre rôle tout en assurant la mise en scène de
l’ensemble. Vous est-il arrivé de devoir réajuster
des scènes de l’intérieur ?
M.A. Bien sûr. Être à la fois « fille de », metteuse en scène
et à l’image, me faisait ressentir de façon organique ce
qui était juste, et ce qui ne l’était pas. Le film joue sur les
bascules de registres. Le point de départ documentaire
se métamorphose avec Marion vers une fiction
pure, concentrée autour de Carole. Ma disparition
progressive s’est précisée pendant le tournage.

On se perd parfois ; Marion est-elle toujours Carole ? Est-elle redevenue Marion ? C’est notamment cette scène où, vous, Marion buvez du thé, un peu affalée sur un banc, et où Mona vous dit :« Ma mère faisait aussi du bruit en buvant son thé ». Et vous, Marion, vous répondez :« Mais je croyais qu’on faisait une pause ! »
M.C. Fausse pause. Mais vous avez raison, Mona et moi avons eu beaucoup de discussions concernant mes réapparitions en tant qu’actrice. À plusieurs endroits du film, elles permettent de raconter ce que peut être la fusion d’un acteur ou d’une actrice avec le personnage, et la difficulté aussi parfois d’incarner un personnage aussi tourmenté, aussi torturé que l’est Carole. Je pense à cette séquence où je suis en train de dormir et où je
parle en rêvant. Est-ce moi qui parle ? Est-ce Carole à travers moi ? Je trouve beau d’avoir pu intégrer à l’histoire de cette femme le combat intérieur que peut mener son interprète pour l’incarner. C’est comme une offrande faite aux spectateurs, une façon de leur dire :
« Voilà, je suis cette femme, Carole, le temps d’un film, mais à certains endroits, je vais vous l’offrir d’une manière différente, parce que c’est aussi moi, Marion, qui suis là. » Il y a quelque chose de profond et de puissant dans ce processus qui offre l’opportunité de découvrir une femme autrement.
M.A. Marion m’a déchargée de quelque chose en s’emparant de ma mère. Cela devient une composante importante du film : il y a ma besogne face à mon histoire familiale et le film que je veux en faire. Et il y a la sienne face à ce personnage complexe, techniquement et émotionnellement. Je voulais que le film témoigne de cela. C’est aussi unefaçon tacite d’évoquer l’ère Me Too : aujourd’hui, Marion et moi, nous nous sommes unies avec nos puissances respectives – elle le jeu, moi la mise en scène – pour porter haut l’histoire et la parole de Carole.
Effectivement, Mona, en reprenant à votre tour le flambeau à la suite de votre grand-mère et de votre mère, vous clôturez une histoire tragique en la tirant vers le haut.
M.A. J’avais besoin d’aller vers le beau. Pour moi. Pour mes enfants. Et de renverser la table. On ne se défait pas de nos origines mais il est possible de métamorphoser les choses pour mieux transmettre. Tout est une question de point de vue aussi.Je voyais de la lumière dans tout ce noir. Il y a cette citation de Marguerite Yourcenar dans le film, dont la
découverte a été une révélation pendant mon chemin d’écriture. «Qu’est-ce quevous emporteriez si la maison brûlait ? J’emporterais le feu. » Voilà. Notre maison a brulé et ma mère a été emportée avec. Mais c’est ce feu que je voudrais transmettre à mes enfants.

Dossier de Presse

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Simple comme Sylvain

 Un film deMONIA CHOKRI

2023 -1H50 -VOST

avec Magalie Lépine-Blondeau, Pierre-Yves Cardinal

 

 Sophia, professeure de philosophie, fait depuis longtemps chambre à part avec son compagnon Xavier, avec lequel elle est en couple depuis 10 ans. Sentant que celui-ci s’éloigne, alors que lors d’un repas avec des amis, il propose à une nouvelle venue en cours de divorce, Virginie, de l’aider à trouver une avocate, elle a moins de scrupules à flirter avec Sylvain, le charpentier qui s’occupe des travaux dans leur chalet dans les Laurentides…

Troisième long métrage de Monia Chokri, révélée à Un certain regard avec « La Femme de Mon Frère« , puis auteure de « Babysitter« , « Simple comme Sylvain » est le récit d’une relation entre une intellectuelle et un homme plutôt manuel, que leur passion physique et l’envie de donner sa chance à une historie, vont réunir malgré leurs différences de milieux. C’est de cette différence, créant des contrastes tantôt gênants, tantôt facteurs de complicité face aux attentes des autres, que se nourrit le scénario. Doté de dialogues mordants, sonnant toujours naturels, celui-ci fait de banalités ou de clichés des traits d’humour (une citation de Michel Sardou, une réflexion sur la cruauté du peuple espagnol…).

Riche en dialogues, le film est ponctué son récit de réunions autour de repas, plus vraies que nature, d’un dîner entre amis chahuté par les cris des enfants, à un repas de présentation à une nouvelle belle famille pas piquée des hannetons, en passant par un repas avec la mère de Sophia. Maîtrisant parfaitement les moments d’émotions, dus à des personnages richement construits (la scène où la détresse de la belle-mère s’exprime, face à la disparition progressive de la personnalité de son mari, atteint d’Alzheimer, est un modèle de tact…), Monia Chokri nous offre aussi le portrait d’une femme ayant le courage de s’aventurer loin de la routine de son couple, et à laquelle se rappelle cruellement son âge ou le physique avantageux des ex-compagnes de son nouveau mec, voire leur différence de niveau d’intellect.

Magalie Lépine Blondeau excelle dans ce rôle de femme forte, maîtrisant ses émotions ou sa gêne, comme lorsque la belle-famille affirme avec aplomb que «Sylvain c’est l’intellectuel de la famille». Quant à Pierre-Yves Cardinal, découvert dans le « Tom à la Ferme » de Xavier Dolan, il a l’air de beaucoup s’amuser à interpréter les sex-symbol premier degré. On ressort du film avec non seulement une forte envie d’aimer, mais conscient qu’une relation dépend de tellement de facteurs et de connexions, physique, intellectuelle, familiale… que sa faculté à durer dans le temps, demande efforts et prise de risque.

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Perfects Days

PERFECT DAYS

Film de Wim Wenders – Japon , Allemagne – VOST – 2h03 

Avec Koji Yakusho, Min Tanaka, Arisa Nakano

Perfect Days , le nouveau film de Wim Wenders ( « Les ailes du Désir, Paris Texas » ) a de quoi surprendre et déstabiliser ! Il narre l’histoire d’un tokyoïte dont le travail est de récurer les toilettes de la capitale nippone. 

Jour après jour, l’homme se lève, prend son petit-déjeuner, arrose ses bonzaïs, se rend à son travail, termine sa journée aux bains publics, puis au bar du coin avant parfois d’aller acheter un livre dans sa librairie préférée. 

Cette construction journalière méthodique, Wim Wenders viendra par trois fois la conter avec un personnage principal quasiment mutique .Sous les traits de l’excellent koji Yakusho, laureat du Prix d’Interprétation Masculine Cannois 2023 pour ce rôle tout en finesse, Hirayama n’est pas muet, juste pas bien bavard, contrairement à son collègue qui le seconde sur le nettoyage des sanitaires nippons : des lieux qui sont une vraie institution au pays du soleil levant… et qui font figure de seconds rôles dans le film de Wim Wenders. Ce dernier semble être totalement fasciné par leurs différentes architectures et le lieu de vie qu’ils constituent au Japon (on y laisse des petits jeux sur papier). 

Ce quotidien, qui est l’essence même du film, est parfaitement montré et distillé grâce à un montage vraiment habile et qui annihile tout ennui.

Mais le film est loin de se résumer à un documentaire sur les sanitaires nippons.

Le long-métrage (deux heures dont on ne ressent jamais le poids de la monotonie) va analyser la vie d’Hirayama, un homme pas aussi simple que ne semblait le laisser croire les premières scènes du film. Au fur et à mesure du récit, Wenders explore les liens que celui-ci noue avec tout son entourage : les clients, ses collègues, les commerçants, sa nièce, sa sœur. On découvre alors un homme à la fois ordinaire et complexe, drôle et attachant. Et le métrage de célébrer sa bienveillance , sa bonté et sa générosité. Une personnalité et une conduite qui apportent tant de sérénité à l’intéressé qui jouit de la vie grâce à de petits plaisirs. On dit que le bonheur est quelque chose d’intime. A chacun de trouver comment être comblé de bonheur. 

Hirayama trouve aussi le bien-être dans la photographie, la lecture, des standards du rock sur cassettes audio (on se  délecte des chansons des Rolling Stones, de Patty Smith, Lou Reed ou encore Otis Redding) et même – plus délicat – dans l’éloignement de certains problèmes familiaux que l’on devine. 

Wenders nous donne à voir les choses différemment et refuse de juger l’homme pour ses choix, ce dernier les assumant complètement. Que reprocher à celui qui ne recherche qu’à vivre ses jours parfaits ?

Perfect Days est de ces films sensibles et poétiques qui vous touchent en plein cœur.

Critique ABUS de CINE

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Pierre Feuille Pistolet

PIERRE FEUILLE PISTOLET

De Maciek HAMELA, documentaire, Pologne/France /Ukraine-VOST. 1h24.

Le cinéaste polonais donnait, avec son van de huit places, un coup de main pour véhiculer des amis fuyant les bombardements russes qui débutaient. Puis il a enchaîné les trajets et les rencontres pour les victimes d’une guerre aussi soudaine que monstrueuse. Il a parcouru plus de cent mille kilomètres sur les routes d’Ukraine et a décidé de laisser une trace des échanges, confessions, larmes parfois rires sur la banquette du van en route vers l’exil. Sasha, 34 ans, s’excuse mais sa fille Sanya, petit bout de 5 ou 6 ans, ne parle plus depuis qu’un missile est tombé à quelques mètres de la maison, blessant grièvement son frère. Ewelina, 21 ans, est avec sa maman de 38 ans et son bébé. Cette mère porteuse espère se rendre à Paris, où l’attend la future famille de l’enfant. Elle doit se débrouiller seule, la clinique où elle était suivie n’existant plus. Ou encore une grand-mère réconfortée par ses petits-enfants lorsqu’elle évoque, la larme à l’œil, la ferme familiale, les vaches abandonnées. La caméra frontale capte le récit de ces témoins. C’est la survie dans ce huis clos, et la guerre dehors. Et Sofia, gamine malicieuse de 7 ans, propose une partie de Pierre- Feuille-Ciseaux…

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Little Girl Blue

Réalisatrice Mona Achache

France / 1H35

Avec : Marion Cotillard, Mona Achache, Marie Brunel

 

Entre documentaire et auto-fiction, Mona Achache fait le vibrant portrait de sa mère, Carole Achache, qui fut romancière, mais aussi photographe de plateau (pour Sautet, Losey, Tavernier…) et des femmes de sa famille accablée d’une étrange malédiction. Marion Cotillard y livre une composition inouïe. 

 Entre malaise et curiosité, Mona Achache exhume, quelques années après son suicide à 63 ans, l’histoire de sa mère. Son beau film s’ouvre sur une montagne de documents : des lettres, des photos, des carnets, éparpillés dans un appartement et progressivement épinglés au mur par la cinéaste. C’est le chaos. Puis elle remonte le fil. Et très vite, le chaos laisse place au vertige. Le récit familial devient celui d’un trauma qui va se recomposer sur trois générations et que chaque femme transmet à la suivante. Pour conjurer ce cycle infernal, la réalisatrice décide donc d’en effectuer l’archéologie et choisit de faire revivre sa mère.  

Marion Cotillard entre alors en scène et se transforme devant la caméra, jean, perruque, cardigan, bijoux, lunettes…, jusqu’à composer un portrait presque parfait de Carole Achache, et se raconter…Son enfance, fille très aimée par sa mère Monique Lange, l’emprise de Jean Genet, consentie par cette même mère, puis la drogue, le sexe, la nécessité d’écrire, les refus des éditeurs, la tentation d’en finir…Plongée dans un microcosme intellectuel des années 60/70 , folle envie de liberté…

A travers Marion Cotillard, le film est aussi le plus incroyable témoignage sur un travail d’actrice, elle a visionné pour interpréter ce personnage des heures de pellicules, écouté des dizaines d’interviews,  elle pousse la perfection  jusqu’à modifier sa voix en utilisant le tabac….Elle incarne littéralement cette mère, et nous fascine…

D’après Première et Télérama 

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Googbye Julia

« Goodbye Julia » aura représenté un des évènements de l’édition 2023 du Festival de Cannes. Non pas tant pour le Prix de la Liberté que le film a reçu au sein du Certain Regard, mais parce qu’il représente la première incursion du Soudan en sélection officielle. L’œuvre s’ouvre sur des couleurs chaudes, en 2005, à une époque où le pays était unifié, au sens qu’il ne formait qu’un État. Mais sa population était, elle, bien divisée, entre le Sud à majorité chrétienne, et le Nord principalement musulman. Pour ceux qui suivent les actualités internationales, le sort du pays ne sera pas une surprise, un référendum de 2011 aboutissant à l’indépendance du Sud, et l’année 2023 ayant vu l’émergence d’une guerre sanglante initiée par des généraux avides de pouvoir.

Si le métrage esquisse en creux les troubles de cette terre d’Afrique du Nord-Est, il se concentre bien plus sur son duo de protagonistes, Mina et Julia. La première est une ancienne chanteuse ayant abandonné la musique pour satisfaire son mari, se contentant de sa vie bourgeoise dans les quartiers huppés. La seconde vit dans la même région, mais dans un secteur nettement moins privilégié. Avec ses origines sudistes, on lui rappelle d’ailleurs régulièrement à quel point elle est par essence inférieure à ses voisins aux racines différentes. La rencontre entre les deux n’aurait ainsi jamais dû se produire, mais un triste événement va amener Mina à embaucher Julia comme employée de ménage, avant qu’une amitié réelle ne naisse entre elles.

Pour son premier passage derrière la caméra, Mohamed Kordofani, ancien ingénieur, fait preuve d’une certaine aisance, en particulier dans sa manière de mêler l’intime aux troubles de cette société qu’il ausculte de loin. On sent les clivages sociaux, ce racisme systémique, mais le drame se joue ici ailleurs, au cœur d’un microcosme familial bouleversé suite à une tragédie. Les secrets s’immiscent, les faux semblants aussi, la culpabilité remonte. La tentation du pamphlet est balayée par la réalisation d’un portrait maîtrisé, à la fois chronique d’une amitié bouleversante et récit d’émancipation de deux femmes qui rêvent d’échapper à leurs conditions, peu importe qui leur impose leurs contraintes, « Goodbye Julia » demeure indéniablement un film à voir, aussi bien pour son sujet que pour la rareté de ce type de productions dans nos contrées hexagonales.

Christophe Brangé

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