Joanna Hogg (The Souvenir I et II)

Née le 20 Mars 1960 à Londres

Britannique

Réalisatrice, scénariste, productrice

Unrealated, Archipelago, Exhibition, Souvenir I et II

Qui est Joanna Hogg, la réalisatrice du diptyque “The Souvenir” ?

On n’avait rien vu d’elle ici. Écrit en deux parties, “The Souvenir” est le premier film de la réalisatrice anglaise à traverser la Manche. Et il est bouleversant. Rencontre avec Joanna Hogg, 61 ans, nouvelle révélation du cinéma britannique.

Mais où se cachait-elle tout ce temps ? La question fait rire la réalisatrice Joanna Hogg, 61 ans, qui accepte de bonne grâce de jouer les révélations en France. S’ils sont les premiers à sortir ici, les deux volets de The Souvenir (en salles) constituent en réalité ses quatrième et cinquième longs métrages – les précédents, Unrelated (2007), Archipelago (2010) et Exhibition (2013) arriveront dans le courant de l’année, promet-on chez Condor, son distributeur.

À son futur biographe, on offre donc ce titre tout trouvé, « Lenteur et gloire », pour évoquer à la fois sa floraison tardive et une correspondance fortuite entre The Souvenir Part II et Douleur et gloire, de Pedro Almodóvar, sous la forme d’un travelling final dévoilant le pot aux roses, à savoir la mise en abyme bouleversante d’un film dans le film.

Joanna Hogg n’avait pas vu le chef-d’œuvre de l’exubérant cinéaste espagnol avant de se lancer – « Je l’ai regardé après, très émue, et j’ai bien fait d’attendre car il m’aurait sûrement découragée », assure celle qui dit manquer d’assurance. De toute façon, c’est en tournant et, surtout, en montant la première partie de son beau diptyque qu’elle a su enfin, plus ou moins, quelle direction prendrait la seconde. À présent, on ne peut considérer l’une sans l’autre, sous peine de passer à côté d’un grand tout vertigineux.

Le long métrage inaugural, en effet, raconte « simplement » une histoire d’amour toxique entre une tout juste vingtenaire réservée, Julie, et un presque trentenaire autoritaire, Anthony, dont le mystère dissimule une séduisante propension au romanesque autant qu’une sale addiction à l’héroïne. À cette plongée ouvertement autobiographique dans le Londres des années 1980 répond cependant une suite qui ne l’est plus vraiment (mais un peu quand même). Dans The Souvenir Part II, Joanna Hogg réécrit son passé en octroyant à Julie, son double, étudiante en cinéma comme elle à l’époque, la chance de porter sa romance tragique à l’écran avec l’aide de ses condisciples. « Moi, je n’en ai pas été capable à cet âge », confie la metteuse en scène, dont le court métrage de fin d’études, Caprice (1986), bricolait une manière de comédie fantastique autour des menteries de la presse féminine avec, pour héroïne, une amie de pensionnat nommée… Tilda Swinton.

Trente ans plus tard, Tilda incarne la mère de Julie (et donc un peu celle de Joanna, qu’elle a bien connue), tandis que la fille de la star, l’étonnante Honor Swinton Byrne, interprète la jeune femme (et donc un peu Joanna, qui n’est autre que sa marraine). La présence au générique, en tant que producteur exécutif, d’un certain Martin Scorsese achève de donner un vernis chic à cette entreprise artistique qu’on aurait tort de croire plus nantie qu’elle n’est. Hogg fait du cinéma d’auteur pur et dur, après avoir trimé longtemps sur des séries qui n’ont pas franchi la Manche et lui donnaient « envie de hurler » tant elles étaient impersonnelles. « À la sortie de la National Film and Television School, mes projets de films étaient toujours trop chers, trop ambitieux pour une novice. J’ai voulu acquérir de l’expérience à la télé. Je gagnais ma vie, je travaillais régulièrement, je me sentais chanceuse et flattée, c’est là le piège. J’ai fini par m’en libérer après un job particulièrement frustrant qui m’a laissé un goût amer. C’était en 2005. Un an plus tard, je faisais mon premier film. »

Sur le tournage d’Unrelated, en Italie, elle élabore son style, en opposition radicale avec ses années TV : des scènes qui durent, des cadres larges, beaucoup de plans fixes. « Au bout de quelques jours, j’ai compris à quel point c’était inintéressant de me cramponner à un scénario, j’étais bien plus passionnée par les acteurs en face de moi que par une bible inerte. J’ai commencé à les encourager à dire leurs propres mots. Et parce que je voulais capter cette liberté de parole et de mouvement, regarder leur langage corporel comme une danse, j’ai élargi le cadre. Ces plans larges ont quelque chose de démocratique aussi : on permet au spectateur de choisir à qui ou à quoi s’accrocher.

Peintre sensible de la bourgeoisie britannique, Joanna Hogg puise dans sa vie et ses obsessions du moment (la maternité, la famille, le couple, le deuil…), élit un lieu susceptible d’accueillir une troupe (une villa toscane dans Unrelated, une île au large de la Cornouaille dans Archipelago, une maison d’architecte dans Exhibition), gamberge en solitaire un temps infini, puis livre à ses comédiens un traitement littéraire d’une trentaine de pages… ou non. Sur The Souvenir, par exemple, Honor Swinton Byrne découvrait chaque matin ce que son personnage allait vivre, de façon à préserver son innocence, tandis que son partenaire, Tom Burke, avait bâti le sien sur une documentation foisonnante.

La précision maniaque de la cinéaste – la reconstitution minutieuse de son appartement estudiantin de Knightsbridge dans un ancien hangar d’aviation en témoigne – et la semi-improvisation sur le plateau ne lui paraissent nullement contradictoires. « Je suis pleine de paradoxes, reconnaît Joanna Hogg. Peut-être que tous mes films forment une sorte de puzzle et que, si on les assemble d’une certaine façon, ça donne une version de ma vie. » Le prochain épisode devrait brouiller les cartes : elle vient d’achever « un film de fantômes », The Eternal Daughter, avec sa chère Tilda Swinton. « C’est ma première incursion dans le genre, se réjouit-elle. Et comme on finit par se lasser de ses propres idées, cette fois j’ai fait des gros plans ! » Sa foi dans le cinéma fait plaisir à voir. Moteur et gloire.

Marie Sauvion pour Télérama

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