Andrew Haigh

haigNé le 7 mars 1973 à Harrogate, Yorkshire du Nord

Britannique

Réalisateur, scénariste, monteur

Week-end, 45 ans

Entretien avec Andrew Haigh (réalisateur)

Qu’est-ce qui vous a attiré dans la nouvelle et comment l’avez-vous adaptée ?

La nouvelle de David Constantine, In Another Country, est magnifiquement claire et concise, mais pour l’adapter il a fallu la développer un peu. Mis à part l’ajout de la fête d’anniversaire de mariage, le plus grand changement a été l’âge des personnages, passé d’un peu plus de 80 ans à 70 ans. Dans le livre, l’histoire se passait dans les années 1990, ce qui signifiait que l’histoire en toile de fond se déroulait pendant la Seconde Guerre mondiale. Je voulais que l’histoire de Kate et Geoff soit très actuelle. Je ne voulais pas qu’il s’agisse des choix d’une génération plus âgée, disparue, mais de choix que nous sommes tous amenés à faire.

Il y avait quelque chose de déchirant dans cette relation chancelant devant son dernier obstacle. C’était comme si ce rappel du passé, ce corps conservé dans la glace, avait attendu son moment pour tout plonger dans le chaos, dans un chaos intérieur silencieux. Des fissures de la terre sortent tous ces doutes, toutes ces peurs, tous ces non-dits depuis des années, ces émotions réprimées et cachées. C’est comme si toute la relation de Kate et Geoff, jusqu’à ses fondements même, était soudain remise en question par une femme qui n’existe plus. J’ai également décidé de raconter l’histoire du point de vue de Kate, ce qui était différent dans la nouvelle. Beaucoup de films et de livres parlent de la crise existentielle masculine et je voulais présenter un regard différent.

Y a-t-il un lien entre votre film précédent « Week- End » et ce film ?

Il y a naturellement une corrélation entre les deux. Les deux films traitent de la complexité de l’intimité entre deux personnes ; les risques qu’il y a à s’exposer émotionnellement à autrui ; la difficulté à être sincère au sujet de ses peurs. Je suis intéressé par la façon dont les histoires d’amour disent beaucoup de nous, de ce que l’on veut dans la vie et de la façon dont on veut être perçu.

L’incapacité à communiquer ses émotions est souvent considérée comme un trait typiquement anglais, êtes-vous d’accord avec cela ?

Je crois qu’il y a quelque chose de culturellement et politiquement conservateur chez les Anglais qui encourage certains à enfouir leurs sentiments pour maintenir un statu quo. C’est surtout le cas dans la classe moyenne. Ceci étant dit, il est très difficile pour chacun de véritablement faire part de ses sentiments car la plupart du temps nous ne les comprenons pas nous-mêmes. Nous les ressentons mais nous avons du mal à les définir. C’est aussi risqué – partager ses sentiments les plus profonds sera toujours ressenti comme un risque.

Pourquoi 45 ans ?

Je ne voulais pas que ce soit 50 ans. Mais ces fêtes d’anniversaire de mariage sont l’occasion pour les gens de montrer au monde ce qu’ils ont fait de leur vie, de leur couple, et donc cela paraissait logique qu’un couple puisse s’effriter sous cette pression.

Qu’a apporté Charlotte Rampling au rôle ? Qu’a-t-elle de particulier en tant que femme et en tant qu’actrice ?

Charlotte est une actrice extrêmement intelligente. Elle sait ce qui fonctionne et ce qui ne fonctionne pas. Quand je la regarde sur un écran, je vois un ouragan d’émotions sous la surface, derrière ses yeux. On ressent sa douleur et on la comprend, mais on n’arrive pas vraiment à l’identifier. On est à la fois invité à observer et à garder ses distances. Cela me paraît incroyablement sincère et vrai. On ne comprendra jamais complètement l’autre et il y a des choses que nous devrions tous garder pour nous.

Et Tom Courtenay ?

Il y a chez Tom et dans sa prestation une grande vulnérabilité. La dernière chose que je voulais pour ce film était un homme en colère en voulant à la terre entière. J’ai vu cela au cinéma trop souvent. Je voulais quelque chose de plus complexe, plus sensible. C’est un personnage qui lutte contre lui-même, pas le méchant de l’histoire. J’espère que dans 45 Ans il n’y a pas de méchants, simplement des gens qui essaient de comprendre ce qui leur arrive et de s’en sortir.

Leur statut d’icônes des années 1960 habite leur prestation et les extraits de chansons de la même époque en sont de petits rappels. Vouliez-vous que les spectateurs le relèvent ?

J’ai toujours espéré que leurs histoires seraient ressenties par petites touches subtiles. Le film traite en partie de l’espoir du passé, de ce que nous aurions pu faire plus jeunes, et même si Charlotte Rampling et Tom Courtenay n’avaient jamais tourné ensemble, le fait qu’on les connaisse depuis tant de temps a énormément contribué à l’histoire. Cela apporte une certaine mélancolie, un sentiment qui m’intéresse beaucoup. Je pense souvent que la mélancolie que l’on ressent au sujet du passé a plus à voir avec les échecs et les déceptions du présent qu’avec le passé lui-même.

Leur relation à l’écran est à la fois totalement vraisemblable et assez peu conventionnelle dans la façon de montrer deux personnes d’un certain âge. Ils semblent être toujours en train d’évoluer. Était-ce déjà là dans le scénario ?

Cela faisait partie de mon intention de départ. Je ne crois pas que les gens cessent de chercher des réponses à leurs questions en vieillissant. On a de nos jours tendance à dire qu’on devrait avoir tout compris à 30 ans. Je suis persuadé que la vie ne se passe pas comme ça pour la plupart d’entre nous. Nous changeons constamment, notre identité évolue et donc nous nous posons tout le temps des questions. Si ce n’est pas le cas, nous le devrions.

Quel est votre point de vue sur la rationalité des sentiments de jalousie et de rejet éprouvés par Kate ?

Ses sentiments sont irrationnels, ce dont elle se rend compte, mais en même temps ils parlent de quelque chose de plus profond et de plus troublant. C’est comme si le fait de se concentrer sur leur relation avait déclenché une nausée qu’elle n’arrive pas à vaincre. Cela a à voir avec son sentiment de jalousie et de rejet, mais aussi avec le sens de sa propre vie. C’est comme si, sous le poids de l’enquête qu’elle mène, tout ce qu’elle a construit au fil des ans perdait son sens. Tout s’est écroulé et elle ne sait pas comment recoller les morceaux.

Pouvez-vous revenir sur la scène d’amour ?

Je crois que cette scène était nécessaire. Le sexe est un élément très important du couple et fait partie de la vie des septuagénaires. La scène intervient à un moment du film où tout aurait pu s’arranger. Cela aurait pu être un magnifique moment pour tous les deux qui aurait pu leur rappeler combien ils s’aiment. Mais ça ne se passe pas comme ça. C’est un moment- clé car à partir de là les choses empirent.

Les références à la nature ajoutent un aspect poétique – la terre cache des secrets, des choses devenues invisibles mais qui n’ont pas disparu…

Il me semble évident que ce qui nous est arrivé par le passé, ce qui est enfoui sous la surface, reste. Et je ne parle pas seulement des grands événements dramatiques de notre existence, je parle des détails banals qui font notre existence. Et souvent nous l’ignorons, nous essayons de vivre dans le présent, ce qui n’est pas facile ; le grenier se remplit de plus en plus et si nous ne faisons pas attention, les chevrons peuvent casser et laisser une sacrée pagaille dans la pièce en-dessous.

Le film est très calme malgré l’intensité des sentiments.

Il était très important pour moi que le film commence calmement et reste calme. Je suis intéressé par ces petits moments qui définissent une vie, une relation. Tout était déjà dans le scénario mais avec les acteurs nous avons travaillé à trouver les petits détails révélateurs d’une plus grande histoire – il ne s’agit pas d’un traumatisme pointant son nez mais de petites choses, des choix, des décisions, des sentiments et des émotions enfermés, de toutes ces choses qu’on ne peut pas exprimer. Toutes ces peurs et tous ces doutes qui vivent dans ces petites fissures, ces petites fentes. Je crois que parfois nous faisons tout pour ne pas mettre trop de pression sur ces failles – on espère que le sol ne s’ouvrira pas et ne nous engloutira pas.

La fin reste entièrement ouverte. Selon vous, que va faire Kate ?

Mon avis change perpétuellement selon mon humeur. Va-t-elle le quitter ? Va-t-elle rester ? C’est au public de décider. Je crois que si vous êtes le genre de personne qui pense que tout peut toujours s’arranger, ils resteront ensemble. Si vous êtes le genre de personne qui continue à « attaquer le monde », alors Kate va partir, peut-être rencontrer quelqu’un ou être parfaitement heureuse seule.

Notes de Production 

 

Ce contenu a été posté dans Archives réalisateurs, Réalisateurs, Uncategorized. Mettre en favori.

Comments are closed.